14 avr 2020

FaceTime with… fashion designer August Getty

En période de confinement, Numéro continue à s’intéresser aux artistes et créateurs qui accompagnent ces journées passées chez soi. Aujourd’hui, le créateur américain August Getty, à l’origine de la maison de haute couture August Getty Atelier fondée en 2012, évoque ses futures collections, ses idées pour s’occuper à la maison et ses conseils pour rester glamour en toutes circonstances.

Propos recueillis par Matthieu Jacquet.

Vous avez posté ironiquement sur Instagram: “Aujourd’hui c’est le jour… pour faire exactement la même chose que la veille”. Quelle est votre routine quotidienne en ce moment?

Je me réveille, je prends mon café… Il se pourrait bien qu’il y ait du Redbull dans ma tasse, je ne vais pas mentir [Rires]. Chaque matin c’est un peu différent : les premières semaines je restais éveillé très tard, j’appelais mes amis pour m’assurer que tout le monde allait bien. Maintenant j’ai trouvé mon rythme : je me lève tôt, je prends mon café, je m’assois sur mon canapé et je dessine. Cette période m’a vraiment donné le temps d’épouser ma créativité comme quand j’étais enfant, à l’époque où je ne savais faire rien d’autre que dessiner. J’ai deux collections en tête actuellement, je ne sais pas quand elle seront dévoilées mais je suis très enthousiaste ! Je suis régulièrement en ligne avec l’équipe de mon atelier, et nous réfléchissons à de nouvelles manières créatives d’aider les personnes chez elles.

 



J’ai vu que vous vouliez créer des livres de coloriages…
Oui ! [Il Crie] Depuis une éternité ! Ils arrivent bientôt, dans les semaines à venir, je le jure. J’ai publié la vidéo où j’en parle sans prendre conscience de tout le travail que cela allait me demander. C’est comme cela que je les rends fous, dans mon équipe, j’ai plein d’idées et j’en parle à tout le monde tellement j’ai hâte de les exécuter. Mes collègues me disent : “August, tu ne te rends pas compte la quantité de travail que cela implique”, et je leur réponds: “Mais c’est pour le monde entier!” [Rires] Le coloriage est quelque chose que j’adore depuis mon enfance. C’est tellement simple que j’espère que cela peut aider à revenir à un moment plus calme et paisible. Nous allons aussi intégrer à ce projet une dimension philanthropique, pour aider dans la lutte contre le Covid-19.

 

 

“J’ai toujours dit que le café avait meilleur goût lorsque l’on met du rouge à lèvres avant, mais si vous voulez porter un jogging, allez-y !”

 

 

Il paraît que vous avez commencer à créer des vêtements à l’âge de 3 ans, lorsque vous réalisiez des mini-robes à partir de serviettes en papier. Est-ce que vous vous retrouvez en ce moment à transformer des objets de votre maison? 

Pour l’instant je m’en tiens à mon carnet de croquis, mais je suis en train d’imaginer de nouvelles idées afin de travailler au sein de la mode. J’ai eu l’idée incroyable d’une comédie musicale, donc je commence à créer autour de ça, j’écris un peu de musique, mais tout reste dans mon carnet. Mon carnet, c’est ma maison ! [Il fait une pause] Désolé je parle beaucoup avec mes mains, ce sont mes origines italiennes qui ressortent. 

 

Comment rester inspiré quand on est coincé chez soi?

Je suis toujours allé chercher au-delà de ma propre vie pour m’inspirer, créer m’a toujours permis de m’évader. Donc j’imagine des choses qui ne sont pas forcément dans le cadre que je connais mais s’inscrivent dans une nouvelle vie, un nouveau monde fantastique. Si je créais pour le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, je perdrais la boule car c’est ce que je vis tous les jours, donc j’essaie de maintenir une séparation entre les deux. Je dis toujours que ma vie est en équilibre entre le rêve et la réalité, et j’essaie de tenir sur cette corde raide.

