23 fév 2021

Qui est Daniel W. Fletcher, le créateur londonien popularisé par Netflix qui lance sa première collection femme ?

Connu pour ses collections homme élégantes mêlant denim, tailoring et détails raffinés, le créateur britannique Daniel W. Fletcher entame un véritable tournant pour son label, lancé il y a six ans. Il présente sa première collection féminine, composée de 18 silhouettes reprenant les fondamentaux de son identité créative. Numéro l’a rencontré.

Propos recueillis par Matthieu Jacquet.

Dans le monde de la mode britannique, le nom de Daniel W. Fletcher est désormais familier. Il faut dire que dès sa sortie de la Central Saint Martins, il y a six ans, il n’a pas perdu de temps pour prendre ses marques dans la mode masculine, rejoignant rapidement le très prisé calendrier de la Fashion Week londonienne. Au fil de ses présentations, le label pose son identité en appuyant sur certaines caractéristiques : l’utilisation élégante d’un denim haut de gamme dont les surpiqûres adoptent des formes originales, une palette douce et lumineuse, des contrastes de couleur, des silhouettes très ajustées, mais également un hommage permanent à la tradition britannique. Passé par Burberry et Lanvin, Daniel W. Fletcher crée ensuite des accessoires pour Louis Vuitton homme, et rejoint en 2017 la liste des finalistes du prix LVMH, jusqu’à participer à l’émission de mode Next in Fashion sur Netflix, qui lui offre une certaine notoriété et lui apporte une toute nouvelle audience. Aujourd’hui, il franchit encore une nouvelle étape. Pour la première fois depuis la création de son label il y a six ans, le créateur britannique dévoile pour son label une collection de prêt-à-porter féminin. On y retrouve son infaillible sens de l’élégance, avec des tonalités de bleu marine profond et de blanc écru. Il réinterprète avec virtuosité le manteau de pompier en satin de soie, double d’une laine précieuse une veste en denim blanc, drape une robe fluide autour du cou à la manière d’un foulard, ou encore utilise le patchwork pour créer des pièces en damier blanc et rouge. Pour Numéro, le jeune trentenaire a accepté de commenter cette collection et ce tournant inattendu pris par son label.

 

Numéro : Votre ascension a été fulgurante. À peine diplômé de la Central Saint Martins en 2015, vous avez lancé votre propre label. Depuis, l’industrie de la mode et le monde ont beaucoup changé. Comment avez-vous évolué au fil de ces six dernières années ?

Daniel W. Fletcher : Quand j’ai passé mon diplôme, je n’avais pas prévu de lancer un label si tôt, mais Opening Ceremony m’a rapidement approché pour acheter mes vêtements, ce qui m’a incité à créer ma marque, sans savoir exactement ce que j’allais en faire. À l’époque, je commençais à travailler pour Louis Vuitton et je comptais m’installer à Paris, mais pour répondre à cette opportunité inédite, j’ai dû partager mon temps, chaque semaine, entre la France et Londres pour travailler en parallèle sur mon label. À la fin de cette année exténuante, j’avais vraiment envie de m’investir complètement dans Daniel W. Fletcher et de développer mon label. Ces cinq dernières années, je suis donc passé de mes premiers pas à la Fashion Week londonienne à l’extension de mes points de vente, tout en apprenant énormément de choses, auprès des diverses grandes maisons pour lesquelles j’ai travaillé, sur la façon de diriger mon entreprise. Le plus grand changement récent concerne notre site marchand, car c’est là que notre activité s’est beaucoup développée cette année, à cause du Covid-19. Cela m’a permis de mieux identifier ma clientèle et m’a aussi inspiré le lancement du prêt-à-porter féminin.

 

 

“Travailler avec Lucas Ossendrijver et Kim Jones m’a vraiment appris à raconter une histoire avec mes collections”

 

 

Vous avez travaillé pour Burberry, Lanvin, créé des accessoires pour Louis Vuitton homme, fait du consulting pour la ligne homme de JW Anderson… Comment ces expériences avec de grandes maisons ont-elles nourri votre propre label ?

J’ai appris des choses différentes de chacune. Chez Lanvin et Louis Vuitton, en particulier, travailler respectivement avec Lucas Ossendrijver et Kim Jones m’a vraiment appris comment raconter une histoire, comment passer un message et créer des connexions avec les clients par le biais de mes collections. Avant, je définissais des thèmes pour chaque collection, mais grâce à eux, j’ai pris conscience que l’univers de chacune d’elles doit d’abord venir du cœur pour que le message soit le plus clair pour tous.

Vous avez participé à l’émission de mode Next in Fashion sur Netflix, une compétition où vous êtes allé jusqu’en finale. Il y a longtemps eu un clivage entre les créateurs passés par ce genre de programmes télévisés et ceux quifigurent  dans les calendriers officiels des Fashion Weeks, davantage pris au sérieux. Cette opposition est-elle dépassée ?

