Charles Jeffrey, le créateur qui explore la folie de la nuit queer londonienne
En attendant notre transformation en avatars dans le métavers, Numéro Homme taille le portrait de visages bien réels : ceux de la fine fleur des jeunes créateurs de la mode masculine. Réunis à Paris devant l’objectif d’Erwan Frotin, ces designers du futur endossent les pièces de leur propre vestiaire et nous révèlent les inspirations, les parcours, les réflexions et les engagements novateurs qui sous-tendent leur succès. Focus sur le créateur d’origine écossaise Charles Jeffrey, dont le label éponyme rend hommage à la mythologie des nuits queer londoniennes et à sa propre culture, dans un engagement politique pour les droits de la communauté LGBTQI.
Né en Écosse en 1990, Charles Jeffrey a toujours été attiré par l’art, la mode et le dessin. Quand il s’installe à Londres, à l’âge de 18 ans, c’est pour y suivre des études en création, y aiguiser son œil et son esthétique. Avec succès, semble-t-il, car son défilé de fin d’études a longtemps marqué les esprits. Nous sommes en 2015, et le jeune homme est alors sur le point d’être diplômé de la Central Saint Martins, où il a pu bénéficier des conseils avisés de la professeure Louise Wilson. Elle est celle qui a notamment formé Alexander McQueen ou Christopher Kane. Sur le podium improvisé au centre du hall de l’école, on découvre alors des silhouettes aux proportions radicalement repensées : mailles courtes, pantalons à pinces et taille très haute, costumes amples portés à même la peau… La peau volontiers dénudée dialogue avec des imprimés arty très colorés. Baptisé “Charles Jeffrey Loverboy”, son label est lancé dans la foulée de ce premier défilé prometteur. S’il n’aime pas qu’on le compare à John Galliano ou à Alexander McQueen, il y a pourtant, dans la théâtralité et la grandiloquence de ses collections, quelque chose de cet ordre-là. Ses influences ? La scène queer londonienne des années 80 et ses icônes telles que les artistes Leigh Bowery ou Boy George, dont la flamboyance a fait des nuits de la capitale une fête sans fin. “La vie nocturne a complètement changé ma façon de penser, de voir les choses, cela m’a façonné ! La vie en club est une sorte de méditation pour moi, c’est là que je me sens le plus humain, le plus vivant, le plus connecté à mes semblables”, confiait-il au magazine anglais The Face, en octobre 2021.
S’il célèbre, à travers son dressing, le monde de la nuit, il ne néglige pas pour autant ses origines. Il mêle en effet, dans ses collections, une esthétique traditionnelle articulée autour de kilts déstructurés ou de tartans revisités, à laquelle s’ajoutent un maquillage outrancier, des drapés et des volumes dramatiques, ainsi que des talons, évidemment démesurés. Ses assemblages extravagants et colorés évoquent aussi parfois l’univers de la marque japonaise culte Comme des Garçons. Charles Jeffrey remporte en 2017 le prix du jeune talent émergeant des British Fashion Awards. Une reconnaissance du secteur qui lui donne une visibilité grandissante. Très impliqué auprès de la communauté LGBTQI, il signe en 2018 une collection avec le géant de la fast fashion anglaise Topshop, dont les bénéfices ont été reversés à des associations défendant les droits des homosexuels. Sa collection printemps-été 2022 est, quant à elle, inspirée par les performances ésotériques des tribus et autres chamans. “Le folklore est invariablement au cœur de mon travail. C’est quelque chose qui m’a toujours intéressé. J’essaie de reproduire sa symbolique à ma façon, en reprenant notamment les signes guerriers des Pictes, ces tribus antiques des Highlands, dans les costumes en jacquard, par exemple”, expliquait-il au Women’s Wear Daily, en septembre 2021. Également sculpteur et plasticien, Charles Jeffrey expose régulièrement ses œuvres abstraites et démesurées dans des galeries londoniennes.