24 fév 2021

Her Dior : le regard féminin en 5 photographes

A l’occasion de la sortie en Mars prochain du livre Her Dior : Maria Grazia Chiuri’s New Voice, qui recense le travail de 33 femmes photographes ayant travaillé avec la directrice artistique de la maison Dior, Numéro revient sur le travail de cinq d’entre elles, et sur leur manière de portraiturer la féminité.

Couverture du livre Her Dior : Maria Grazia’s new voice (2020)

“We Should All Be Feminists”. La phrase aux airs de slogan, inscrite sur un t-shirt dessiné spécialement pour le premier défilé de Maria Grazia Chiuri pour Dior traduit l’engagement clair de la part de la directrice artistique de la maison : celui de la valoriser le travail d’artistes qui proposent une vision neuve, ambassadrices de l’évolution de la perception de la femme dans la mode et dans la société. Dans son livre Her Dior : Maria Grazia Chiuri’s New Voice, la créatrice de mode renouvelle son soutien aux artistes qui proposent un regard nouveau tout en capturant l’essence de la maison de couture, recensant le travail de trente-trois femmes photographes. Numéro a choisi de présenter cet ouvrage d’anthologie artistique en cinq photographes, dont le procédé créatif et les inspirations sont fort différentes.

1. Le féminin sacré de Lean Lui

 

Difficile de résister au charme délicat des clichés de Lean Lui. Décrivant son enfance comme solitaire, la jeune photographe de 21 ans originaire d’Hong Kong a longtemps travaillé en autodidacte, avant de rejoindre un master of arts en photographie à la Central Saint Martin de Londres. Sa manière poétique de portraiturer la féminité a séduit Maria Grazia Chiuri, qui a vu en leur collaboration un moyen d’encourager les artistes proposant une vision de la femme qui s’émancipe des canons habituels. La présence de la nature, la douceur nostalgique de ses images et de ses mises en scènes créent un univers “sensible, métaphorique, émotionnel”, selon les mots de l’artiste, pour qui la photographie est un moyen de donner vie à sa propre utopie. Les clichés nostalgiques de Lean Lui s’inspirent librement du “wabi sabi”, un courant esthétique et philosophique japonais apparu au XIIe siècle, qui associe le wabi – solitude, mélancolie, dissymétrie, simplicité – et le sabi – altération par le temps, décrépitude, salissure -. La spiritualité, au coeur du travail de la jeune photographe, se remarque aussi à travers son utilisation de la symbolique du ying et du yang et des quatre éléments, qui confèrent un à ses images un caractère presque mystique, la femme y étant souvent représentée comme une nymphe ou une prêtresse des temps modernes.

 

Découvrez le travail de Lean Lui 

2. Jodi Bieber, la photographe du contexte

 

Il paraît impossible de détourner le regard face aux yeux humides de cette détenue assise sur le bord d’un lit. Dans sa série bouleversante “Women who have murdered their husband” (2005), la photographe Sud-Africaine documente la journée qu’elle a passé dans la prison pour femmes de Johannesburg afin d’y tirer le portrait de celles qui ont assassiné leurs époux, alors qu’une femme sur quatre est régulièrement battue par son mari en Afrique du Sud à la même période. Photographe et journaliste, Jodi Bieber débute sa carrière en 1994, lorsqu’elle couvre les élections démocratiques d’Afrique du Sud après avoir assisté à seulement trois workshops en photographie. Ayant obtenu de nombreux prix pour son travail, notamment le premier prix à la World Press Photo en 2010, Jodi Bieber est une photographe engagée, appartenant au courant environnementaliste. Ses modèles, toujours capturés en intérieur, sont montrés comme fondus dans leur environnement, ne semblant faire plus qu’un avec lui ; signe de l’importance accordée par la photographe à leur histoire personnelle. Suivant une démarche contextuelle, Jodi Bieber accorde un point d’honneur à capturer l’essence de son modèle en le photographiant au coeur de la mise en scène sensible de ses objets fétiches – photos, posters, peluches, grigris – et nous plonge dans ses clichés immersifs… Son mode opératoire, impliquant de mener une interview avec son modèle, lui permet d’instaurer un climat de confiance puis de saisir en images des instants empreints de vérité. Dans “Real Beauty”(2009), la photographe compile avec réalisme des femmes posant en sous-vêtement photographiées chez elles, dans leur intimité, avec pour seule consigne de faire transparaitre leur personnalité ou leur fantasme à travers leur pose.

