Qui est Adam Brown, le créateur qui a réinventé le maillot de bain au masculin ?
En 2007, Adam Brown a fondé Orlebar Brown avec l’envie de redéfinir l’élégance au masculin. Entre esthétique solaire, exigence du détail et esprit tailoring, sa marque de maillot de bain séduit aussi bien Daniel Craig que la maison Chanel, qui en fait l’acquisition en 2018. Rencontre avec un créateur instinctif et passionné, qui voit dans chaque vêtement une manière de raconter une histoire.
propos receuillis par Nathan Merchadier.

Orlebar Brown, la marque qui séduit Daniel Craig… et Chanel
Il n’était pas destiné à la mode. Et pourtant, en moins de vingt ans, Adam Brown s’est imposé comme l’un des créateurs les plus singuliers du vestiaire masculin contemporain. Ancien photographe, passionné par les couleurs et les récits visuels, il fonde Orlebar Brown en 2007 avec une idée simple : réinventer le maillot de bain pour homme en s’inspirant du tailoring britannique. Exit les shorts informes, place à une silhouette nette, pensée comme une pièce de ville taillée pour la plage.
Guidée par un sens du détail quasi obsessionnel, sa marque impose très vite une signature : élégance décontractée, palette vibrante, coupes précises et une esthétique ensoleillée. Orlebar Brown séduit au passage quelques icônes du grand écran, à commencer par Daniel Craig, qui enfile l’un de ses modèles dans le film Skyfall (2012).
Rachetée par Chanel en 2018, déjà propriétaire de la marque de lingerie et de swimwear Eres, la maison britannique conserve son indépendance créative tout en bénéficiant d’un soutien de taille. Une reconnaissance qu’Adam Brown perçoit comme une chance : celle de rester fidèle à son ADN tout en s’aventurant hors de l’univers du maillot de bain. Car aujourd’hui, Orlebar Brown ne se contente plus de sublimer les silhouettes qui déambulent sur la plage : elle habille aussi les villes, les clubs et les dîners mondains. Rencontre avec un entrepreneur instinctif, pour qui la mode est avant tout une affaire de cohérence et d’émotion.


L’interview d’Adam Brown, fondateur de la marque Orlebar Brown
Numéro : Quel est votre premier souvenir lié à la mode ?
Adam Brown : J’ai manqué le mouvement punk, mais j’ai attrapé la vague new wave de plein fouet. À cette époque, il y avait à Londres un endroit génial, le Great Gear Market, sur King’s Road. Trois étages de fripes incroyables : des pantalons à rayures, des chaussures ultra pointues, des pulls en mohair, des vestes en daim que je m’amusais à découper… J’achetais aussi des chemises de bûcheron dont je coupais les manches. J’écoutais des groupes comme Siouxsie and the Banshees, The Undertones, Stiff Little Fingers… Je m’habillais dans un style qui me semblait cohérent avec cette scène. C’était sans doute un peu ridicule, mais j’avais l’impression d’être cool. C’était probablement le début de ma conscience stylistique…
Avant d’avoir lancé Orlebar Brown, vous avez été collecteur de fonds auprès de grands donateurs mais aussi photographe. Quels enseignements gardez-vous de ces précédentes vies ?
Je n’ai lancé Orlebar Brown qu’à l’âge de 40 ans. Ce n’est pas pour autant que les années d’avant ont été perdues. Aujourd’hui, il est plutôt admis d’avoir plusieurs carrières dans une vie. Et c’est probablement ce que j’ai le plus appris : il ne faut pas paniquer si l’on ne trouve pas tout de suite “le bon métier”. La vie finit toujours par vous proposer des opportunités inattendues, au bon moment…
À ce propos, quand et comment est née l’envie de fonder votre propre marque ?
L’idée m’est venue lors du quarantième anniversaire d’un ami, en Inde. Un midi, alors que je déjeunais près de la piscine, le personnel de l’hôtel m’a demandé de me changer car je portais un short de bain. Rien de grave, mais l’anecdote m’a fait réfléchir : pourquoi devrait-on choisir entre un maillot et un vrai short ? Pourquoi ne pas créer un vêtement hybride, pensé pour nager et s’attabler ? Un short taillé comme un pantalon, élégant, bien coupé, adapté aussi bien à la plage qu’au restaurant. Ce voyage m’a aussi révélé autre chose : les femmes du groupe avaient toutes préparé soigneusement leur garde-robe de vacances, tandis que les hommes semblaient avoir jeté un t-shirt et un vieux short dans leur sac en vitesse. J’ai compris qu’il existait un vrai manque : les hommes s’habillent pour travailler, courir, sortir… mais rarement pour se détendre.

