Alessandro Michele en 5 défilés mémorables pour Gucci
Nommé à la direction artistique de Gucci en 2015, Alessandro Michele annonçait mercredi 23 novembre 2022 son départ de Gucci. De sa première collection à la dernière en date retour sur cinq défilés mémorables signé du créateur de mode qui a redéfini l’ADN de la maison italienne, au sein de laquelle il travaillait déjà depuis 2002.
Par Erwann Chevalier.
La nouvelle tombait ce mercredi 23 novembre : Alessandro Michele quitte la direction artistique de Gucci, après avoir officié près de huit ans à ce poste et vingt ans en tout dans la maison italienne.Sollicité dès 2002 par le créateur américainTom Ford, directeur artistique deGuccide 1994 à 2004, pour le rejoindre dans ses bureaux londoniens, il a par la suite été chargé des collections maroquinerie avant de devenir le bras droit de Frida Giannini et de prendre sa succession en janvier 2015.
Devenu tête pensante de la maison de mode italienne, ce Romain d’origine redéfinit son ADN avec un style maximaliste et flamboyant mêlant une grande variété de références autant que des collections et présentations spectaculaires qui feront date dans l’histoire de Gucci, et plus largement de la mode. Retour sur le génie créatif d’Alessandro Michele en cinq défilés de mode mémorables.
1. Le défilé Gucci Automne-hiver 2015-2016 : la première collection d’Alessandro Michele
Pour la collection automne-hiver 2015, Alessandro Michele doit faire ses preuves : directeur artistique de Gucci depuis seulement un mois, le créateur passe enfin au premier plan. Après avoir passé treize ans dans les ateliers de la maison – de la direction des collections de la maroquinerie au poste de bras droit de Frida Giannini –, il endosse finalement les responsabilités dont il rêvait, qui n’arrivent cependant pas sans défi : à l’époque, les ventes de Guccistagnent et la maison peine à retrouver la gloire connue avec la ligne instaurée par Tom Ford au milieu des années 90. L’arrivée de Michele au sommet de la maison fondée en 1921 change la donne : pour la première fois dans l’histoire de Gucci, des mannequins hommes et femmes défilent ensemble sur un même podium, vêtues d’ensembles androgynes qui soulignent d’autant plus cette ambiguïté. Loin du faste de l’aristocratie romaine ou de l’érotisme sombre dont s’inspiraient ses prédécesseurs, le créateur dévoile dans un décor industriel gris métallique une collection mode romantique aux tonalités automnales mêlant référence aux années 70 et au vestiaire du dandy. Chemisiers fluides à lavallières, robes et jupes midi en tissu lamé ou orné d’imprimés floraux, costume affûté, jupes scintillantes ou encore ensembles transparents se succèdent pour introduire la nouvelle esthétique Gucci. Un style qui, au fur et à mesure de ses défilés de mode, se définira par un goût pour l’audace, des mélanges d’imprimés exubérants au kitsch assumé, et par un amour pour les couleurs pop et l’esprit festif de la fin des Trente Glorieuses.
2. Le défilé Gucci Automne-hiver 2018-2019 : les mannequins portent leur propre tête
Univers médical, murs teintés d’un bleu chirurgical et atmosphère glaciale… Le 21 février 2018, Alessandro Michele présente pour Gucci un nouveau défilé saisissant. Portant une réplique sa propre tête sous le bras, le premier mannequin apparaît sur le podium devant les regards stupéfaits du public. Reprenant trait pour trait les lignes de son visage, cet accessoire surréaliste en silicone a été réalisé en collaboration avec l’agence Makinarium, spécialisée dans les effets spéciaux, qui a notamment travaillé avec des réalisateurs comme l’Américain Ridley Scott. Inspiré par le film Tale of Tales (2015) de Matteo Garrone – adaptation de trois contes fantastiques du recueil Pentamerone du poète italien Giambattista Basile –, le show déploie un univers exubérant, à la hauteur de l’imagination de son créateur : un mini-dragon, un œil sur le front, une paire de cornes démoniaques sur les tempes… Outre les silhouettes flamboyantes et baroques, dans la lignée de ses précédentes collections, cette présentation mémorable donnera même naissance à une tendance sur les réseaux sociaux : le “Gucci head challenge”, consistant à se prendre en photo avec une tête entre les mains. Fruit d’un véritable engouement, cet accessoire pour le moins farfelu a notamment été arborée par l’un des ambassadeurs de Gucci par Alessandro Michele, Jared Leto, sur les marches du célèbre Met Gala 2019.
