Comment le PSG est devenu une marque de mode
2021 marque le dixième anniversaire du rachat du club parisien par QSI (Qatar Sports Investments). Face à cette stratégie de développement complètement unique, retour sur une décennie qui a vu Paris prendre un sacré virage.
Par Delphine Roche.
Depuis sa création en 1970, le PSG fait vibrer les cœurs de tous les Parisiens et de tous les Franciliens amateurs de football. Pourtant, si on le compare déjà à des géants anglais ou espagnols – qui détiennent une sorte de copyright sur l’âme du football, le Paris Saint- Germain est une création récente. Si le Real Madrid naît en 1902, soit 24 ans après Manchester United (né en 1878), il ne voit le jour qu’en 1970. Le club est d’ailleurs le fruit de la fusion entre le Paris Football Club et le stade sangermanois, fondé en 1904 à Saint-Germain-en-Laye, ville natale de Louis XIV, ce qui lui confère une sorte de pedigree royal contrastant fortement avec la vocation populaire du football. Son stade, le Parc des Princes, est sis entre le riche quartier d’Auteuil, dans le XVIe arrondissement, et la ville de Boulogne, qui n’est pas des plus miséreuses. Plus que les autres grands clubs européens, le PSG est donc le champ symbolique où se tisse un partage de valeurs fantasmé entre l’aristocratie et la bourgeoisie, d’une part, et les classes populaires, d’autre part…
En 2010, le PSG sort d’une période de gestion calamiteuse par le groupe Colony Capital. Les finances sont loin d’être dans le vert, les résultats sportifs sont en berne, et surtout, la rivalité passionnelle entre les tribunes Auteuil et Boulogne se solde en 2010 par la mort d’un supporter…
Pour autant, son destin sportif s’est longtemps construit en dents de scie, et principalement à l’échelle de l’hexagone – notamment via sa rivalité historique avec l’Olympique de Marseille. À l’ère du président Borelli de 1978 à 1991, puis sous l’égide de Michel Denisot, le club a connu un relatif âge d’or ponctué de victoires en Coupe de France et en Championnat, ainsi que de belles embardées européennes qui n’ont encore jamais, à l’heure actuelle, mené le PSG vers la victoire dans la compétition reine, la Ligue des Champions (il s’en est fallu de peu en 2020).
“Nous avons décidé d’investir les champs de la mode, de la musique et de l’art, en assumant de nous affranchir parfois du regard des fans et d’aller chercher un nouveau public qui ne serait pas fan de foot.” Fabien Allègre
Des joueurs ont gravé leurs noms dans le coeur des supporters, Dominique Rocheteau, Luis Fernandez, Alain Roche, Paul Le Guen, David Ginola, George Weah (aujourd’hui président du Liberia), les Brésiliens Rai puis Ronaldinho… Mais en 2010, le PSG sort d’une période de gestion calamiteuse par le groupe Colony Capital. Les finances sont loin d’être dans le vert, les résultats sportifs sont en berne, et surtout, la rivalité passionnelle entre les tribunes Auteuil et Boulogne se solde en 2010 par la mort d’un supporter. S’ensuit le plan Leproux (du nom de Robin Leproux, président du club à l’époque) qui entend faire des matchs du PSG un divertissement familial incluant femmes et enfants, au lieu d’une virée coupe-gorge exclusivement masculine – se référer aux récits de supporters ayant connu l’époque où, dès la fin du temps additionnel, il fallait prendre ses jambes à son cou pour éviter de se faire prendre en tenaille par quelques skinheads un peu énervés. Ailleurs en Europe, un mouvement d’embourgeoisement ou de boboïsation du football a déjà commencé, par exemple, avec le rachat en 2003 du club de Chelsea par l’oligarque russe Roman Abramovitch. Qui dit injection de millions dit souvent flambée des prix en tribunes, donc éviction des supporters les plus pauvres (souvent les plus passionnés, ceux qui vouent leur vie à l’amour du club, corps et âme). Mais aussi achat de joueurs de standing mondial, capables de doper le niveau de jeu sur le terrain – donc de faire vendre des maillots et de hausser les droits de diffusion TV. C’est l’ère du football-spectacle, qui n’a désormais plus rien à envier au jeu vidéo Fifa.