“Pour moi, l’homme Orlebar Brown n’a pas d’âge, ni de profession-type.” Adam Brown
Comment s’est déroulée la suite des opérations ?
De retour à Londres, j’ai suivi un court programme sur le business de la mode. J’ai alors lancé Orlebar Brown avec une idée simple : un seul produit, décliné en cinq couleurs et quatre longueurs. J’ai commandé mille shorts, loué un garde-meuble, créé un site internet pour 4 000 livres. Il m’a fallu 18 mois pour trouver le bon fabricant. Je n’étais ni designer, ni entrepreneur aguerri. Mais le fait d’avoir un produit unique m’a beaucoup aidé. J’ai compris après coup que l’on n’a pas besoin de lancer une grande marque tout de suite. Il faut juste lancer la meilleure version possible de son idée.
Vos maillots de bain ont été portés par Daniel Craig et Hugh Jackmann. Comment définiriez-vous l’identité de l’homme Orlebar Brown ?
Pour moi, l’homme Orlebar Brown n’a pas d’âge, ni de profession-type. Ce qui le définit, c’est avant tout un état d’esprit. C’est quelqu’un qui a soif d’expériences, qui aime l’aventure, qui rit, qui explore. Pas celui qui passe ses vacances sur un canapé devant la télévision. Ce que nous proposons avec la marque, c’est une façon de vivre, pas un uniforme pour une seule catégorie sociale. D’ailleurs, notre clientèle la plus en croissance se situe entre 20 et 27 ans, tandis que nos clients les plus fidèles ont plus de 40 ans. Ce qui les réunit, c’est l’envie de vivre pleinement, avec style.
Y a-t-il eu un moment particulièrement marquant depuis la création de la marque ?
Il y en a eu plusieurs. Je me souviens du jour où nous sommes entrés chez Selfridges à Londres. Chaque week-end, j’observais les clients toucher les vêtements, les essayer, les acheter. C’est la première fois que je me suis dit : “ça pourrait vraiment marcher”. Bien sûr, voir Daniel Craig porter nos shorts dans Skyfall a été incroyable, mais ce n’est pas ce que je retiens le plus. Et puis il y a eu l’instant où nous avons lancé notre premier polo, notre première chemise, notre première pièce hors maillot de bain. J’avais toujours eu peur qu’on soit cantonnés au short de bain. Mais à ce moment-là, j’ai compris qu’on pouvait devenir une marque de prêt-à-porter à part entière, et que tout devenait possible.


“Une pièce Orlebar Brown, c’est un plaisir qu’on s’offre, comme une escapade entre amis ou un coucher de soleil sur la mer.” Adam Brown
Comment définiriez-vous vos inspirations ?
Mes inspirations ne viennent pas directement de la mode. Bien sûr, il y avait quelques figures incontournables sur mon premier moodboard (James Bond, Steve McQueen, Paul Newman), mais ce qui m’intéressait avant tout, c’était l’attitude. J’y avais mis des images d’hommes de tous âges en maillot de bain, des scènes de vacances, et surtout, des photos de Slim Aarons. Je voulais capter une certaine idée du voyage, du soleil, du raffinement. Il y avait aussi cette idée forte de “tailoring”. Car à l’époque, le marché du maillot de bain se divisait surtout entre le sport et le surf. Moi, je voulais quelque chose de soigné, du complexe dans les détails, comme un vrai vêtement, pas juste un short. Enfin, la couleur a toujours été essentielle. J’aimais composer des palettes, réfléchir à des imprimés comme ceux de David Hicks, avec des motifs géométriques.
Comment définiriez-vous les nouvelles collections d’Orlebar Brown aujourd’hui ?
Presque vingt ans après la création de la marque, on continue d’évoluer, et chaque saison s’articule autour de quelques mots-clés que je partage avec mon équipe : “rich, playful, romantic”. Par “rich”, je ne parle pas d’un prix élevé, mais de texture, de profondeur dans la couleur. Par “playful”, j’entends l’envie de rester léger, estival, sans se prendre trop au sérieux. Et “romantic”, c’est cette idée de voyage, d’évasion, de beauté un peu intemporelle. On a aussi un mot que j’aime beaucoup : treat. Une pièce Orlebar Brown, c’est un plaisir qu’on s’offre, comme une escapade entre amis ou un coucher de soleil sur la mer. On veut que le vêtement procure cette émotion. Ouvrir un colis, sentir un tissu, découvrir un détail de broderie, ça doit toujours faire naître une petite étincelle. C’est ça, le luxe selon nous : une forme de délicatesse et de joie.


“Je suis avant tout un créatif, pas un businessman.“ Adam Brown
Depuis 2018, Orlebar Brown a intégré le groupe Chanel. Quel regard portez-vous à ce sujet ?
J’en garde une immense fierté. Quand on pense que tout a commencé avec un seul short, dans une pièce de ma maison et un petit local de stockage… Se retrouver, douze ou quinze ans plus tard, aux côtés d’un nom comme Chanel, c’est une belle histoire. Mais cela reste important de le dire : Orlebar Brown fonctionne de manière totalement indépendante. Bien sûr, nous faisons partie du même groupe, et Chanel nous apporte un soutien précieux. Mais nous devons tenir debout par nous-mêmes. En tant que fondateur, savoir que votre marque est entre les mains d’une maison aussi exigeante en matière de qualité, d’authenticité, de valeurs… c’est une vraie garantie. Si cela avait été un autre groupe, tout aurait pu basculer dans une autre direction. Là, au contraire, nous avons pu continuer à grandir, tout en restant fidèles à notre ADN. Chanel a été incroyablement bienveillant avec nous depuis six ans…
En tant qu’entrepreneur, quel est le plus gros challenge auquel vous êtes confronté ?
Je ne saurais même pas par où commencer tant les défis sont nombreux. Si je devais en citer un, ce serait celui de préserver l’ADN de la marque, cette cohérence essentielle à mesure que l’entreprise grandit. Je suis avant tout un créatif, pas un businessman. Bien sûr, il y a toute la logistique et les opérations : comment produire, déplacer, livrer les articles à temps, ouvrir des boutiques, s’implanter dans de nouveaux marchés… Mais le vrai défi est de rester fidèle à ce qu’Orlebar Brown est, à ce qu’il promet. C’est un peu comme grandir : quand tu es enfant, tu ignores ce que tu deviendras adulte. Aujourd’hui, alors que la marque approche de sa majorité, elle doit assumer pleinement les promesses faites au début, en restant constante et mature.