21 mai 2024

Becoming Karl Lagerfeld : les secrets des costumes de la série de Disney+

C’est l’une des séries les plus attendues de l’année. Et l’une des plus mode… Becoming Karl Lagerfeld revient sur la vie de l’immense couturier, avant qu’il ne devienne le directeur artistique de la maison Chanel. Un show chatoyant qui compte parmi ses atours des décors seventies (47 au total) et 3000 tenues spectaculaires. Alors que la série sera disponible sur Disney+ le 7 juin 2024, la créatrice de costumes belge césarisée Pascaline Chavanne – qui a travaillé pour François Ozon et Leos Carax – nous confie les secrets des looks qu’elle a imaginés pour Karl Lagerfeld, Jacques de Bascher ou encore Yves Saint Laurent.

propos recueillis par Violaine Schütz.

La créatrice de costumes Pascaline Chavanne nous dévoile les secrets de la série Becoming Karl Lagerfeld, produite par Disney+

 

Numéro : Quel était le plus gros challenge inhérent à la création des costumes pour la série Becoming Karl Lagerfeld ?

Pascaline Chavanne : C’est difficile de s’attaquer à un tel mythe. Pour moi, le gros challenge, c’était de montrer le Karl Lagerfeld que personne ne connaît. Celui qui travaille d’abord chez Chloé et Fendi avant d’être directeur artistique de Chanel. C’est celui qui se cherche, qui est en devenir, dans les années 70, et qui, du coup, n’est pas celui que l’on croit. On a tous l’image de la figure un peu logo du couturier en noir et blanc, avec le catogan, le costume, les mitaines et les bijoux. Mais à cette époque, il porte des chemises assez bariolées, par exemple. Il s’est essayé à plusieurs styles avant d’en arriver à cette silhouette iconique. Et comme il s’est bien organisé pour faire disparaître cette partie de son passé, ce n’était pas évident à recréer.

 

Qu’est-ce qui vous a plu dans cette série ?

Le fait de suivre un personnage depuis ses débuts, jusqu’à une période donnée (le début des années 80, quand il reçoit un fax de la maison Chanel qui désire le rencontrer). Parce que c’est extrêmement stimulant de voir que tout le monde se cherche à un moment-donné, essaie des choses et se confronte à des doutes pour devenir qui il est. Pour la jeunesse, c’est important de savoir qu’un tel homme s’est d’abord cherché. Son parcours donne de l’espoir pour nous tous.

 

« Le moment le plus magique, c’est quand l’acteur Daniel Brühl a enfilé l’une des paires de bottines à talons que je lui avais fait fabriquer et qu’il s’est mis à claquer des talons comme un toréro. » Pascaline Chavanne

 

Toutes les pièces portées par Karl Lagerfeld ont-elles été créées ?

Oui, absolument. On n’a rien chiné pour Karl. Tout a été fabriqué sur mesure dans nos ateliers. En fait, j’ai monté un atelier de fabrication avec une chef tailleur, Francesca Sartori et une chef d’atelier, Justine Vivien, pour les hommes et pour les femmes. Et chaque pièce qui est sortie de nos ateliers est unique. Avec les costumes d’homme, c’est extrêmement complexe parce qu’il faut avoir quelque chose qui tombe parfaitement. Comme on raconte l’histoire d’un personnage qui s’habillait sur mesure. Jacques de Bascher chinait avant de rencontrer Karl qui lui faisait confectionner ses costumes.

 

Est-ce qu’il y a une pièce qui a été créée, du coup, spécialement pour Karl, que vous appréciez particulièrement ?

Le moment le plus magique des essayages, c’est quand l’acteur Daniel Brühl a enfilé l’une des paires de bottines et de bottes à talons que je lui avais fait fabriquer et qu’il s’est mis à claquer des talons comme un toréro, un matador. Il s’est alors écrié : « Là, ça y, je suis Karl. » Il venait d’entrer pleinement dans le personnage et de le comprendre.

« On voulait raconter toute la vie parisienne qui gravitait autour de Karl Lagerfeld dans le milieu de la mode des années 70, cette atmosphère nocturne vibrante qui a été une source d’inspiration pour lui. » Pascaline Chavanne

 

3000 costumes ont été crées ou loués tout au long de la série… Pouvez-vous nous nous parler des pièces vintage ?

Oui, j’ai beaucoup chiné, mais plutôt pour des personnages secondaires que l’on voit en boîte de nuit. J’ai trouvé des pièces extraordinaires, notamment aux Puces de Saint-Ouen ou grâce à des gens comme Olivier Châtenet, un grand spécialiste du vintage.