Ces journées passées enfermé chez soi amènent souvent à revisiter ce qui avait été abandonné auparavant, à se mettre à faire des choses inattendues ou un peu idiotes. Quels sont vos plaisirs coupables du moment?
J’en ai tellement… J’ai l’impression que le monde entier fait des live Instagram en ce moment. Mon amie drag queen Rhea Litré organise chaque semaine un drag show en direct sur Instagram qui s’appelle “Quarantine queens”, et je me joins à elle de temps en temps. D’autres le font aussi, mon ami danseur Mark Kanemura notamment, qui invite les gens à danser avec lui en direct… Tous ces gens font partie de ma communauté, la communauté LGBTQ, et nous devons les soutenir. Je ne suis pas très bon pour faire des lives tout seul, mais je vais commencer bientôt une série de directs avec d’autres artistes et créateurs. J’ai hâte!

 

Que faites-vous lorsque vous êtes en live avec eux? Du playback sur les chansons?

Est-ce que je fais du playback? Non voyons, je chante avec eux! Il arrive même que je sorte une perruque ou deux…

 

Vous avez dit que vous vouliez “prouvez que le glamour était toujours vivant” avec vos créations. Quels sont vos conseils pour rester glamour jour après jour, tout en restant chez soi?
Le milieu de la haute couture va me détester pour avoir dit ça mais… tout ce qui peut vous aider à vous sentir bien durant cette période, faites-le. J’ai toujours dit que le café avait meilleur goût lorsque l’on met du rouge à lèvres avant, mais si vous voulez porter un jogging, allez-y, si vous voulez vous coiffer, faites-le, si vous voulez prendre un bain de nuit avec un verre de vin dans les mains parce que vous en ressentez le besoin, n’hésitez pas. Même si vous voulez vous mettre un peu de highlighter et une robe pour parler sur FaceTime avec votre mère, lancez-vous!

 

 

“Je pense qu’il y a une “Getty girl” en chacun d’entre nous.”

 

 

Et la “Getty girl”, que fait-elle en ce moment?
Je pense qu’il y a une “Getty girl” en chacun d’entre nous. C’est une personne qui, avant tout, a de la compassion et de l’empathie et qui va tout faire pour aider qui elle peut. Je dis toujours qu’elle a le cœur de la princesse Diana : c’est la princesse du peuple! En ce moment, la Getty girl est dans mon cahier, elle est en train de naître, elle accouche d’elle-même et prend son temps pour se réinventer. En bref, elle est à l’état d’œuf.

 

Pouvez-vous nous en dire plus sur les collections que vous dessinez actuellement?

Vous êtes un vrai fouineur ! Bon, je comprends, c’est votre travail. L’une sera très colorée et bruyante, musicalement. L’autre est un peu son antithèse, elle est très calme et “gentil” [En français]. Elles viennent de deux mondes complètement différents.

 

Les tenues de soirée sans qu’aucune soirée n’aie lieu peuvent sembler un peu superflues en ce moment, mais peuvent aussi amener l’occasion de redécouvrir sa garde-robe et de trouver de nouveaux usages à ses vêtements. En portant vos créations, qu’est-ce qu’une femme pourrait faire chez elle?

Être aussi créative qu’elle peut. Nous nous amusions avec une amie à l’idée d’organiser un défilé de mode en direct sur Instagram avec toutes nos créations favorites. Et en y réfléchissant, on s’est dit que c’était une idée géniale. C’est une manière de réutiliser la mode déjà produite, c’est bénéfique pour la planète et cela permet d’être créatif en s’amusant, en prenant une heure par jour pour se connecter à ses amis. L’un des plus grands changements de notre maison est que nous souhaitons rendre la haute couture la plus accessible possible. Elle n’est plus aussi élitiste qu’avant, nous avons pris conscience que l’art était pour tout le monde. C’est pourquoi je trouve ça incroyable que toute l’industrie de la mode communique virtuellement. Tout le monde a Internet aujourd’hui, mais tout le monde ne peut pas se rendre à Paris. 

 

Pensez-vous que l’on a autant besoin de la mode que de l’art dans cette période particulière?

