25 fév 2020

Comment Lee Young-hee a modernisé l’habit traditionnel coréen

Elle est la plus grande créatrice de mode aux yeux des Sud-Coréens. Exposée au musée Guimet jusqu’au 9 mars, Lee Young-hee a réinterprété jusqu'à la fin de sa vie un vêtement traditionnel resté inchangé pendant des siècles.

Telles les ailes déployées d’un Icare oriental, de larges manches colorées en ramie se déplient le long d’un mur du musée Guimet, comme un éventail de nuances telluriques. Ocre ou vert pâle, brodées ou simplement teintes, leurs étoffes aériennes semblent presque impalpables. Plus loin, de longues robes bustier enserrent le buste de mannequins, tombant négligemment autour des hanches qu’elles masquent comme un flot nébuleux. À plat ou incarnés par des modèles figés, ces robes et vestes imaginées par la créatrice Lee Young-hee réinterprètent un vêtement coréen traditionnel : le hanbok. Celui-ci est au cœur de l'exposition L'étoffe des rêves, présentée au musée Guimet jusqu'au 9 mars.

©MAISON DE LEE YOUNG-HEE tous droits réservés

Composé d’une veste semblable à un boléro (jeogori), nouée sur la poitrine, et d'une jupe – pour les femmes – ou un pantalon – pour les hommes –, le hanbok est aussi bien porté par les riches que les plus modestes. Vieux de plus de 2000 ans, ce vêtement ancestral se transforme assez peu au fil des époques et adopte son apparence plus moderne à partir du XIVe siècle, depuis lequel elle restera presque inchangée. Mais dans les années 90, alors que la culture coréenne se répand dans le monde entier et offre notamment une vitrine inédite à la pop culture sud-coréenne, le hanbok tend à disparaître, dissout dans la mondialisation. 

 

Cela était sans compter le travail de Lee Young-hee, qui dès ses 40 ans œuvre à la conservation et la promotion du hanbok aux yeux d'un monde étranger aux traditions de son pays. Se définissant comme créatrice de hanbok et non créatrice de mode, la Sud-Coréenne plonge dès l'ouverture de sa première boutique en 1976 son inspiration dans l'évolution de ce vêtement et collectionne des pièces historiques ayant appartenu à des empereurs ou membres de l'aristocratie coréenne. À partir de ces archives, elle repense un hanbok simplifié, idéal de simplicité et d’harmonie, qui renaît sous ses doigts experts dans des étoffes légères délicatement teintes. La jupe se transforme en une robe bustier taillée dans un organza de soie de couleurs naturelles, démonstration des talents de coloriste de la Sud-Coréenne qui y mobilise un savoir-faire ancestral. Les tissus aériens offrent une légèreté incomparable au hanbok, ainsi transfiguré et modelé dans une coupe minimaliste empreinte de pureté.

©MAISON DE LEE YOUNG-HEE tous droits réservés

La pureté d'un vêtement aérien

 

En 1993, Lee Young-hee présente un premier défilé la Fashion Week parisienne dont le final n’est composé que de hanboks dans leur forme la plus traditionnelle, mais ses créations ne remportent pas l’unanimité de l’exigeante scène parisienne. Prenant acte des critiques, la Sud-Coréenne présente six mois plus tard une seconde collection autour d’un hanbok revisité, débarrassé du boléro, où la jupe se voit délicatement transformée en une robe bustier. Le succès est immédiat et les plus grands critiques de mode encensent ces créations à l'instar de Laurence Benaïm, journaliste au Monde, qui qualifie poétiquement ces robes de “costumes du vents”.  

 

Disparue en 2018, Lee Young-hee continue aujourd'hui d’inspirer créateurs et conservateurs. Malgré les milliers de robes qu’elle laisse derrière elle, son héritage demeure fragile. Le musée Lee Young-hee Museum of Korean Culture, qu’elle avait fondé elle-même à New York en 2004, ferme ses portes dix ans plus tard tandis que la créatrice s'éteint en 2018. Pour sauver une collection inséparable de l’histoire d’un pays, sa fille a fait don de plus de 2000 pièces au musée Guimet. Comme un nouveau souffle, l’exposition L’étoffe des rêves constitue sans doute la première grande manifestation d’une postérité assurée.

 

L’Etoffe des rêves de Lee Young-hee, jusqu’au 9 mars au musée Guimet, 6, place d’Iéna Paris 16e.