Givenchy, Chanel, Lacroix… 3 créations haute couture vintage à découvrir chez Christie’s
Du 11 au 25 janvier 2023, la maison Christie’s organise la vente d’une sélection de 115 créations de haute couture exceptionnelles signées Yves Saint Laurent, Chanel, Givenchy ou Christian Lacroix, datées des années 70 jusqu’à la fin du 20e siècle, qu’ils exposeront dans leur locaux parisiens à partir du jeudi 19 janvier. La commissaire-priseur Camille de Foresta révèle les secrets de trois trésors qui passeront sous sous le marteau.
Par Camille Bois-Martin.
Des ensembles Chanel des eighties signés Karl Lagerfeld, des créations Givenchy imaginées par Hubert de Givenchy lui-même dans les années 70, mais aussi par Alexander McQueen à la fin des années 90, des pièces Yves Saint Laurent par dizaines… Voilà un aperçu de ce que l’on peut trouver actuellement parmi les 115 lots de la vente aux enchères “De Chanel à Saint Laurent, une garde-robe haute couture” proposée par la maison Christie’s, tous issus d’une même collection privée. Sa propriétaire, qui conserve l’anonymat , était en effet passionnée par le travail de ces créateurs et en comptait même certains parmi ses amis. D’ailleurs, elle n’achetait pas ces vêtements pour les collectionner, mais pour s’en vêtir lors d’occasions professionnelles et mondaines : “Cette femme est vraiment quelqu’un qui a porté haut les couleurs de la haute couture française, explique Camille de Foresta, commissaire-priseur de la vente, qui se déroule en ligne sur le site de Christie’s du 11 au 25 janvier. Toutes ces pièces constituent vraiment le dressing d’une élégante.” Exposées à partir du 19 janvier dans les locaux parisiens de la maison d’enchères jusqu’à la fin de la vente, où elles révèleront toute leur séduction par la magie d’une scénographie imaginée par l’architecte libanaise Aline Asmar d’Amman.
Estimées entre 800 et 6 400 euros, les pièces proposées au public sont tous des “potential suspects”, comme les surnomment les maisons d’enchères, c’est-à-dire des lots susceptibles d’atteindre des records. Surtout sous le marteau de Camille de Foresta qui, grâce à sa fine connaissance du sujet, son instinct, et plusieurs coups de chance, a déjà permis à de nombreuses pièces exceptionnelles d’atteindre des sommets. Depuis 2019, elle détient, avec une veste Tournesols imaginée par Yves Saint Laurent en hommage à Van Gogh pour sa collection printemps-été 1988, le record du monde du vêtement le plus cher jamais vendu aux enchères, culminant à 382 000 euros. Un petit bijou extrait de la garde-robe de l’actrice française Catherine Deneuve, qui n’a rien à envier aux pièces de haute couture actuellement proposées. Pour Numéro, la commissaire-priseur dévoile les secrets de trois créations d’exception présentes dans cette vente.
2. Karl Lagerfeld pour Chanel : une création flamboyante brodée de fils d’or
“Posséder une pièce Chanel de Karl Lagerfeld datée des années 80, c’est le Graal !” se réjouit Camille de Foresta à propos de cette robe du soir, imaginée par le créateur allemand pour la collection haute couture automne-hiver 1988-1989 de la maison française. En découvrant la robe parmi le riche vestiaire de sa propriétaire, la commissaire-priseur (qui est aussi spécialiste des arts asiatiques chez Christie’s), a d’abord pensé trouver une tunique d’inspiration extrême-orientale. “Puis j’ai vu la photo du défilé et j’ai compris que ce n’était pas du tout le cas”, confie-t-elle. Sur le podium, en effet, la jeune mannequin Cristina Córdula portait la pièce avec une jupe en taffetas brun et un grand chapeau à plumes, qui rappellent aussitôt à Camille de Foresta les tenues représentées dans le tableau Les Ambassadeurs de Hans Holbein Le Jeune (1533). Il faut dire qu’au 16e siècle, à l’époque où le peintre réalise cette toile, les soieries et les broderies dorées au motif Tudor, rapportées d’Extrême-Orient, étaient considérées comme le comble du luxe. “Avec cette pièce, on se rend surtout compte de l’importance de la collaboration entre le brodeur Lesage et Chanel”, une coopération si étroite d’ailleurs que le brodeur d’art a été racheté par la maison de la rue Cambon. Cette robe brodée de perles et de fils d’or est le symbole de la collaboration fructueuse entre la maison de couture et le brodeur. Une collaboration que l’on doit uniquement au flair de Karl Lagerfeld. En effet, avant l’arrivée de celui-ci à la direction artistique de Chanel en 1983, Gabrielle Chanel jusqu’à sa mort avait refusé de travailler avec Lesage, en raison de l’aversion qu’elle éprouvait pour Elsa Schiaparelli qui faisait régulièrement appel à cette maison de broderie. “Ce qui est vraiment génial dans cet ensemble, c’est ce col blanc amovible, souligne la commissaire. Il exprime tout le génie de Karl : c’est sa petite touche, sa pensée originale qui tranche avec le reste” – autant qu’un élément qui deviendra indissociable du look emblématique du créateur. Sous la houlette de du grand couturier, les collections Chanel n’ont cessé pendant 36 ans de se teinter de mythologie et d’histoire, vivier inépuisable pour le créateur qui s’illustra dans cette maison jusqu’à sa mort, en 2019.