3. Le défilé Gucci printemps-été 2020 : un statement sur le conformisme de la société
Sous une lumière tamisée, une dizaine de mannequins immobiles, les uns derrière les autres, défilent portés par le mouvement du tapis roulant.Habillés d’ensembles blancs à lacets XXL et manches longues aux airs de camisoles de force, ces derniers semblent tout droit sortis d’un hôpital psychiatrique. Si l’ouverture déroutante de ce défilé Gucci printemps-été 2020 fera beaucoup parler d’elle, notamment lorsque la mannequin Ayesha Tan-Jones dénoncera à travers ce défilé les problèmes de santé mentale très fréquents et banalisés dans l’industrie de la mode, il est aussi considéré comme une déclaration politique par son auteur qui fête alors ses cinq ans à la direction artistique de Gucci. Loin des coupes oversize, des couleurs pop et des patchworks d’imprimés, ces premières silhouettes identiques et monochromes font référence aux uniformes militaires ou utilitaires imposés par certaines institutions – et, plus largement, une critique de la société qui se conforme uniformément à toutes les tendances, laissant peu de place à l’individualité dans la mode. Après ce premier passage, la salle se trouvera plongée dans le noir, avant que des lumières intenses ne se rallument pour dévoiler le reste d’une collection pensée comme une alternative aux tendances, en proposant une grande variété de silhouettes pour exprimer son individualité. Si les combinaisons blanches très remarquées n’ont par la suite jamais été mises en vente par Gucci, Alessandro Michele s’en est servi comme moyen pour exprimer ses idées, au-delà de l’originalité de ses créations.
4. Le défilé Gucci Aria 2021 : les 100 ans de la maison et une collaboration avec Balenciaga
En mars 2020, alors que la plupart des pays du monde entament leur premier confinement, Alessandro Michele entame une réflexion globale sur l’avenir de la mode, qu’il partage par des billets sur ses réseaux sociaux.Dès lors, sur son initiative, la maison italienne sortira du calendrier officiel des défilés de mode et pourra ainsi les organiser selon sa propre temporalité. Pour célébrer les cent ans de Gucci, le créateur présente en vidéo au mois d’avril 2021 un défilé d’ampleur qui combine les collections croisière et prêt-à-porter et homme et femme, dont une partie a été conçue en collaboration avec la maison française Balenciaga, elle aussi propriété du groupe de luxe Kering, en collaboration avec son directeur artistique Demna, très estimé par Alessandro Michele. En tout, ce sont plus de 94 looks qui s’enchainent sur les chansons Gucci Gang de Lil Pump ou Gucci Coochie de Die Antwoord, à l’intérieur même du club Savoy de Londres, où le fondateur de la maison Guccio Gucci a travaillé lors de ses débuts au début du 20e siècle. Anniversaire oblige, la collection revisite les grands classiques qui ont les succès de la maison avec la patte d’Alessandro Michele : on retrouve le vestiaire équestre originel dans de hautes bottes, leggings ou encore bombes en cuir, autant que le glamour hollywoodien et l’énergie des seventies dans les silhouettes, les matières et les coupes, recouvertes de paillettes ou d’un logo inédit “Gucci Balenciaga” décliné en all-over. Alessandro Michele revisite également le fameux costard en velours rouge imaginé par Tom Ford en 96, dont il agrandit les épaules pour en proposer une version oversized et unisexe. Spectaculaire, cette collection mêle l’histoire Gucci avec le regard contemporain d’Alessandro Michele, toujours affûté et riche de nombreuses inspirations.
5. Le défilé Gucci printemps-été 2023 : explorer son histoire familiale avec des jumeaux
Depuis 2015, Alessandro Michele fait vibrer les Fashion Weeks de Milan avec des défilés qui tendent vers le happening. Inspirée par son histoire familiale – sa mère et sa tante sont jumelles –, la collection printemps-été 2023 présentée en septembre dernier est placée sous le signe de la gémellité et questionne la notion d’identité et d’individualité dans un monde où tout se ressemble. Éclectique, le nouveau vestiaire évolue du costume version porte-jarretelle au rose fuchsia à paillettes des étoiles de Hollywood Boulevard, en passant par le baroque des robes maximalistes à sequins, reprenant tous les codes de l’esthétique développée par Alessandro Michele chez Gucci depuis sept ans. Mais le clou du spectacle n’est révélé qu’à la fin du défilé : alors que le mur qui longeait le podium se lève, il dévoile un autre podium où défile en miroir un jumeau du mannequin présent de l’autre côté, habillé à l’identique. Une présentation stupéfiante, qui confirme la créativité sans borne du créateur romain et clôture avec panache la carrière de ce dernier au sein de la maison historique.