Christopher Bailey quitte Burberry
Alors que Christopher Bailey, actuel directeur général exécutif et directeur général de la création de Burberry annonce son départ pour mars 2018, Numéro revient sur la success story de la maison anglaise et ses récentes révolutions.
Par Delphine Roche.
Qui ouvrirait les yeux pour la première fois, aujourd’hui, sur le monde de la mode, y verrait beaucoup de doute et de confusion. Entre la valse des créateurs à la tête des maisons, et les crêpages de chignon opposant partisans et adversaires du “see now, buy now”, l’industrie semble céder à un vent de panique sans trop savoir à quel saint se vouer. Dans le flou ambiant, Burberry, ces quinze dernières années, a fait presque figure de maître zen. Depuis 2001, l’institution britannique qui a fait du trench-coat et du tartan ses emblèmes a confié ses collections à Christopher Bailey, devenu directeur général exécutif et directeur général de la création.
Sous sa houlette, Burberry inventait une formule inédite : conjuguer la respectabilité d’une marque à héritage et une utilisation pionnière d’Internet et des réseaux sociaux. À l’heure où les grandes maisons de luxe s’avançaient à pas comptés sur la Toile, craignant de voir leur image ternie par le caractère totalement démocratique du Web, la maison misait clairement sur ce médium pour construire une culture de marque contemporaine. Burberry décide ainsi de diffuser ses défilés live en streaming et offre la possibilité aux spectateurs en ligne de commander les pièces en direct (pour les recevoir quelques semaines plus tard). La marque construit une communauté virtuelle via l’initiative “Art of the Trench”, qui encourage le quidam à poster ses selfies en trench-coat Burberry. Des campagnes de communication sont spécifiquement créées pour Snapchat et Instagram. Enfin, le projet “Burberry Acoustic” – série de vidéos de musiciens britanniques offrant, pour les caméras de Burberry, une performance dépouillée au piano ou à la guitare – impose la marque comme un acteur culturel, tissant une stratégie à 360 degrés totalement novatrice, une complémentarité unique entre le monde “physique” et le monde dit “virtuel”. Dans ses boutiques aussi, Burberry poursuit cette démarche de complémentarité, faisant dire à Christopher Bailey, en 2013, que c’est même à présent le magasin qui se doit de refléter le site Internet de la marque, et non l’inverse.
En septembre 2016, Burberry amorçait un nouveau changement radical et précurseur. Alors que les acheteurs et les rédactrices s’étaient accoutumés à prendre place, chaque Fashion Week, dans une immense tente dressée dans Kensington Garden, la marque déplaçait son défilé dans un nouveau lieu, Makers House, sur Manette Street. Ce lieu, qui acceptait exceptionnellement d’ouvrir ses portes au public pour ce partenariat avec Burberry, présentait aussi à cette occasion tout le savoir-faire des New Craftsmen, une association d’artisans britanniques spécialisés. Pendant une semaine, Makers House devenait ainsi le théâtre d’une exposition invitant chacun à venir admirer le travail des orfèvres, ou à voir une spécialiste du patchwork confectionner des coussins dans les tissus de la collection Burberry. Mais la maison profitait surtout de l’occasion pour inaugurer son nouveau calendrier. Réunissant à la fois la collection masculine et la collection féminine, le défilé se voulait de surcroît détaché du rythme traditionnel de la mode qui impose de présenter les collections estivales en hiver, et vice versa, exigeant du client qu’il attende six mois l’arrivée des nouveaux modèles dans les boutiques. Pensées pour un public mondial, vivant sous des latitudes et des températures très diverses, les collections Burberry proposent désormais une variété de styles adaptés à toutes les conditions météorologiques.
Équilibrer l’innovation technologique et le prestige historique de la marque, créée en 1856 pour équiper les soldats puis les aviateurs et les explorateurs, est au cœur même des enjeux qui se posent à Burberry. Dans cette perspective, ce défilé-exposition devenait ainsi un élément crucial de communication : “Lorsque nous avons décidé de changer le format de nos défilés, il nous a paru important d’explorer également notre propre processus créatif, et de montrer tout le savoir-faire qui sous-tend le design de nos pièces, expliquait alors Christopher Bailey. La collaboration avec The New Craftsmen, à Makers House, nous a permis de célébrer la façon dont nous produisons des idées, mais aussi de présenter au monde ces artisans qui font partie des créatifs les plus passionnants du Royaume-Uni. C’est important de les mettre en valeur, particulièrement aujourd’hui, dans le monde d’Instagram.” L’évolution du modèle de Burberry exige aussi une innovation terminologique : adieu les dénominations traditionnelles “printemps-été” et “automne-hiver”. En cohérence avec sa nouvelle stratégie, les collections seront désormais nommées “September collection” et “February collection”. En sus de ces deux défilés, des nouveautés viendront régulièrement alimenter l’appétit vorace des clientes, tout au long de l’année.
Février 2017 marquait une deuxième phase du changement amorcé. Placée sous l’égide de l’art, la “February collection” s’inspire du sculpteur britannique Henry Moore. Dans certains cas, elle se réfère directement à ses œuvres, et parfois simplement à son processus de création. “La dentelle, récurrente dans la collection, est inspirée de ses études préparatoires, et la structure des chemises longues rappelle les silhouettes de certaines de ses sculptures. De façon plus intime, sa façon de fusionner le masculin et le féminin est en cohérence totale avec notre collection,où de nombreuses pièces peuvent être portées par les hommes comme par les femmes.Nous avons aussi utilisé de la laine, en écho aux moutons qui revenaient souvent dans ses œuvres, notamment dans son Sheep Sketchbook de 1972.” La collection développe les volumes sculpturaux poids plume et les découpes courbes, en écho aux lignes de Henry Moore. Manches oversized, asymétries, effets contrastés d’opacité et de transparence, de textures légères et de mailles épaisses, déclinent un vestiaire arty où dominent les blancs vaporeux, l’ivoire, le gris et le bleu marine, évocateurs d’un certain romantisme souvent associé aux artistes anglais. L’évocation se poursuit jusqu’au détail qui tue : des chemises rayées rappelant les tabliers,eux aussi rayés, que portait Henry Moore dans son atelier. La connexion britannique est bien là, donnée à voir via Internet au vaste monde, qui ne demande qu’à se l’approprier.
Aujourd'hui, Burberry vient officiellement d'annoncer le départ de son directeur artistique, Christopher Bailey, après 17 ans à sa tête. Il quittera ses fonctions en mars 2018.