7 pièces de mode controversées qui ont fait polémique
Coup de génie, œuvres d’art ou provocations inutiles… Focus sur sept pièces de mode – vêtements, accessoires ou chaussures – qui ont scandalisé le public.
Par Alexis Thibault.
1. Les sneakers destroyed de Balenciaga
Dans son ouvrage Le goût du moche (2021), la journaliste Alice Pfeiffer évoque un dégueulasse aussi moral que physique. Elle cite notamment l’Esthétique de la laideur de Karl Rosenkranz : “La décomposition est le contre-pied d’une culture hygiéniste et mécanisée […] Le dégueulasse est intimement lié à la sphère du privé, un lieu d’abandon, de rébellion. Cette performance que l’on ne saurait assumer devant le regard des autres…”
En 2022, on assume à peu près tout chez Balenciaga. Et l’usure se mêle parfois à l’immonde. La maison arrogante dont Demna Gvasalia signe les collections ira même jusqu’à déconstruire le soulier. Censée protéger le pied et distinguer les hommes libres des esclaves dans l’Antiquité, supposée embellir la tenue à partir du XVIIe siècle ou indiquer le statut social d’un citoyen, la sneaker de Balenciaga détourne et moque à peu près tous les codes de l’Histoire.
Son design – qui rappelle la Converse – réinterprète les modèles portés par les athlètes du milieu du XXème siècle. Mais la “Balenciaga Paris” est, elle, complètement déglinguée et salie à l’extrême. En réalité, elle a été volontairement endommagée pour les photographies en nature morte destinées à la campagne de communication.
Le modèle en vente est légèrement moins usé mais toujours trop détérioré pour être porté par un quidam. Son prix monte parfois jusqu’à 1 450 euros… Une édition limitée de 100 paires abimées et “destinées à être portées toute une vie” seront réellement disponible sur le site du créateur en noir ou en blanc jusqu’à épuisement des stocks.
Sneakers “Balenciaga Paris” destroyed, de 695 à 1450 euros.
2. La Minaudière pigeon de JW Anderson
Cette idée improbable est signée JW Anderson, label de mode britannique fondé par le créateur éponyme en 2008. Le concept : un volatile imprimé en 3D doté d’une ouverture latérale et d’une fermeture magnétique. Un pigeon-minaudière en somme.
L’acmé de l’atypique, de l’inattendu, du caustique ou du joli-laid. Une pochette ni vulgaire, ni ringarde, simplement kitsch. Présenté lors du défilé automne-hiver 2022, ce pigeon succède au sac pénis de Jonathan Anderson qui cherchait cette fois : “Un élément un peu idiot en contraste avec la situation de l’époque […] un symbole amusant et familier du paysage métropolitain.”
Apercevoir l’étrange animal dans les mains de Sarah Jessica Parker, héroïne de la série emblématique Sex and The City, était suffisant pour faire jaser. Rupture de stock. La philosophe Sophie Chassat, dans La mode: boule à facettes philosophique, résume peut-être l’objectif de cette création : “Tout se passe comme si la mode tenait son équilibre d’une mise en tension permanente d’incessantes polarités contraires : conformisme/distinction ; collectif/individuel ; contrainte/libération ; éphémère/récurrent ; contemporain/à contre-temps ; laid/beau ; apparence/être, etc.”
Pochette pigeon de JW Anderson, 890 euros.
3. Le tee-shirt Louis Gabriel Nouchi et sa fausse trace de sueur
Sur le site officiel du créateur français Louis Gabriel Nouchi, la description est aussi brève qu’explicite : “Tee-shirt à coupe droite avec des taches de sueur imprimées.” La pièce au col rond et manches courtes imite l’attirail d’un joggeur du dimanche qui achève enfin son parcours, laissant apparaitre des traces de transpiration factices sur le torse et des auréoles brunes sous les aisselles.
En toute logique, les néophytes s’interrogent… D’abord parce qu’il suffit de cinq minutes d’efforts intensifs pour obtenir un résultat similaire. Ensuite parce que le tout-venant n’identifiera pas forcément la caution mode de cette pièce audacieuse.
Contre toute attente Louis Gabriel Nouchi cite un roman épistolaire de 1782 en guise de référence : Les Liaisons Dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos, ou les tribulations de deux nobles libertins. “Chacune de nos collections s’inspire d’un ouvrage, précise Mikael Bonhomme, designer du label. Nous avions déjà présenté cette pièce la saison dernière dans une version colorée et souhaitions questionner la dimension érotique des corps et les stigmates de la sexualité. Nous avons donc décidé de représenter un fluide corporel – la sueur d’un torse trempé de boîte de nuit par exemple – directement sur un vêtement supposément propre. L’histoire d’un corps qui a vécu.”