En 2011, le groupe qatari QSI rachète le club de la capitale. En gage de son sérieux, le nouveau président Nasser Al-Khelaïfi nomme au poste de directeur sportif le très respecté Leonardo, ancien joueur du PSG. Le recrutement des joueurs redevient le sujet de conversation préféré des Parisiens, les stars font au fil des années leur entrée sur la pelouse (Zlatan Ibrahimovic, David Beckham et bien sûr Neymar Jr, ou encore l’entraîneur Carlo Ancelotti…). En vérité, le projet de QSI dépasse le seul terrain sportif, comme on ne tardera pas à le comprendre. Au-delà du club, il s’agit de créer une marque, et pas n’importe quelle marque comme l’explique Fabien Allègre, directeur du merchandising et de la diversification du Paris Saint-Germain: “Nasser Al-Khelaïfi avait la vision d’une marque parisienne, qui puiserait ses valeurs dans celles de la Ville Lumière : l’art de vivre, le sens de la liberté. Nous avons donc décidé d’investir les champs de la mode, de la musique et de l’art, en assumant de nous affranchir parfois du regard des fans et d’aller chercher un nouveau public qui ne serait pas fan de foot.” Pour autant, la marque PSG ne vaut que si le club de foot du même nom rayonne. Pas très difficile quant on collectionne les stars achetées à coups de millions, direz-vous ? Faux. Le football est une mayonnaise complexe qui peut prendre… ou pas. Pour accompagner un Neymar Jr attendu comme le messie, il fallait aussi des joueurs solides et dévoués, comme le défenseur Thiago Silva ou le milieu de terrain Marco Verratti, qui ont notamment contribué à installer le projet QSI dans la durée (8 saisons pour Thiago Silva avant son départ en 2020, et pas loin de 9 aujourd’hui pour Marco Verratti dont l’implication sur le terrain fait toujours plaisir aux supporters).
Pour autant, rassembler sous une même bannière le public historique du club et un nouveau public plus “branché” avait tout l’air d’un véritable casse-tête. Paris trouve alors des solutions innovantes : conserver des abonnements à des prix accessibles (460€ l’année). Et développer parallèlement “l’esprit club” avec des espaces, des salons et des loges privés où des entreprises peuvent recevoir leurs invités. Tout en haut du stade, le SoBar (by Sofitel) est un espace lounge vitré avec DJ, où des VIP peuvent suivre un match tout en sirotant une coupe de champagne ou un délicieux cocktail – plutôt qu’une bière sans alcool en tribune. Cette bulle de quiétude au sein du stade peut être privatisée, mais elle est généralement commercialisée à des individus ou des marques.
