“Fire Station” : La Caserne lance ses propres balls voguing
Ce dimanche 18 février, l’incubateur de mode La Caserne met la culture queer à l’honneur et lance “Fire Station”, une série de mini balls voguing qui se dérouleront directement sur place, dans le club Carbone. Pour en savoir plus, Numéro revient sur le podcast FAYA qui, en 2022, explorait justement la culture ballroom, les racines du voguing et des balls, compétitions de danse et de mode autrefois underground.
Par Camille Bois-Martin.
La Caserne lance ses premiers balls voguing ce dimanche 18 février 2024
C’est un nouveau rendez-vous qui risque de faire beaucoup de bruit. L’équipe de La Caserne – un incubateur de mode situé dans le Xe arrondissement de Paris –, met la culture queer à l’honneur et lance une série de mini balls voguing dans l’enceinte du club Carbone, antre qui habrite d’ordinaire les soirées Bisou, du jeudi au samedi. C’est ce dimanche 18 février, de 19h00 à 00h00 que les performeurs s’affronteront lors de la première “Fire Station”, une compétition bienveillante imaginée en collaboration avec l’artiste Hanabi Mugler. Pour cette première édition flamboyante, l’incubateur a proposé au jeune créateur Arturo Obegero, collaborateur d’une certaine Beyoncé, de rejoindre le jury de la catégorie “runway”. Pour l’occasion, il habillera Hanabi Mugler et le maître de cérémonie, tandis que le prix de la catégorie “runway” sera une pièce issue de sa propre collection.
Aux origines des balls voguing
Le 12 avril 1888, William Dorsey Swann est arrêté à Washington DC. Son délit ? L’Américain porte une robe en satin crème. Né esclave, il est le premier homme dans l’histoire du pays à être arrêté pour s’être travesti en femme, ainsi que le premier à se décrire comme une “queen of drag” (“reine du drag”) avant même l’émergence du terme “drag-queen”.
Dans les années 1880 et 1890, il organise régulièrement des balls, évènement interdits et gardés secrets où des hommes noirs dansent et défilent en tenues féminines. Une des chorégraphies les plus dansées à cette époque s’intitule par exemple le CakeWalk, et reproduit la gestuelle maniérée des riches propriétaires blancs de plantations. Petit à petit, un groupe se forme autour de William Dorsey Swann, jusqu’à donner naissance à une maison : la “House of Swann”.
Fondatrice de la culture ballroom et du voguing, qui s’est ensuite particulièrement développée dans les années 1980 au sein des communautés queer afro-américaines et latinos new-yorkaises, cette histoire est racontée par le journaliste, DJ et ethnomusicologue Renaud Brizard dans son podcast Faya, centré sur l’histoire du dancefloor en s’arrêtant sur des régions, cultures, et genres musicaux du monde entier. Après avoir exploré la musique mahraganat au Caire, la drill ghanéenne ou encore l’afro-dutch aux Pays-Bas, le podcast parcourt la richesse de la scène ballroom en trois épisodes à travers les trois régions où elle est la plus développée : New York, la ville qui l’a vue naître, Paris, où elle est en pleine expansion depuis dix ans, et plus récemment le Brésil, où ses figures n’hésitent pas à hybrider ses codes avec les danses et genres musicaux sud-américains. “Le ballroom est une culture avec sa communauté, son histoire, ses figures, ses codes, ses espaces, ses modes d’expression, et son vocabulaire”, explique-t-il au sein de son émission.
La ball culture et ses houses
Une culture devenue si populaire au fil de cette dernière décennie, qu’une remise en contexte s’avère nécessaire. Le journaliste revient ainsi aux racines du mouvement, qui remontent à la fin du 19e siècle, et sur son affirmation au 20e siècle, qui le structure progressivement.
Des concours de drag-queens dans les années 40 qui attirent plusieurs milliers de spectateurs dans le quartier populaire de Harlem, aux grandes battles de danse entre houses dans les boites de nuits des années 1980, les balls s’ouvrent à un public de plus en plus large, plus seulement cantonné à des personnes de couleur, au sein duquel tous cherchent à s’exprimer et à “performer” les codes de la société dominante. De New York à Paris, la ball culture se développe majoritairement à travers ses houses – soit des “familles choisies” dans lesquelles les performeurs se regroupent pour concourir dans les différentes catégories du ball et espérer remporter un trophée.
Des règles se définissent à mesure que les compétitions se multiplient, par type de participants – fem queens pour les femmes transgenres, butch queens pour les homosexuels performant leur masculinité –, et par catégories, qui se déclinent aujourd’hui en plusieurs dizaines : runway (défilé), face (visage), body… ou encore realness, qui joue sur les stéréotypes de genre, de race et de classe. La catégorie “executive realness” consiste par exemple à copier l’apparence d’un homme ou d’une femmes d’affaires blancs et leurs privilèges.
Alors que ces compétitions attirent de plus en plus de public, la scène ballroom voit également la naissance du voguing, danse composée de mouvement saccadés inspirés par les poses des mannequins en couverture des magazines de mode qui devient emblématique de cette culture. Madonna lui rend d’ailleurs hommage dans son single Vogue en 1990, dont le clip et les performances scéniques mettent en scène des danseurs de la scène ballroom.
“Dans les balls, chacun cherche à s’exprimer et à “performer” les codes de la société dominante.”
En point d’accroche des épisodes inédits du podcast Faya, on écoute des extraits du dernier album studio de Beyoncé, Renaissance (2022), qui mêle plusieurs genres musicaux comme la soul, le funk et le disco. “C’est presque comme si on était dans le studio 54, la boîte de nuit mythique de Broadway à New-York dans les années 80, mais téléporté dans le monde d’aujourd’hui”.
Un album totalement imprégné par cette culture selon Renaud Brizard, qui l’a motivé à lui consacrer trois épisodes. D’une durée d’environ trente minutes, chacun se situe à mi-chemin entre une playlist et une émission, alternant entre extraits de chansons, récits du journaliste et ses invités spécialistes du sujets. On peut ainsi entendre dans ces nouveaux épisodes l’incontournable DJ et producteur MikeQ, le danseur Vinii Revlon, la danseuse et activiste Lunna Montty… autant de figures influentes qui se succèdent à son micro pour une plongée condensée, rythmée mais complète dans cette scène foisonnante qui de plus en plus le vent en poupe.
En attestent le succès de la série Pose sur FX, centrée sur cet univers dans le New York du début des années 90, le lancement de l’émission Legendary sur HBO en 2020 invitant des houses à s’affronter au fil des épisodes, ou encore le développement de ces fameux balls en France à la Gaité Lyrique ou au Carreau du Temple, qui en sont régulièrement les hôtes au cœur de la capitale française.
Fire station (mini ball). La Caserne, 12, rue Philippe de Girard, Paris Xe.
Faya, un podcast de Renaud Brizard produit par Nique – La radio. Série Le Ballroom de 3 épisodes (2022), disponible sur toutes les plateformes.