 

Découvrez le travail de Jodi Bieber

© Tania Franco Klein

3. Les clichés mélancoliques de Tania Franco Klein

 

Semblant sortir tout droit d’un remake d’American Beauty au Far West, les images colorées et pop de Tania Franco Klein ont des airs d’affiche publicitaires des années 60, émanant pourtant d’une photographe qui semble avoir choisi la mélancolie post-moderne comme fil rouge.  Fascinée par l’esthétique du rêve américain, la photographe mexicaine née en 1990 combine dans son travail le charme glauque des motels déserts à l’ambiance moite des paysages arides de l’Ouest américain, créant de véritables tableaux aux jeux de lumières captivants. Avec précision, la photographe met en scène des femmes – y compris-elle-même – et dépeint les grands thèmes qui font la noirceur de la société capitaliste, comme le règne du divertissement, le consumérisme, ou la surstimulation médiatique. Sensible aux enjeux de son époque, Tania Franco Klein illustre à travers ses clichés les effets psychologiques induits par le rythme de vie post-seconde guerre mondiale, comme la dépression, la dissociation émotionnelle, l’anxiété et le sentiment lancinant de la perte de sens. Dans deux de ses différentes séries, “Proceed to the Route”(2018) et “Pest Control”(2015), la photographe donne vie au concept de “non-lieu” théorisé en 1992 par le sociologue français Marc Augé : des lieux de transit interchangeables où la vie ne s’installe pas mais ne fait que passer, sublimant ainsi des autoroutes ou des salles d’attentes.

 

Découvrez le travail de Tania Franco Klein

4. Julia Hetta, portraitiste et conteuse 

 

Une lumière subtile, un imaginaire riche, des compositions minutieuses… Il n’est pas difficile de cerner les influences de la photographe suédoise. Née en 1972, Julia Hetta est tombée dans la photographie étant petite, suivant son père dans la chambre noire qu’il avait construite au sous-sol de la maison familiale. Elle a d’abord dessiné et peint, puis s’essaye à la photographie, pour donner vie à son imaginaire fantastique et inspiré. Ses personnages féminins, tantôt princières ou monstrueuses, semblant sortir tout droit d’un conte de Grimm, rappellent les mystérieux clichés d’Erwin Olaf ; tandis que les poses, les couleurs et l’usage de la lumière semblent avoir été empruntés aux peintres hollandais de la Renaissance. Pour obtenir son style de portrait très pictural, Julia Hetta réalise ses clichés oniriques selon une méthode à basse technologie, qui consiste en le fait d’utiliser le moins d’artifices possibles, notamment en terme d’éclairage. La photographe préfère donc les fenêtres aux spots, et travaille exclusivement avec la lumière naturelle, suivant un temps d’exposition long, ce qui donne à ses images une texture particulière et des couleurs aux nuances fidèles à la réalité.

 

Découvrez le travail de Julia Hetta

5. La photographie humaniste de Sarah Waiswa

 

Sarah Waiswa en est venue à la photographie sur le tard. Après avoir obtenu deux diplômes en psychologie et en sociologie, la photographe d’origine ougandaise a travaillé plusieurs années en entreprise. Ce n’est qu’à l’aube de ses quarante ans que Sarah Waiswa décide de s’adonner à plein temps à sa passion : depuis le Kenya, la photographe se donne pour défi de dresser peu à peu un portrait fidèle et humaniste du continent africain à travers son travail, suivant une démarche documentaire. Marquée par son intérêt toujours vif pour la sociologie, elle retranscrit à travers ses images les enjeux de son continent, en se libérant du poids de la tradition, questionnant l’ordre établi. Dans sa série “Ballet in Kibera”(2017), la photographe met en lumière le contraste entre le stéréotype de l’enfant pauvre africain et celui de la jeune danseuse étoile, confrontant deux réalités apparemment opposées, mais qui coexistent pourtant dans un continent meurtri par les inégalités. Le ballet, souvent associé au privilège, est ici incarnée par de jeunes adolescentes dansant au coeur d’un ghetto, montrant la volonté de la photographe d’abattre les frontières tenaces qui séparent les classes sociales africaines.

 

Découvrez le travail de Sarah Waiswa

 

Le livre Her Dior : Maria Grazia Chiuri’s New Voice, sera disponible en librairie à partir du 8 mars 2021.