Le jour où Louis Vuitton créa l’iconique Malle Courrier
Maroquinier de génie, Louis Vuitton et tous ses descendants n’ont cessé d’inventer et de réinventer la malle, qui traverse, depuis sa création en 1858, toutes les modes et les époques. À l’occasion d’une exceptionnelle vente aux enchères et d’une exposition de malles Louis Vuitton organisées par Christie’s du 19 juin au 1er juillet 2025, retour sur l’histoire de cette pièce iconique.
Par Camille Bois-Martin.
Louis Vuitton : du jeune apprenti emballeur au maroquinier de génie
Nous sommes en 1837, et un jeune Louis Vuitton rejoint Paris à pied depuis son Jura natal, des rêves et des ambitions plein la tête. Dans la capitale, il rejoint l’entreprise d’un certain Monsieur Maréchal et travaille pendant près de vingt ans en tant qu’emballeur – chargé de protéger les biens de particuliers destinés à voyager, à une époque où la valise rigide n’est que très peu répandue.
Inspiré par tous les bagages qu’il voit passer entre ses mains, Louis Vuitton décide en 1854 de fonder son propre atelie. Il imagine alors des malles plates, les fameuses Malles Courrier, qu’il commercialise à partir de 1858, et dont l’aspect moderne et élégant s’adapte aux nouveaux modes de transports collectifs, tels que le train ou le bateau.
Le trentenaire installe son premier atelier, au 4 rue Neuves-des-Capucines à Paris : son succès ne se fait pas attendre – en particulier après le lancement de ses Malles Courrier –, profitant des fastes du Second Empire et d’une ère industrielle en plein développement.
Le premier Monogram
Afin de pouvoir accueillir ses équipes grandissantes, Louis Vuitton change plusieurs fois d’adresses. Avant de finalement poser bagages dans la campagne d’Asnières, située stratégiquement près de la première voie de chemin de fer quittant Paris vers le nord-ouest ainsi que des cours fluviaux qui acheminent ses matériaux.
Malgré un commerce prospère, Louis Vuitton cherche à se différencier du reste des malletiers. Il imagine une toile rayée rouge et beige à partir de 1876, sur laquelle il rajoute de petites pièces métalliques. Copié par ses pairs, il développe par la suite la fameuse toile damier, qui séduit toute une clientèle de luxe – de l’impératrice Eugénie au prince d’Égypte, Ismaïl Pacha. Par l’entremise de ces figures influentes, la Malle Courrier se diffuse alors à travers toute l’Europe.
Après la disparition de Louis Vuitton en 1892, son fils Georges Vuitton, qui travaillait à ses côtés, reprend le flambeau et conçoit une nouvelle toile, en hommage à son père. C’est le début de l’illustre Monogram, composé de fleurs, d’étoiles, de losanges et des initiales LV… Innovant, ce motif marque la toute première fois dans l’histoire de la mode où un nom de fabricant apparaît à l’extérieur du produit. La légende LV est née.
Georges Vuitton, ou quand les malles voyagent à l’international
Dans les pas de son père, Georges Vuitton développe les savoir-faire de l’entreprise familiale et la transforme en une véritable firme internationale de renom. Il ouvre en 1885 à Londres la première boutique Louis Vuitton hors de Paris, et conçoit des bagages adaptés pour voyager sur tous les continents. Ainsi la toile des valises est-elle remplacée par des plaques de zinc pour résister à l’humidité, tandis que d’autres modèles sont transformés pour la gent féminine en de versions plus petites, afin de transporter des bouquets de fleurs ou des bijoux.
Mais, si la bourgeoisie multiplie les voyages à l’étranger, les vols de bagages s’amplifient également. Précurseur, Georges Vuitton imagine alors dès 1886 avec son père un système de verrou unique et met au point une serrure incrochetable pour l’ensemble des malles d’un même client, qui ne peut s’ouvrir qu’avec une seule clé.
Une initiative novatrice, qui achève de faire de la maison Louis Vuitton un incontournable de la bagagerie. Fort de son succès, Georges Vuitton met alors au défi le célèbre prestidigitateur américain Houdini de parvenir à s’extraire d’une de ses Malles Courrier. Face à son insistance, le magicien accepte et des centaines d’affiches sont alors accrochées dans le Tout-Paris, invitant chacun à venir planter un clou sur la valise dans laquelle ce dernier sera enfermé…
Mais, le matin-même, Houdini embarque finalement pour New York, et George Vuitton profite de ce désistement pour se déclarer vainqueur et vanter l’efficacité de ses serrures. Une instrumentalisation des célébrités de l’époque qu’il n’aura de cesse de développer, suivi par son fils Gaston–Louis, qui devient, au début du 20e siècle, le maroquinier préféré des stars.
Gaston-Louis Vuitton : le maroquinier des célébrités
Au début du 20e siècle, sous l’égide de son père, Gaston-Louis Vuitton fait de la malle LV un véritable objet de collection. Au sein de la maison familiale d’Asnières, l’homme entrepose toutes les créations de son père et de son grand-père depuis la fondation de la maison en 1854 – et dont on retrouve du 21 au 26 juin 2025 une centaine de modèles dans les locaux de la maison Christie’s.
Dans sa lignée, les célébrités de l’époque se mettent elles-aussi à collectionner les Malles Courrier, qu’elles font fabriquer à leur image. Ainsi est conçue en 1927 la fameuse malle-bibliothèque d’Hemingway (qui y conserve ses manuscrits), la malle à chaussures de l’actrice Greta Garbo, la malle-lit de l’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza, ou encore la malle-bureau du chef d’orchestre Leopold Stokowski.
De Greta Garbo à Hemingway
Autant de créations fantaisistes impulsées à la demande de cette prestigieuse clientèle, qui participeront à sceller la légende Louis Vuitton. Encore aujourd’hui, la maison conçoit des Malles Courrier aussi extravagantes que leurs commanditaires (pour ranger ses montres, son service à thé, son maquillage ou même ses cigares).
À l’image du fameux Speedy, lancé au début des années 60 à la suite d’une commande spéciale d’Audrey Hepburn qui souhaitait une version sac à main inspirée du bagage l’Express lancé en 1930… Toujours, bien sûr, floqué du célèbre motif Monogram, revisité à l’infini par les directeurs artistiques des collections de la marque dans les décennies qui suivent.
Des sacs chamarrés de Marc Jacobs à partir de 1997, aux malles en toile de zinc remises au goût du jour par Pharrell Williams lors de son premier défilé en tant que directeur artistique des collections homme de la maison en juin 2023. Indémodable, la Malle Courrier semble donc encore avoir de beaux jours devant elle. En témoigne la dernière vente Christie’s de valises Louis Vuitton en juillet 2024, cumulant alors plus de deux millions d’euros pour seulement 98 lots. De quoi nourrir l’enthousiasme de ces nouvelles enchères inaugurées par la maison le 19 juin prochain…
Vente en ligne Christie’s “L’art du voyage par Louis Vuitton : Legendary Trunks : A European Private Collection : Part II”, du 19 juin au 1er juillet 2025.
Exposition du 21 au 26 juin 2025 chez Christie’s, 9 avenue Matignon, Paris 8e.