Écoutez, Andy Warhol a dit un jour : “L’art est quelque chose dont personne n’a besoin”. Moi, je pense que tout le monde a besoin de créer. Pour moi, cela amène à exprimer qui l’on est et tout le monde a besoin de sa petite dose d’art, même si celle-ci passe par des… j’allais dire des chaussures plates, mais j’ai changé d’avis. [Rires] Mais par tout qui ne soit pas des chaussures plates !

Cheveux rose poudré impeccablement coiffés au gel, tasse de café à la main – qui pourrait bien, nous confiera-t-il, contenir du RedBull – et un sourire affable aux lèvres, August Getty prend place devant son étagère noire parfaitement ordonnée pour répondre à nos questions. Il est 9h00 du matin à Los Angeles, le jeune homme vient de se lever et se prépare à une nouvelle journée passée dans sa résidence, où il est confiné depuis plusieurs semaines. Deux mois seulement après avoir présenté la collection haute couture printemps-été 2020 de sa maison August Getty Atelier à Paris, le créateur américain s’est vu – comme tous les habitants des États-Unis – contraint de ne pas sortir de chez lui afin de limiter le plus possible la propagation du virus Covid-19. L’occasion pour lui de se replonger dans son imaginaire et ses carnets de croquis pour imaginer ses prochaines collections. Entre livres de coloriages, défilés de mode en direct sur Instagram et conseils pour rester glamour chez soi, le couturier nous parle de ses derniers projets…

 

Numéro: Pour commencer, comment vivez-vous la situation actuelle?

August Getty: C’est une période difficile pour tout le monde. J’ai beaucoup de chance d’avoir accès à la nourriture et à l’eau potable ici à Los Angeles à l’heure d’une vraie prise de conscience de l’injustice aux États-Unis. Je suis proche de ma famille ici, ce qui est très bien. 

 

Le temps semble radieux à Los Angeles, cela doit être frustrant de ne pas pouvoir en profiter…
Hier il a plu, et cela m’a rappelé que la vie est là, que la Terre continue de tourner. Cela me rend heureux de voir que Mère Nature ne s’est pas arrêtée, et encore plus heureux de ne voir aucune voiture sur les routes car cela veut dire que tout le monde reste chez soi !

 

Que faisiez-vous la veille du début du confinement?

Je passais quelques jours à Miami quand la pandémie est arrivée aux Etats-Unis, je ne savais pas quoi faire et j’ai finalement décidé de rentrer à Los Angeles. J’étais donc dans l’avion juste avant le début de la quarantaine. C’était l’anniversaire d’une amie, personne dans le groupe ne prenait ça au sérieux. Je leur ai dit: “Les amis, je ne suis pas sûr que vous comprenez ce qui se passe : nous devons rester chez nous”. Maintenant, c’est devenu un impératif moral. Nous devons nous protéger les uns les autres, protéger nos proches, si nous voulons pouvoir nous revoir un jour. Le parc ressemblera toujours au parc, et la plage ne va pas changer en deux mois, donc il nous suffit juste d’attendre!

 

 

“Je dis toujours que ma vie est en équilibre entre le rêve et la réalité, et j’essaie de tenir sur cette corde raide.”

 

 

Vous semblez particulièrement en colère contre tous ceux qui vont encore à la plage : j’ai vu sur une de vos vidéos Instagram que vous les rappeliez à l’ordre. Y’a-t-il encore des personnes qui s’y rendent à Los Angeles?

Oui, encore, et je les ai sermonnés. Mes amis, par exemple, je leur ai dit: “Je sais que vous voulez aller à la plage, mais moi je veux revoir ma mère”. On ne sait pas suffisamment de choses sur ce virus pour être sûr que maintenir deux mètres de distance est suffisant. On apprend de nouvelles choses dessus tous les jours.

 

J’ai vu aussi que de nombreux Américains continuaient à aller à Miami pour le Spring Break…

Oh mon Dieu, les Spring Breakers ! C’est exactement la raison pour laquelle j’étais si soulagé de rentrer chez moi, et de ne pas être coincé avec ces gens qui disent : “Si je chope le virus, tant pis, si je ne le chope pas tant mieux!”. Ils ont tellement tort. Je suis parti seulement une semaine avant le Spring Break, je ne veux jamais être à Miami à ce moment-là!