22 fév 2022

Comment la créatrice Michaela Stark et le photographe Sølve Sundsbø transforment les corps

La lingerie qu’imagine la jeune créatrice australienne se situe à la frontière de la mode et de l’art, loin des idéaux de beauté standardisés. En 2021, elle réalisait avec le photographe norvégien Sølve Sundsbø une série d’images saisissantes jouant avec les courbes de la chair et soulignant les imperfections, récemment exposées au 3537 à Paris.

Photos par Sølve Sundsbø.

Texte par Matthieu Jacquet.

Michaela Stark. Photo : Sølve Sundsbø

Contre les diktats écrasants d’une société qui continue d’ériger la jeunesse et la minceur en idéal de beauté, Michaela Stark a fait des “imperfections” une ambition créative. Depuis 2017, la créatrice de mode australienne réalise des pièces de lingerie sur mesure qui épousent autant qu’elles déforment le corps, matière malléable dont elle cherche obstinément à tester les limites.

 

Dès son adolescence à Brisbane, Michaela Stark contemple avec douleur l’image d’Épinal de l’Australienne parfaite en maillot de bain, qui l’amène à rejeter son propre corps et à retoucher ses photos à l’extrême. Lorsqu’elle étudie le design de mode quelques années plus tard, cette dysmorphophobie se mue en passion pour l’esthétique du grotesque et en obsession pour le corset. Reflets de ces inspirations, ses premiers ensembles remodèlent la silhouette à coups de laçages et de protubérances faites de morceaux de tissu roulés en boule à des endroits insolites, à la manière des robes bossues imaginées par Comme des Garçons en 1997.

Après s’être installée à Londres, la jeune femme pousse son projet encore plus loin et commence à créer, directement sur son corps nu, des pièces qui l’enserrent, l’écrasent ou le dilatent par endroits. Ainsi naissent ses modèles, secondes peaux aux couleurs chair et poudrées, aux tissus ultra fins et soyeux auxquels se mêlent des perles nacrées. “Mes idées me viennent beaucoup de ce que je touche et de ce que je sens, par exemple quand je tire ma peau à travers un trou de mon collant ou quand je joue avec la graisse de mon ventre”, confie Michaela Stark, qui se qualifie aussi bien d’artiste que de couturière. Des perceptions qui lui inspirent ses corsets asymétriques compressant un sein, ses culottes échancrées laissant dépasser les poils pubiens, ou ses jarretières ficelant les cuisses pour les boudiner. Des effets que la créatrice adapte à chaque corps, au gré de ses commandes.
 

C’est au célèbre photographe norvégien Sølve Sundsbø que Michaela Stark a fait confiance pour témoigner de son travail. Cette puissante série d’images met en scène des mannequins grande taille, non blanches, faisant fi des normes occidentales. Dans une lumière violacée, leurs corps transformés par la lingerie n’en laissent que mieux ressortir leur texture, leurs bourrelets, leurs marques… en somme tout ce qui fait leur singularité. Aux antipodes des corps standardisés, lisses et immaculés.

Michaela Stark. Photo : Sølve Sundsbø

Cette démarche iconoclaste ne pouvait que séduire l’iconique Jean Paul Gaultier, le célèbre “enfant terrible” de la mode qui, au fil de sa carrière, n’a jamais cessé de célébrer la diversité et de questionner les normes à travers ses défilés flamboyants et provocateurs. C’est ainsi avec le concours du légendaire couturier que Michaela Stark a présenté, en décembre dernier, sa première exposition à Paris. Un prestigieux parrain pour la jeune créatrice qui avait déjà su éveiller, en 2020, l’intérêt d’une autre légende vivante : la pop star Beyoncé, qui lui avait alors commandé un ensemble pour son film musical Black Is King.

 

Le soir de son vernissage au 3537, dans un décor imitant une chambre à coucher, Michaela Stark a ainsi fait son entrée, dénudée, pour entamer une performance en collaboration avec la maison Jean Paul Gaultier. Devant l’audience captive, elle manipule délicatement des pièces d’archives du célèbre couturier français, écrase sa poitrine à l’aide de fins rubans, empoigne le fameux corset à cônes dans une main, une paire de ciseaux dans l’autre… et commence à le découper avant d’en refixer les fragments de part et d’autre de sa silhouette. Un acte poétique au plus près des coulisses de ses créations.

Michaela Stark. Photo : Sølve Sundsbø