11 sept 2025

Rachel Scott, la créatrice qui reprend le flambeau de Proenza Schouler

En 2020, Rachel Scott lance Diotima. Trois ans plus tard, elle figurait déjà parmi les finalistes du prix prestigieux prix LVMH. Porté par la créatrice de mode jamaïcaine, le label basé à New York met en lumière le savoir-faire des artisans de son pays natal, à travers un vestiaire féminin aussi sexy qu’élégant. Alors qu’elle présentait, ce mercredi 10 septembre 2025, sa première collection pour Proenza Schouler, dont elle vient de prendre la direction artistique, retour notre interview en 2023. La fondatrice nous évoquait la naissance de son label, ses techniques de production et ses objectifs.

  • propos recueillis par Erwann Chevalier.

  • Diotima, une ode à la culture jamaïcaine

    2020. La Covid-19 inaugure une longue période de morosité et d’angoisse. Rachel Scott est encore à New York, où elle assiste Rachel Comey dans la conception de son label artisanal. Alors qu’elle est sur le point de rejoindre sa famille en Jamaïque, dont elle est originaire, elle doit ainsi impérativement se confiner. Le monde entier vient en effet d’être mis sous cloche, et ce, pour des mois. Loin de son pays natal, elle décide alors de resserrer davantage les liens avec ses origines d’une manière plus poétique et intellectuelle. Diotima voit le jour.

    Pour Rachel Scott, tout est donc question d’héritage. Depuis 2021, sa marque met à l’honneur les facettes culturelles de la Jamaïque. Pour sa première collection, elle choisit comme thème principal la dancehall, une musique populaire tirée du reggae. Pour la suivante, elle met en lumière des vêtements folkloriques comme les batty riders (shorts moulants), puis transforme des napperons amidonnés en crop tops à l’allure de toiles d’araignée ornés de cristaux Swarovski. Au fil des mois, Rachel Scott évoque un lexique loin des clichés de la culture caribéenne parfois entretenus par la mode occidentale.

    La nouvelle directrice artistique de Proenza Schouler

    En seulement quatre collections, où se mélangent des tailleurs tirés du vestiaire masculin des nineties et des pièces plus suggestives comme des tops en résille doublés de soie ou des longues robes moulantes en crochet à porter sans soutien-gorge, Diotima a élaboré un nouvel univers sensuel et sophistiqué. Celui-ci puise ses inspirations dans ce que la créatrice, formée à l’institut Marangoni à Milan, appelle sa “sainte trinité” : les lignes architecturales d’Alaïa, l’allure chic et décalée de Prada et l’attitude punk de Vivienne Westwood

    Cette forte motivation à faire vivre et à embellir les particularités de la Jamaïque avec Diotima a valu à Rachel Scott une place de finaliste au prix LVMH en 2023. Puis, il y a une petite semaine, sa nomination au poste de directrice artistique de Proenza Schouler. Ce mercredi 10 septembre, elle présentait, en collaboration avec les ateliers sa première collection pour la marque. Inaugurant ainsi un nouveau chapitre depuis le départ des fondateurs, Jack McCollough et Lazaro Hernandez, depuis nommés chez Loewe.

    Interview de la créatrice Rachel Scott

    Numéro : Pourquoi avoir lancé votre label durant la pandémie ?

    Rachel Scott : J’ai ressenti un sentiment d’urgence, car j’ai toujours voulu travailler avec des artisans de Jamaïque. Je me suis alors rapproché des femmes qui ont pour passe-temps le crochet. Elles ont soit des boutiques dans les marchés artisanaux ou soit vendent leurs pièces à des boutiques, mais au fond leur travail dépend du tourisme. Avec la fermeture des frontières, il m’a semblé nécessaire de m’engager d’une manière ou d’une autre avec elles. Diotima était finalement la solution. Au-delà, je veux inventer une nouvelle esthétique caribéenne enracinée dans l’artisanat et la confection de proximité. J’ai l’impression que ce style a été raillé à travers les pires clichés.

    Que signifie Diotima, le nom de votre marque ?

    J’ai emprunté un chemin détourné pour arriver à la mode. J’ai d’abord étudié l’art et le français. Je me suis également intéressée à la philosophie. Pour la petite histoire, Diotima est un personnage mythologique. Dans Le Banquet de Platon, elle enseigne à Socrate le pouvoir d’Éros, la divinité de l’amour, une élévation du sentiment amoureux se rapprochant de l’extase. Ce concept m’a particulièrement attirée lorsque j’ai retrouvé Diotima dans un ouvrage du philosophe allemand Herbert Marcuse : il y évoque la construction d’un style grâce à la sublimation. Moi aussi, c’est à travers l’amour du beau que je cherche à bâtir mon univers et à traduire cette énergie sensuelle et séduisante que l’on retrouve dans mes collections.

    Une première collection prometteuse

    Quel est votre premier souvenir lié à la mode ?

    Ma mère possédait une petite boutique de vêtements à Kingston. J’adorais quand mes parents s’habillaient pour sortir, parce qu’ils avaient la folie de porter des looks toujours très excitants. Je me rappelle de ma mère, sortir avec un look recouvert de paillettes, les yeux charbonneux, et mon père avec une chemise rayée à manches courtes et un pantalon de costume.

    Vous avez décidé de lancer votre première collection à partir de napperons et de chemins de table…

    Oui, je collectionne les napperons et les chemins de table en provenance de Jamaïque parce qu’ils me semblent extrêmement différents du crochet traditionnel. D’un point de vue pratique, c’est ce que j’avais sous la main lorsque j’ai commencé à développer mes vêtements pendant la pandémie, mais, du plus loin que je me rappelle, j’ai toujours été attirée par ces motifs. Pour moi, c’est le summum de la sensualité. Car, je cherche toujours à créer des liens avec ces morceaux de tissus, qui ont pour but de décorer, en les transformant en harnais ou en d’autres pièces très sexy. 

    Une mode entre tailoring et crochet

    Vous mélangez avec brio le tailleur et le crochet au sein de vos collections…

    Le tailleur fait partie intégrante de la culture caribéenne. Lorsque j’étais enfant, tout le monde faisait faire son costume ou ses uniformes de l’école par le tailleur local. Au sein de ma marque, je pense que cet intérêt pour l’art sartorial est un reste de mon passage chez Costume National (un label italien, ndlr) pour qui j’ai été stagiaire puis assistante styliste.

    Vous mentionner vouloir élever l’artisanat”, que voulez-vous dire par là?

    J’essaye de mettre en valeur le savoir-faire de ces métiers de l’ombre à travers les silhouettes que j’imagine. Je ne me concentre pas uniquement sur le crochet, mes collections mettent également l’accent sur le coton, les tricots, le tweed et les ornements. Je suis obsédée par les matériaux, leur développement et leur utilisation. Parmi mes préférés, il y a le coton tissé, les tweeds tissés à la main et les mailles de coton épaisses embellies manuellement de cristaux. J’ajouterai que tout ce qui est produit est fait sur commande. Le crochet est entièrement réalisé en Jamaïque mais la majeure partie de mes collections sont fabriquées à New York avec de petits fabricants américains.

    Comment avez-vous vécu votre nomination au prix LVMH en 2023 ?

    C’était un honneur incroyable et très excitant. Cela me donne un sentiment de validation, tout en me poussant à faire le meilleur travail possible pour la suite. J’espère ouvrir une boutique mais surtout pouvoir développer un espace dédié à la culture en Jamaïque, comme la Fondation Prada à Milan.