Avant de participer à l’émission, j’étais très angoissé par cette possibilité d’être décrédibilisé, puisque mon label était déjà inscrit à la Fashion Week de Londres. Mais je pense qu’une évolution a eu lieu ces dernières années, notamment dans la manière dont les créateurs deviennent connus. Aujourd’hui, certains peuvent créer leur label de toutes pièces sur Instagram et être pris au sérieux. Évidemment, il est toujours important d’apprendre son métier en passant par des études de mode, des maisons établies, apprendre à coudre et à sourcer ses matériaux, mais il n’y a plus un parcours unique pour y arriver. Next in Fashion est une bonne émission, pas scabreuse comme certains programmes de télé-réalité. Sachant tout cela, j’ai joué le jeu. Être hors de mon studio, coudre tous les jours et travailler sans cesse sur de nouveaux projets était un challenge intéressant, car aujourd’hui je passe beaucoup plus de temps dans la gestion de mon entreprise que dans la couture. Par ailleurs, cette émission a étendu ma clientèle : avant, je me concentrais surtout sur les clients et acheteurs des Fashion Weeks, mais grâce à la notoriété qu’elle m’a apportée, j’ai pu toucher un grand nombre de personnes qui n’avaient jamais entendu parler de moi.

 

 

“Notre collection femme est moins féminine que nos collections homme !”

 

 

En décembre 2019, vous avez été nommé directeur créatif des collections homme de Fiorucci, une maison italienne qui a connu son apogée dans les années 70 avant de fermer ses portes, puis renaître de ses cendres en 2017. En quoi est-il stimulant pour vous de travailler pour une telle maison ?

Ce qui est génial chez Fiorucci, c’est leur fonds d’archives incroyable, auquel de nombreux créateurs ont contribué au fil du temps. Cela m’a aidé à ajouter ma propre patte, car il y a déjà un tel héritage dans lequel puiser ! Je pense que la clientèle de la maison est un peu plus jeune que la mienne, et l’esthétique globale plus fun et légère que celle de mon label, au style plus “habillé” et sérieux. C’est cette opposition qui m’aide à me concentrer autant sur les deux, car elle me permet de compartimenter mon esprit. Si les deux marques étaient trop proches, le manque de contraste me perdrait.

 

 

Parlons de votre première collection féminine : pour quelqu’un qui a toujours créé pour l’homme, cela a-t-il été difficile pour vous – techniquement, notamment – de passer à la femme ?

Cela fait des années que nous vendons à des clientes qui achètent les pièces masculines, donc du côté du design, notre processus n’a pas beaucoup changé. Je dirais même que notre collection femme est moins féminine que nos collections homme ! Celle-ci s’inspire du vestiaire masculin traditionnel, du tailoring et des silhouettes ajustées, tandis que j’aime ajouter plus de féminité à mes ensembles masculins pour les subvertir un peu. Pendant mes études, je me suis immédiatement spécialisé en prêt-à-porter masculin, donc je n’ai jamais appris à créer pour la femme à proprement parler. C’est pourquoi parfois, quand je travaillais sur des robes pour cette nouvelle collection – ce qui était très nouveau pour moi –, j’étais très anxieux de ne pas pouvoir y arriver. Pour l’homme, j’ai l’habitude de travailler sur table, en dessinant directement mes patrons à plat. Ici, certaines pièces ont nécessité de travailler directement sur mannequin, notamment pour draper le tissu : c’est comme si les robes prenaient vie à ce moment-là, c’était très nouveau pour moi, mais finalement ça a fonctionné.

Pour imaginer les 18 silhouettes de votre nouvelle collection, vous vous êtes replongé dans les archives de votre label, ce que l’on constate à travers des éléments clés de votre identité créative : le denim, les chaînes, le tailoring, les surpiqûres contrastées… Selon vous, où la signature Daniel W. Fletcher se retrouve-t-elle le plus dans ce nouveau vestiaire ?

Je crois que ce qui nous caractérise le plus, c’est le fait de reprendre quelque chose de très traditionnel lié à l’héritage britannique pour l’emmener ailleurs, à l’instar de ce pull militaire auquel nous ajoutons des patchs satinés et des chaînes métalliques. Nous attachons beaucoup d’importance au savoir-faire de notre pays également : pour moi qui ai grandi en Angleterre du Nord au milieu de toutes ces usines et industries, c’est un moyen de perpétuer mon propre héritage. À l’époque, il y avait tellement de petites mains et artisans de talent… c’est vraiment dommage qu’ils aient disparu. J’ai eu envie de revenir à cela. D’ailleurs, tous les matériaux et les pièces viennent du Royaume-Uni.

 

 

À ce propos, j’ai appris que vous vous étiez découvert une passion pour le patchwork pendant le confinement. Comment avez-vous intégré cette technique dans votre collection ?

En effet, pendant le premier confinement j’ai commencé à m’amuser avec des patchworks et à réfléchir à des manières de marier les matières que j’avais à disposition. Ensuite, nous avons fait appel à des couturières indépendantes à Londres pour assembler nos chutes des précédentes collections afin de créer de nouvelles pièces. En résultent quelques-unes de nos pièces phares de la saison, comme une veste, une robe et un pantalon contrasté à damier blanc et rouge.