En direct de Cannes 2023 : le coiffeur des stars John Nollet se confie sur le film Jeanne du Barry
John Nollet, le coiffeur français le plus en vogue du monde, est devenu une figure incontournable de l’univers de la beauté, en témoignent ses nombreux fidèles comme Nicole Kidman, Vanessa Paradis ou Mylène Farmer. Passionné par le 7e art, le directeur artistique de l’iconique maison de beauté parisienne Carita, a réalisé les coiffures et les perruques de Jeanne du Barry, le film d’ouverture du Festival de Cannes réalisé par Maïwenn. Rencontre.
propos recueillis par Olivier Joyard.
John Nollet, le coiffeur des stars
Figure essentielle des coulisses cannoises, John Nollet coiffe les actrices et les femmes du gotha. Cette année encore, Uma Thurman et bien d’autres utilisent ses services, mais la 76e édition du Festival de Cannes possède pour lui une touche particulière. Nollet a en effet officié en tant que chef coiffeur sur Jeanne du Barry, le film d’ouverture présenté ce mardi, qui raconte l’histoire de la favorite du roi Louis XV. Maïwenn, la réalisatrice, y tient le premier rôle aux côtés de Johnny Depp. Un projet de passion pour Nollet. Devenu directeur artistique de Carita en septembre 2022, il a d’ailleurs appris que le 11 rue du Faubourg Saint Honoré, où se trouve la maison de beauté, était l’adresse du coiffeur de Marie-Antoinette, Leonard, qui fut aussi celui de Jeanne du Barry… À quelques heures du raout sur la Croisette, nous avons parlé avec lui de sa passion de toujours pour le cinéma.
L’interview de John Nollet, créateur des coiffures du film Jeanne du Barry de Maïwenn
Numéro : Pourquoi le projet Jeanne du Barry vous a-t-il attiré ?
John Nollet : J’avais rencontré Maïwenn en la coiffant pour la promotion de son film ADN et elle avait partagé avec moi son projet de faire un film d’époque. C’est un genre très spécifique. Je lui ai fait part de mon intérêt : le dernier sur lequel j’avais travaillé était Ridicule de Patrice Leconte, il y a vingt-six ans ! Il était d’ailleurs en ouverture du Festival de Cannes. Des propositions de films d’époque, il n’y en a pas tous les jours dans le cinéma français, surtout avec une volonté comme celle de Maïwenn d’un film raffiné et léché, tourné en 35 millimètres, avec une équipe venue de la mode. Tom Pecheux a créé le maquillage, Juergen Doering s’est occupé des costumes, la maison Chanel a apporté sa contribution pour quelques tenues. Maïwenn souhaitait que le film ne soit pas forcément une reconstitution. Elle ne voulait pas non plus une vision rock, mais cherchait l’intemporel. Je crois aussi que l’une des raisons pour lesquelles elle m’a proposé de travailler avec elle, c’est parce que j’avais eu la chance de construire le look de Johnny Depp sur Pirates des Caraïbes. Il lui a parlé de notre méthode de travail.
En lisant le scénario, comment avez-vous imaginé les coiffures à la cour de Louis XV, où se déroule le film ?
Après avoir lu d’une traite le script qui contenait beaucoup d’indications, j’ai eu une longue conversation passionnante avec Maïwenn, une femme que j’admire et qui m’a beaucoup inspiré. A chaque fois, je pars du texte et j’essaie d’accompagner le caractère de chaque personnage. Pour moi, le cheveux est un peu le point sur le i : il vient souligner certains traits, certaines tendances. J’ai fait parfois plusieurs propositions de coiffure pour chaque rôle, même si Maïwenn avait l’idée que pour suivre ces gens, il devaient pour la plupart porter une seule coiffure. La seule véritable exception, ce sont les filles du roi, qui sont un peu comme les Adélaïde et Anastasia des contes de fée, pas sympathiques. Avec elles, on s’est amusés, pour marquer leur différence !
« Je crois aussi que l’une des raisons pour lesquelles elle m’a proposé de travailler avec Maïwenn, c’est parce que j’avais eu la chance de construire le look de Johnny Depp sur Pirates des Caraïbes. » John Nollet
Qu’avez-vous exprimé avec la coiffure de Jeanne du Barry, le personnage central interprété par Maïwenn elle-même ?
En tant que réalisatrice, actrice principale et co-scénariste, Maïwenn avait un désir assez clair : le personnage de Jeanne Du Barry amenait le naturel à Versailles. Si on regarde l’Histoire, on remarque que cette femme a porté la première des rayures à la cour du Roi. Elle montait à cheval dans des habits d’homme, ce qui ne se faisait absolument pas. Donc, on peut supposer que pourquoi pas, Du Barry se détachait les cheveux plus que les autres femmes de son temps qui étaient toujours extrêmement coiffées. Le roi tombe amoureux d’elle à cause de sa différence. Une seule fois, j’ai suggéré une coiffure plus typique, pour la présentation de Jeanne à Versailles. Celle que l’on voit sur l’affiche du film.
Pourquoi le cinéma a-t-il une telle importance dans votre vie ?
