Actrice et muse de Chanel, qui est vraiment Astrid Bergès-Frisbey ?
La comédienne Àstrid Bergès-Frisbey mène sa carrière en se passionnant pour tous les aspects du cinéma. Du film indépendant au blockbuster, la ravissante muse de Chanel enchaîne les défis.
Nous sommes à la fin des années 2000. Àstrid Bergès-Frisbey a à peine plus de 20 ans et croise sur le plateau de Elles et moi, de Bernard Stora, Danielle Darrieux, l’une des plus grandes icônes du cinéma français, alors âgée de 90 ans. Pour la jeune femme née à Barcelone mais éduquée entre Paris et Royan, rêvant d’une carrière faste alors qu’elle sort juste du Cours Simon, c’est le choc. Même si elle est tout à fait consciente que le cinéma n’offre plus aujourd’hui le même écrin qu’il y a quelques décennies, la jeune femme décide très tôt d’y consacrer son énergie, regarde et persiste. Bercée par le désir d’une vie surprenante et nomade, elle s’installe à Paris dès ses 17 ans, suite à la disparition de son père. Dix ans plus tard, elle n’a rien perdu de ses désirs hors de la norme, et affirme sa personnalité singulière. Quand on demande à Àstrid Bergès-Frisbey sur quoi elle travaille actuellement, sa voix se teinte d’une soudaine gravité – comme si rien n’était plus important que de trouver le bon timing. “Je travaille sur un projet personnel dont je ne peux pas trop parler. Mes journées sont occupées à ça en ce moment. Je suis investie autrement que simplement comme une actrice.”
“Ce qui me plaît dans le cinéma américain, c’est de voir les risques financiers et artistiques que prennent les gens, alors qu’ils appartiennent à une niche. En France, on cherche parfois à rembourser son film avant toute autre chose.”
Être actrice, ce n’est peut-être pas assez pour une artiste féminine contemporaine. Les mouvements de libération qui secouent Hollywood suite à l’affaire Weinstein donnent des idées à une génération qui demande à ne plus subir les diktats masculins et les imaginaires rétrécis. Àstrid Bergès-Frisbey a beau avoir écumé les tournages, de la saga Pirates des Caraïbes au Roi Arthur – La Légende d’Excalibur, elle ne se vit pas comme une icône, une égérie ou une muse. Plutôt comme une personnalité créative. “J’aime le cinéma comme un tout, et il me passionne en tant que tel. Depuis mes débuts, je porte attention à l’ensemble des métiers qui permettent de construire un film. Je pense que s’intéresser à tous ses aspects, la lumière, la production, la mise en scène, permet de devenir une meilleure actrice, d’être plus juste, plus précise par rapport aux demandes du metteur en scène. Savoir la manière dont le cinéma fonctionne de l’intérieur me permet d’être beaucoup plus réactive. J’envisage toujours le film en entier et pas seulement du point de vue de mon personnage. Je ne fais pas partie de ces comédiennes qui ne lisent que leur rôle dans un scénario.”
Armée de sa volonté de bien faire, Àstrid Bergès-Frisbey a développé, dans le sillage de son éthique de travail, des passions parallèles. “Mon goût pour la photo s’est beaucoup renforcé en faisant ce métier. Quand je prépare un rôle, je m’intéresse à tout. Si je tourne un film en costume, j’effectue des recherches et je vais étudier les vêtements de l’époque pour trouver les bons accessoires. Tout un tas de métiers enrichissent mon travail d’actrice et me captivent. Je n’aime pas rester passive. J’ai eu envie d’apprendre certaines choses relatives à la production, par exemple. Cela permet de s’investir dans des projets qui sont difficiles à monter financièrement, et d’être partie prenante, de ne pas rester dans la position de l’actrice qui dit : ‘On verra si le projet aboutit.’”
Cette approche de son métier, Àstrid Bergès-Frisbey l’a développée à travers diverses expériences qui lui ont permis de connaître des réalités éloignées, voire contradictoires, du cinéma mondial, passant de La Fille du puisatier de Daniel Auteuil au blockbuster Pirates des Caraïbes mené par Johnny Depp, tout en s’autorisant une incursion indé chez Mike Cahill et Brit Marling avec I Origins… “Quand on évoque un film français et un film indépendant américain, on ne parle pas de la même chose, confirme-t-elle. Presque pas du même monde. Ce qui me plaît dans le cinéma américain, c’est de voir les risques financiers et artistiques que prennent les gens, alors qu’ils appartiennent à une niche. En France, on cherche parfois à rembourser son film avant toute autre chose. J’ai l’impression que les rôles sont beaucoup plus définis aux États-Unis.”
“Je n’ai jamais été très attirée par la mode. Cet univers ne commence à m’intéresser qu’à partir du moment où je peux y voir une forme d’art. J’ai beaucoup de respect pour l’artisanat lié à la mode, et Chanel est justement une maison qui a su préserver cet artisanat. Chanel a une façon unique de dérouler le fil de son histoire.”