 

Comment vous êtes-vous documentée pour créer les différents looks de la série ?

J’ai observé de nombreuses photos et j’ai regardé beaucoup de documentaires. L’idée, ce n’était pas de reproduire à l’identique des tenues, mais plutôt de s’inspirer de tout ça pour traduire un état d’esprit. On voulait raconter toute la vie parisienne qui gravitait autour de lui dans le milieu de la mode des années 70, cette atmosphère nocturne vibrante qui a été une source d’inspiration pour lui. Dans la série, on voit Yves Saint Laurent, Paloma Picasso, Loulou de La Falaise… C’était très important pour nous de retranscrire l’ambiance folle qui régnait alors. Il fallait aussi montrer l’influence du pop art des années 60 sur cette partie-là de la vie de Karl. Je pense qu’Andy Warhol a eu une influence énorme sur Karl et sur ce qu’il a fait plus tard ainsi que sur la façon dont il va se définir dans le milieu de la mode. 

 

Quel a été le personnage le plus compliqué à habiller ?

Peut-être Yves Saint Laurent, qui était l’ami et le rival de Karl. Car on voit dans la série une facette (très sombre) de lui qu’on n’a pas l’habitude de voir et qui est, sans doute, le regard porté par Jacques de Bascher et Karl Lagerfeld sur lui.

« Jacques de Bascher était un dandy qui a eu une grande influence sur Karl Lagerfeld, car il représentait son idéal de beauté, sa muse. » Pascaline Chavanne

 

Le flamboyant et décadent Jacques de Bascher, qui a été le grand amour de Karl Lagerfeld, et l’amant d’Yves Saint Laurent, était connu pour son sens du style insensé… Et il est au cœur de cette série…

Oui, Jacques de Bascher était un dandy élégant, raffiné, qui a eu une grande influence sur Karl Lagerfeld, car il représentait son idéal de beauté, sa muse. Il fallait accorder une vraie place aux costumes de Jacques pour bien montrer le rôle important qu’il a eu dans la vie et la création de Karl, qui s’émancipe peu à peu dans la mode. Jacques porte des pièces très fortes. Pour son premier rendez-vous avec Karl, il vient habillé en bavarois, avec des influences prussiennes. On le voit aussi porter une veste qui reflète ses idées royalistes (il y est écrit « Dieu et le Roy »). Ses tenues servent la dramaturgie et font avancer l’histoire.

 

Jacques de Bascher ne travaillait pas et se rêvait écrivain. Il était entretenu par Karl et vivait presque pour être beau et être bien habillé. Et prononcer de belles formules. Cela doit être intéressant d’habiller un tel personnage, pour une créatrice de costumes…

Oui, c’est un personnage qui est extrêmement touchant car il représente une certaine jeunesse. C’est le jeune provincial qui débarque à Paris au tout début des années 70 et qui va se lancer, se jeter dans la vie pleinement, qui va tout vivre. Aujourd’hui, il y aurait des centaines et des milliers d’images de Jacques, mais à cette époque-là, il y en avait peu. On a fait des recherches terribles, presque dignes de recherches d’historiens. On a trouvé des petits films allemands de défilés de Karl, où on voit apparaître Jacques, mais aussi Juan Ramos, Antonio Lopez et toute la bande d’Américains. Pour me renseigner sur lui, je me suis beaucoup inspirée d’un très beau livre de Philippe Heurtault, qui était l’un de ses amis proches et de Beautiful People: Saint Laurent, Lagerfeld : splendeurs et misères de la mode d’Alicia Drake, qui est l’un des mes livres de chevet. Je trouve qu’il est très représentatif de l’époque et de l’ambiance germanopratine et très juste. 

 

On voit, dans la série, des défilés, notamment un défilé Chloé. Comment avez-vous travaillé pour recréer les looks ?

On a eu une très belle collaboration avec la maison Chloé, notamment avec Géraldine-Julie Sommier, qui est la directrice du patrimoine de la maison et son équipe. On a eu accès aux archives, notamment aux petits catalogues des défilés de cette époque-là et aux archives physiques. Mais on n’a rien pu  emprunter car les pièces de l’époque sont trop fragiles. On a tout refabriqué. Avec l’accord de Chloé, on a tout reproduit, en réimprimant des tissus. C’était un travail titanesque.

 

Becoming Karl Lagerfeld (2024), créée par Isaure Pisani-Ferry, Jennifer Have et Raphaëlle Bacqué, avec Daniel Brühl, disponible sur Disney+ le 7 juin 2024.