Très jeune, j’avais une attirance pour la mode, mais le cinéma m’a ouvert les bras. Mon premier film a été La Cité des enfants perdus de Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet, qui avait, là aussi, fait l’ouverture cannoise. C’était en 1995. J’ai très vite rencontré les meilleures équipes de cinéma. Je n’y suis pas pour grand’chose : on vous propose des films, vous ignorez comment ils seront perçus. J’ai fait L’Appartement de Gilles Mimouni en 1996, où j’ai rencontré Monica Bellucci, Romane Bohringer et Vincent Cassel, les jeunes acteurs de l’époque. Ensuite, il y a eu Ridicule et La Fille sur le Pont de Patrice Leconte, dans un beau noir et blanc avec Vanessa Paradis. Et puis Amélie Poulain, qui a changé ma vie.
C’est grâce au carré d’Audrey Tautou ?
Le metteur en scène Jean-Pierre Jeunet voulait que l’héroïne porte une queue de cheval. Après avoir lu le scénario, je me disais qu’il était impossible qu’une fille qui prend soin des autres à ce point-là, qui ne pense du soir au matin qu’à améliorer leur vie, passe dix minutes devant une glace avec une brosse pour se faire une queue de cheval. Je trouvais cela antinomique avec son caractère. Je propose un carré à Jean-Pierre, pour qu’Amélie n’ait pas à se coiffer. Il me répond que ce n’est pas possible : il aime par-dessus tout voir la nuque de son actrice quand il la filme. Qu’à cela ne tienne, je propose un carré si court que la nuque reste découverte. C’était une petite chose, mais importante.
Vous revendiquez une certaine humilité.
Quand je parle du point sur le “i” que représente la coiffure, ce point reste tout petit par rapport au “i”, qui est grand ! Entre la lumière, les costumes, les coiffures, le cinéma doit créer une osmose créative, au service du metteur en scène et d’une histoire. J’ai eu la chance que des réalisateurs me fassent confiance. C’est un cadeau. Entre l’empathie des réalisateurs et celle des acteurs, on essaie d’amener humblement ce point qui fera le « i ». Pour moi, le cheveu porte une narration.
« L’autre jour, j’ai coiffé un cliente avant un dîner de gala. Elle ne l’avait jamais fait avant. J’ai mis l’énergie que j’aurais mise sur une actrice qui allait monter les marches. » John Nollet
Que voulez-vous dire ?
Parfois, un détail parle. Dans le film de Maïwenn, j’ai cherché à souligner les mouvements, comme cette bordure blanche du personnage de la Comtesse de Noailles (interprétée par Noémie Lvovsky, ndlr), un femme qui a un côté un peu pincé. Par rapport au reste, la coiffure n’a certes pas une place primordiale au cinéma, mais le paradoxe est que si cette place est mal tenue, on s’en rend compte. Si elle est bien tenue, on ne se rend compte de rien. J’aime recevoir des compliments sur mon travail, mais si les gens remarquent moins les choses, alors on peut dire aussi qu’on a touché à une forme de justesse : on n’a pas pris trop d’espace.
Vous avez l’habitude de Cannes. Qu’y a-t-il de si exceptionnel à chaque fois ?
C’est toujours spécial d’être au Festival de Cannes quand on a la chance d’avoir travaillé sur un film et de faire partie d’une équipe. Cela m’est arrivé trois fois, même si je viens ici régulièrement. Parmi mes autres souvenirs liés à la Croisette, j’ai adoré le premier Cannes de Monica Bellucci, quand présentait le film Suspicion avec Morgan Freeman et Anthony Hopkins en l’an 2000. Elle montait les marches pour la première fois. Il y a eu Monica avant et Monica après. Arrivée au festival comme une très jeune actrice, elle en est repartie comme une star. C’était très touchant à voir. J’ai aussi adoré m’occuper en exclusivité de Nicole Kidman pendant tout le festival en 2013, lorsqu’elle était membre du jury présidé par Steven Spielberg. Je me suis beaucoup amusé avec elle. J’ai la chance de travailler avec Uma Thurman depuis maintenant bientôt 17 ans… J’ai aussi un souvenir plus triste : l’an dernier, j’avais fait l’extraordinaire rencontre de l’actrice Charlbi Dean Kriek, qui est décédée depuis. Une femme exceptionnelle qui jouait dans la Palme d’or Sans Filtre, pour qui j’ai eu une pensée en arrivant ici.
Pourquoi coiffer les actrices est-il si singulier ? On créée de l’imaginaire ?
Il y a de la projection, mais cela se rapproche aussi du fait de coiffer n’importe quelle femme. L’enjeu est fort, quelles que soient les circonstances. On va chez le coiffeur pour soi. Quand ça s’est bien passé, vous ne trouvez pas que votre énergie change, que vous avez un rapport aux autres différent, parce que votre rapport à vous-même est différent ? L’autre jour, j’ai coiffé un cliente avant un dîner de gala. Elle ne l’avait jamais fait avant. J’ai mis l’énergie que j’aurais mise sur une actrice qui allait monter les marches. J’ai reçu un message de sa part me disant que je lui avait donné confiance. C’est ça, mon métier. Une partie de mon métier est faite pour caresser l’âme, pas pour des moments vains. Je fais partie de ceux qui amènent la magie. Je me suis aperçu il n’y a pas longtemps, en découpant l’expression, qu’on peut entendre « l’âme agit ».
Jeanne du Barry (2023) de Maïwenn, au cinéma le 16 mai 2023 et le même jour, en ouverture du Festival de Cannes.