30 oct 2020

“Nodaleto c’est un label qui parle de pop culture.” Rencontre avec les fondateurs de Nodaleto

Lancé en 2018 , le label de chaussures Nodaleto s’est imposé avec ses modèles aux talons graphiques et ses images irrévérencieuses. Afin d’en savoir plus sur la vision et les inspirations de ce jeune label au succès fulgurant, Numéro a interviewé ses fondateurs, Julia Toledano et Olivier Leone.

propos recueillis par Léa Zetlaoui.

Alors qu’on observe souvent une uniformisation dans l’image des marques, vous faites preuve d’une grande spontanéité et de beaucoup d’audace, pourriez-vous expliquer l’esthétique de Nodaleto?

Olivier Leone : Julia Toledano et moi sommes des gens très différents, mais nous nous retrouvons autour de valeurs communes qui sont une espèce d’ode à la vie et à l’esthétisme de façon globale. Nodaleto est un label qui est définitivement pop, qui parle de pop culture avec une esthétique fortement imprégnée de la fin des années 80 et 90, et qui narre toujours l’histoire de femmes avec du caractère. L’art contemporain, nous le regardons avec des yeux d’enfant et notre approche de l’image est très instinctive bien qu’on puisse dire également que tout est très réfléchi. Nous déclarons souvent que Nodaleto, c’est une conversation imaginaire entre Miuccia Prada et Quentin Tarantino. Et ce qui est intéressant quand je parle du travail d’un Quentin Tarantino, c’est qu’il y a 4 ou 5 niveaux de lecture dans ses œuvres. Il s’adresse à la fois à des initiés et aux masses. Notre objectif avec Julia et Nodaleto, c’est de proposer un projet global qui parle à beaucoup de gens tout en restant technique. Pouvoir plaire à nos premiers cercles comme à de parfaits inconnus sans se compromettre, c’est ce que nous recherchons. 

 

À la différence de nombreux labels, vous revendiquez une double direction artistique – les produits et l’image, quel en est l’intérêt?

Julia Toledano : Chez Nodaleto, nous avons la chance d’avoir un studio de design et un studio pour la production d’images vraiment séparés, mais qui travaillent en étroite collaboration. Ce qui nous permet d’avoir une réflexion très poussée  autour de l’image, de traiter nous-mêmes les retouches, et de maîtriser du début à la fin le processus de direction artistique. Cela nous rend aussi plus proches de nos photographes, avec qui nous nouons des relations d’amitié, de la même façon que nous sommes proches de nos artisans. C’est une histoire très humaine. 

 

Quels sont les photographes avec lesquels vous collaborez?

Olivier Leone : Nous nous entourons de photographes de notre âge, comme Carlijn Jacobs, Thomas Christiani, Valentin Giacobetti ou Camille Summers-Valli. Ils ont tous la trentaine, ce sont tous des artistes montants qui ont une réflexion vraiment artistique dans leur travail photographique. Ils ne recherchent pas la beauté pour la beauté ou la mode pour la mode, il y a toujours une réflexion derrière leurs projets.

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Une publication partagée par Nodaleto (@nodaleto) le 30 Juin 2020 à 9 :10 PDT

Comment expliquez-vous ce succès ?

Julia Toledano : La marque parle à un spectre très large de clientes, qui s’étend de la cool girl qui s’habille chez Dover Street Market à une femme qui a une approche plus classique de la mode. Nodaleto se joue des codes car la chaussure elle-même se joue des codes avec son talon trapézoïdal puissant. C’est une chaussure qui est extrêmement graphique. Et surtout nous essayons de ne jamais répondre à un appel commercial, c’est un des secrets du label.

 

Qu’entendez-vous par “ne pas répondre à un appel commercial”?

Julia Toledano : Je donne du temps à mon produit. Si au bout de trois prototypes, le modèle ne me convient pas, je préfère attendre la saison prochaine pour le sortir plutôt que de sortir une chaussure qui est à moitié finie. De la même façon, nous ne publions pas une image, tant qu’elle n’est pas complètement satisfaisante pour nous. Renouer avec le temps long nous paraît essentiel. C’est l’apanage du vrai luxe. 

 

D’autant que, sur les réseaux sociaux, nous sommes quotidiennement confrontés à un flot incessant d’images.