Pas question, également, d’abandonner les couleurs historiques du club (rouge et bleu), sujet éminemment sensible parmi les supporters. Pourtant, QSI entend bien faire de son maillot une pièce mode et culte, à l’échelle internationale… La solution est toute trouvée: proposer quatre maillots par saison, dont deux “doivent être en ligne avec ce qu’attendent nos plus fervents supporters, et ne pas trop toucher à l’identité historique du club”, poursuit Fabien Allègre. Les deux autres, en revanche, depuis le partenariat signé avec Jordan Brand en 2018, synthétisent avec génie l’esprit de la nouvelle ère du cool où le streetwear et le sportswear fusionnent avec l’élégance (une ère incarnée notamment par Virgil Abloh et ses designs). Avoir associé Jordan, la marque de Michael Jordan initialement liée au basket, avec le football et le PSG, est un coup de maître absolu qui lui a ouvert les portes de la célébrité mondiale. “L’idée est venue de Michael Jordan et du président de Jordan à l’époque, qui étaient de passage à Paris pour l’ouverture de leur première boutique dans la capitale française, poursuit Fabien Allègre. Michael Jordan a eu un coup de cœur pour la ville de Paris, et il a compris que le prisme est différent ici des États-Unis, où la jeunesse est très axée sur le basket. À Paris, il existe un large public streetwear, même si je n’aime pas trop ce terme, pour qui le football est le sport roi. Pour Michael Jordan, la seule marque avec laquelle il pouvait rester dans l’excellence tout en travaillant ces codes, était le PSG. À l’époque, on ne formulait pas tout à fait cela si clairement, mais dans la vision de notre président Nasser Al Khelaïfi, il s’agissait de devenir une marque globale de lifestyle et aussi, à terme, le club préféré de la nouvelle génération.…” Aujourd’hui, le PSG est donc le seul club de foot à porter sur ses maillots la célèbre effigie du Jumpman de Jordan… Toujours plus étoffée et pertinente, la collection PSG x Jordan, dont un nouveau drop est disponible aujourd’hui, fait désormais une vraie place aux modèles pour femmes et enfants.
S’il s’associe à Jordan pour devenir un blockbuster mondial et une référence en termes de nouveau style urbain, le PSG a su également miser sur la mode plus pointue. On se souvient de sa collaboration avec Christelle Kocher pour son label Koché. Lors du défilé printemps-été 2018, la créatrice incluait des maillots du PSG revisités dans sa collection. “J’avais proposé ce projet au club, a déclaré Christelle Kocher à ce sujet. Car je voulais travailler sur le foot et le faire de manière authentique. Le PSG a une vision différente des autres clubs, ils sont ouverts à ce genre de collaboration. Et je suis supportrice de ce club”. En 2018, c’était le créateur indien Manish Arora qui faisait défiler des blousons colorés à l’effigie des joueurs du PSG. Plus récemment, le jeune Français Louis-Gabriel Nouchi signait une capsule proposant un vestiaire masculin décontracté, déclinant les symboles du club dans des matières raffinées. Après avoir proposé un maillot collector célébrant le concept store Colette, juste avant sa fermeture, le PSG s’était associé à sa célèbre acheteuse Sarah Andelman pour proposer, à Los Angeles, à l’occasion d’une tournée de pré-saison des joueurs, une sélection de produits en édition limitée, qui donnait un aperçu de ses multiples collaborations : avec Levi’s, Beats By Dre, ou encore la marque de surfs Jack’s Surfboards.
On n’en a peut-être pas conscience en France, mais le PSG, fort de cette stratégie de marque innovante, est déjà devenu big in Japan. Sa collaboration avec BAPE, le label culte de Nigo, en 2018, y est peut-être également pour quelque chose… Le PSG est ainsi le premier club de foot européen à avoir ouvert sa propre boutique à Tokyo, ainsi que le tout premier café PSG du monde, où les aficionados du club et de ses créations mode peuvent venir discuter pronostics et regarder les matchs à la télévision. Pour créer un véritable lien avec ses fans asiatiques, le club a également lancé des académies de football, où les jeunes peuvent venir perfectionner leur jeu en suivant une pédagogie propre au PSG.
Mais ce n’est pas tout, car les collaborations du PSG sur le front de la création d’objets ou de vêtement sont multiples et variées. Les hédonistes pointilleux d’aujourd’hui, et passionnés de pêche à la mouche, pouvaient par exemple en 2020 se procurer un des 100 coffrets de mouches réalisés en édition limitée avec l’artiste Olivier Masmonteil. Chacune des mouches avait été conçue pour détenir “des qualités requises à la pratique du football” (précision, puissance, rapidité…). Preuve que décidément, le PSG est sur tous les terrains, déterminé à devenir la première marque de lifestyle globale rattachée à un club de football.