3. La robe Christian Lacroix entre artisanat et haute couture
1997 marque les dix ans d’une autre maison qui anima la haute couture parisienne dans les années 90, Christian Lacroix, connue pour son style coloré fortement inspiré des racines arlésiennes de son fondateur. “Si j’apprécie particulièrement cette pièce, c’est avant tout parce que j’ai beaucoup appris sur le créateur en la découvrant”, avoue Camille de Foresta, encore subjuguée par la qualité de son tissu. Le couturier français, qui collaborait lui aussi régulièrement avec la maison Lesage, est allé encore plus loin pour concevoir cet ensemble, en faisant appel à Anne Corbière, artisane spécialisée dans le textile d’ameublement. Celle-ci va imaginer des tissus haute couture exclusifs pour deux collections de Christian Lacroix, une première fois en 1994, puis de nouveau en 1997 avec cette veste en lainage tissé appliqué de dentelle et cette robe en dentelle et soie doupion laquée assortie. L’ensemble résume à lui seul le style de Christian Lacroix, passionné par le sud de l’Europe et en particulier par la culture et la mode de l’Espagne : on retrouve ses inspirations dans le tissu rouge orangé brodé de dentelle noire, la coupe courte de la veste qui évoque celle des boléros, tandis que le drapé de la jupe rappelle, lui, le plissé des robes andalouses… Si la décennie qui suivra verra les ventes de Christian Lacroix chuter, contraignant le créateur à fermer sa maison en 2009, ce dernier se spécialisera ensuite dans la création de costumes pour le théâtre, laissant définitivement la haute couture derrière lui. Les pièces exposées et vendues chez Christie’s perpétuent le souvenir de sa période dorée et soulignent l’importance du septuagénaire dans l’histoire de la haute couture et du savoir-faire français.
Vente en ligne sur le site de Christie’s jusqu’au 25 janvier. Exposition de 115 pièces du 19 au 25 janvier dans l’espace parisien de Christie’s, 9 avenue Matignon, Paris 8e.
1. Le tailleur haute couture d’Alexander McQueen pour Givenchy, merveille de tailoring
En 1996, une étoile montante de la mode surgit à la tête de Givenchy, le jeune Britannique Alexander McQueen, à peine âgé de 27 ans. Un an plus tôt, le fondateur Hubert de Givenchy, à 68 ans, avait en effet cédé la direction artistique à un autre créateur britannique, John Galliano, resté à peine un an. Après son passage éclair, “l’arrivée d’Alexander a été une révolution”, rappelle Camille de Foresta. Il y restera jusqu’en 2001, date à laquelle il en partira pour se consacrer exclusivement à son propre label. Le créateur apporte à l’honorable institution parisienne un vent de modernité – et son lot de scandales – dans une maison aristocratique qui n’habillait jusqu’alors que les “jolies dames”. De fait, Alexander McQueen ne vient pas du tout même milieu qu’Hubert de Givenchy. Issu d’une famille modeste, le créateur londonien a grandi loin des ateliers haute couture et des soirées mondaines dans lesquelles Hubert de Givenchy gravitait. La nomination d’Alexander McQueen est un véritable séisme tant aux yeux de la critique que des clientes de la maison. Orchestrant des shows mémorables, il ne recule devant aucune audace, laissant libre cours à son imagination débridée sur les podiums. Un long voile en dentelle retenu par des mains squelettiques, une coiffe dorée évoquant des cornes de béliers, un corset en Plexiglas orné de lumières LED et de puces informatiques… il regorge d’idées, toutes plus spectaculaires les unes que les autres, qui lui vaudront le surnom d’“enfant terrible de la mode”. En 1997, pour la collection haute couture automne-hiver 1997-1998, le Britannique s’inspire ainsi du roman de H.G. Wells paru un siècle auparavant, The Island of Dr Moreau l’histoire d’un scientifique fou hybridant des hommes et des animaux. Un nouveau prétexte à imaginer des pièces fascinantes mêlant plumes, fourrure et motifs animaliers. “Cette collection, sa troisième chez Givenchy, a été plébiscitée. Pour la première, bien sûr, il était attendu au tournant. La suivante devait confirmer son travail. Cette troisième collection l’a fait définitivement entrer dans la partie”, analyse la commissaire. Extraite de cette collection, la robe-manteau en satin vert brodée de dentelle noire mise en vente chez Christie’s traduit toute la virtuosité d’Alexander McQueen, tailleur de formation. Avec ses épaules pagode et sa taille cintrée, il dessine une silhouette sculpturale, affirmée et puissante, mêlée de sensualité. Le satin vert rayé ton sur ton, rehaussé de délicates frises de lambrequins de dentelle perlée noire, font de cette pièce remarquable un vêtement que pourrait arborer un courtisan de Louis XVI aussi bien qu’une mondaine des années 90. Ce tailoring affûté fait encore aujourd’hui partie de l’ADN du label Alexander McQueen, malgré la disparition tragique du créateur en 2009.