Olivier Leone : Aujourd’hui, il y a tellement de bonnes choses, de photographes qui sont géniaux… mais une image est devenue jetable. Je crois qu’à l’inverse nos images marquent et interpellent. Par exemple, ça fait deux semaines que nous n’avons rien publié sur Instagram car nous souhaitions préserver notre base d’abonnés à la nouvelle campagne qui arrive. Nous préférons nous réserver pour une vraie prise de parole. Je suis nostalgique d’un temps où les images avaient un sens, un temps où l’on trépignait en voyant des photos. C’est l’époque des images joyeuses de Jean Paul Goude, des sorties de Guy Bourdin, ou même des couvertures de Corrine Day ou John Rankin. La valeur constante entre ces photographes, c’est un temps qu’ils donnent à leurs clichés. Idem chez Nodaleto, nous octroyons du temps à l’image.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Une publication partagée par Nodaleto (@nodaleto) le 1 Oct. 2020 à 9 :46 PDT

Pour revenir à l’art contemporain, vous avez pastiché une peinture de David Hockney?

Olivier Leone : Comme je le disais précédemment, il y a plusieurs degrés de lecture dans Nodaleto et notamment une satire du monde de la publicité. Il y a un rapport très particulier entre la mode et le monde de l’art, un rapport de amour/haine, et il fallait se jouer de ça, mettre les pieds dans le plat. Personne n’avait reproduit aussi simplement une peinture. À ce degré, ce n’est même plus un hommage, on est effectivement dans le pastiche. Encore une fois, c’est pour jouer des codes et provoquer, que ce soit le bon ou le mauvais goût. Nous avons pensé que si c’était exécuté de la meilleure des façons avec une technique irréprochable, finalement, il n’y avait rien à redire. On ne voit finalement presque pas le mocassin, donc ces images étaient vraiment là pour raconter une histoire et non vendre un produit.

 

Récemment, vous avez également collaboré avec l’illustratrice japonaise Harumi Yamaguchi.

Olivier Leone : Julia et moi avons un lien très étroit avec le Japon et Harumi Yamaguchi est une illustratrice japonaise qui peignait des pin-up en utilisant la technique du airbrush dans les années 70. Renouer avec ce médium de l’aérographe, qui m’obsédait, avait donc énormément de sens pour nous. Aujourd’hui, Harumi Yamaguchi a 80 ans et est représentée par Nanzuka, une galerie assez jeune de Tokyo. Nous avons trouvé cette dichotomie très intéressante. La galerie a accepté de nous montrer ses œuvres qui n’ont pas pris une ride. Elle arrivait à peindre les femme avec une précision remarquable et nous avons trouvé ça tellement contemporain que nous lui avons demandé de réaliser des visuels pour nous.

 

Faire appel à ces artistes reconnues, ne serait-ce pas aussi une façon d’intellectualiser la chaussure ?

Julia Toledano : Je n’aime pas le terme d’intellectualiser car ça reste de la mode, pas de la philosophie tout de même, on est bien plus légers…  Mais c’est vrai qu’il y a une réflexion autour de la chaussure qui fait sortir la marque de sa catégorie. Nous ne nous considérons pas comme un label de souliers, même si je suis une designer de soulier, mais plutôt comme simplement une marque et un médium d’expression, la nôtre. 

 

Pour Halloween, vous dévoilez un nouveau projet avec la réalisatrice Fiona Godivier – nommée en 2017 pour la Palme d’Or du court-métrage à Cannes. On y voit notamment une chaussure géante qui marche dans les rues d’une ville-fantôme.

 

Olivier Leone : L’inspiration vient des films Kaiju, un genre de cinéma japonais pour désigner les films de monstres qui envahissent des grandes villes comme dans Godzilla ou les King Kong, c’est un véritable genre là-bas. L’idée était non pas de produire un film mais un teaser de film néo-blockbuster à la manière d’un trailer excitant que l’on regarde au cinéma. Nous voulions créer une dérision autour de la chaussure et de son talon que certains voient trop gros. Nous avons donc construit une maquette de ville dans une ambiance apocalyptique, comme si la ville était vidée. Et  nous avons agrandi au maximum la chaussure. Fiona Godivier était enthousiaste à l’idée de ce projet de chaussure géante. Son univers se construit dans une ambiance vaporeuse, lente, mystérieuse et se mélange parfaitement avec notre univers très pop pour donner quelque chose d’assez hybride. Ce qui est marquant et fait même un peu peur, c’est que cette vision s’est malheureusement réalisée lors des incendies de San Francisco. Le tournage de notre vidéo y était antérieur.  

 

Le fait de grossir les souliers donne un sentiment d’empowerment de la femme qui les porte et domine ainsi cette maquette de ville.

Julia Toledano : Oui, ça évoque des femmes qui ont le pouvoir, qui s’imposent et s’assument. Chez Nodaleto, nous jouons du contraste entre des femmes qui ont de la force et de la poigne mais qui sont douces.

 

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