Du blockbuster générant des millions d’entrées, Àstrid Bergès-Frisbey souligne l’aspect structuré. Il n’est pas donné à tout le monde de travailler sur ce genre de films, et elle s’est appliquée à rendre cette expérience la moins impersonnelle possible, en apprenant l’anglais qu’elle ne parlait pas (bien que sa mère soit franco-américaine) et en s’amusant à “tenter des choses qu’on ne fait que dans un film comme Pirates des Caraïbes”. Une manière de ne pas rester dans la redondance et de “tester les limites” de ses connaissances. “J’ai pu aussi mettre à l’épreuve mon principe numéro un : ‘Suis-je en train de tenter quelque chose qui fera de moi une meilleure actrice ?’”
Tester les limites et devenir meilleure à chaque occasion est une belle profession de foi. Àstrid Bergès-Frisbey a connu l’expérience la plus aventureuse de sa carrière avec Mike Cahill. I Origins proposait un mélange de film indépendant et de science-fiction assez inédit. “J’aime sentir que faire son film est essentiel pour le réalisateur. Je n’ai pas vu l’équivalent en France, un film à si petit budget, avec une telle atmosphère de travail où chaque centime est investi dans l’image. C’était inédit pour moi. Je me rends compte que j’aime l’originalité et aussi multiplier les expériences. Je n’ai pas fait un film dans le même pays ou la même langue depuis dix ans. Ce qui est bizarre, c’est que ce n’était pas forcément un choix de tourner dans des géographies et des langues différentes. À cause de cela, on peut avoir du mal à suivre le fil de ma carrière. En France, les gens n’ont pas forcément l’idée des derniers films que j’ai tournés. Mais cela me permet aussi de me renouveler. Cela donne beaucoup de cordes à mon arc et je trouve ça enrichissant.”
“J’ai eu la chance de tourner avec beaucoup de grands acteurs. Si je devais en mentionner un, la première personne qui me vient à l’esprit est Michael Pitt dont j’admire beaucoup les choix.”
La structure la plus stable de sa carrière, l’actrice et mannequin l’a sans aucun doute trouvée auprès de Chanel dont elle est l’égérie depuis plusieurs années. “Une histoire très particulière s’est tissée avec Chanel. Je n’ai jamais été très attirée par la mode. Cet univers ne commence à m’intéresser qu’à partir du moment où je peux y voir une forme d’art, associant un désir d’expression et un savoir- faire. J’ai beaucoup de respect pour l’artisanat lié à la mode, et Chanel est justement une maison qui a su préserver cet artisanat. Tous les métiers travaillant derrière ces créations, cela me fascine… Chanel a une façon unique de dérouler le fil de son histoire, collection après collection, en se focalisant sur des détails et des moments précis… J’aime que ce soit une maison indépendante et installée. Je suis quelqu’un d’assez loyal et j’apprécie le fait que Chanel partage ce type de valeurs. J’aime faire partie d’une histoire.”
Faire partie d’une histoire, voilà l’idéal qu’Àstrid Bergès-Frisbey atteint déjà, avant peut-être un jour d’appartenir à l’Histoire, celle du cinéma qui lui tend les bras. Elle connaît le chemin à parcourir et se souvient avec précision des rencontres qui l’ont inspirée. “J’ai eu la chance de tourner avec beaucoup de grands acteurs. Si je devais en mentionner un, la première personne qui me vient à l’esprit est Michael Pitt dont j’admire beaucoup les choix. Je n’ai jamais vu quelqu’un travailler autant. Souvent, il emmène les films beaucoup plus loin qu’on aurait pu l’imaginer.”
Avant d’entrer dans le tourbillon frénétique de la notoriété, Àstrid Bergès-Frisbey sait déjà qu’elle ne se pliera pas à la vacuité contemporaine qui va avec la célébrité. Quand on lui demande quel est son port d’attache, sa réponse prend alors l’allure d’un manifeste personnel : “Je ne révèle pas où j’habite. Mon métier est d’interpréter des personnages, cela n’a donc aucun sens de savoir où je vis. Je refuse le nivellement par le bas qu’induisent les réseaux sociaux. À se prêter à ce jeu-là, les artistes deviennent des esclaves. Personnellement, j’ai fait le choix de ne pas être sur les réseaux sociaux, certes, ça me panique beaucoup, parfois des gens s’approprient mon identité, mais je pense que c’est beaucoup plus important d’être jugé sur son travail que sur ces futilités. J’adore découvrir des films interprétés par des acteurs de la vie desquels j’ignore tout. Je ne sais ni où ils vivent ni qui ils sont et c’est beaucoup plus puissant. Tout ce que je peux vous dire, c’est que j’aime m’enrichir de lieux et de cultures différentes. J’essaie de jouer à la bête curieuse pour tenter de comprendre ce monde.”