Après une longue réflexion (la forme, la teinte et le placement de la trace de transpiration sur le tissu), ce trompe-l’oeil voit enfin le jour. Une retranscription visuelle fidèle au réel plutôt qu’une simple adaptation esthétique des “humeurs”.
Tee-shirt avec imprimé sueur Louis Gabriel Nouchi, 195 euros.
4. La ceinture en ruban adhésif de Raf Simons
Peu après la sortie de son morceau Raf, le rappeur américain A$AP Rocky justifie son admiration pour le créateur Belge dans les colonnes du Time: “J’ai l’impression que Raf Simons a construit une nouvelle religion autour de la mode. Hommes, femmes et enfants débattront longtemps des raisons pour lesquelles il est le meilleur. Ses archives sont toutes aussi importantes que ses créations actuelles…”
Influencé en partie par son compatriote Martin Margiela, Raf Simons brille par son sens des lignes pures et graphiques, par ses blocs de couleurs débarrassés de tout détail ornemental.
Quant à l’artiste Sterling Ruby, il lui inspirera les imprimés de sa collection Dior haute couture de l’automne-hiver 2012-2013 au fil d’un processus exigeant documenté par le film déjà culte Dior and I. C’est certainement sa passion pour l’art contemporain et le design industriel qui le pousse a imaginer un ruban adhésif à message pour sa collection automne-hiver 2017-2018 à New York.
Tel un gourou moqueur, il appose les slogans “Raf Simons Youth Project (RSYP)”, “NY I <3 You” ou encore “Walk With Me” sur un simple rouleau de scotch noir ou blanc de 5 cm de largeur. Cet outil familier, perdu d’ordinaire entre la poussière et un pot de peinture, se transforme alors en accessoire de mode, enserrant la taille de mannequins aux longs manteaux noirs à revers en satin.
Ruban adhésif Raf Simons, 168 euros.
5. Le jean Gucci et ses tâches d’herbes plus vraies que nature
À la fin 1991, le deuxième album de Nirvana, Nevermind, est numéro un des ventes dans le monde entier. Le critique londonien Nick Kent voit en Kurt Cobain – figure christique au regard figé et à la voix déchirée – le dernier espoir qu’il reste au rock’n’roll : “Ce n’est pas un joli son, mais il capte l’attention.”
Mêlé au punk et au heavy metal, le genre musical grunge de Seattle se mue en mouvement crasse et qualifie alors par métonymie un style vestimentaire symbolique volontairement négligé et débraillé adopté par la jeunesse des nineties. Trente ans plus tard, la maison Gucci poursuit l’industrialisation de la contre-culture et exhume cette usure chic; elle propose un jean et une salopette ordinaires qui semblent avoir été méthodiquement frottés sur une pelouse fraîche.
Alessandro Michele avait déjà présenté ces deux créations au mois de janvier 2020, glissant du denim un peu partout dans sa collection masculine automne-hiver, à Milan. Les deux pièces abimées ne feront réagir la Toile qu’a posteriori, lors de leur mise en vente sur le marché, les prix – 680 et 980 euros – vont à l’encontre du grunge, anti-mode de la jeunesse américaine désabusée.
Notons que cette pièce Gucci en coton biologique a reçu, pour imiter les salissures, un traitement spécial sans produit chimique pour un effet doublement naturel.
Jean Gucci avec fausses traces d’herbe, 680 euros. Salopette Gucci avec fausses traces d’herbe, 980 euros.
6. Le jean JordanLuca et sa fausse trace d’urine
Sur son site internet, la marque anglo-italienne JordanLuca définit l’ADN de ces chemises comme suit : “Un amalgame de deux cultures, la britannique Savile Row et la tradition italienne de la couture, pour créer quelque chose qui subvertit un classicisme que nous embrassons et rejetons en même temps alors que nous nous éloignons de plus en plus du concept original de formalité.” Étonament, c’est un jean qui a récemment embrasé la Toile…
La maison a commercialisé une pièce insolite – vendue entre 600 et 800 dollars – un pantalon en denim qui laisse apparaitre une fausse trace d’urine au niveau de l’entrejambe… Son nom de laisse aucun doute possible : Pee Stain Denim (“jean taché de pipi”). Trash pour les uns, ridicule pour les autres… la pièce est actuellement en rupture de stock.
7. Les bottes à sabots de Seán McGirr pour Alexander McQueen automne-hiver 2024
On pourrait voir en cette improbable paire de bottes le prolongement des travaux d’Alexander McQueen chez Givenchy, dans les années 90. Nommée en 1996, le successeur de John Galliano est alors au plus mal : il vient de se fait détruire par la critique. C’est à Londres qu’il relève la tête et présente It’s a jungle out there, un défilé spectaculaire inspiré par un documentaire animalier. Ici, les modèles maquillés à outrance sont transformés en bêtes sauvages. Oui… on pourrait voir dans ces bottes à sabots imaginées cette année par Seán McGirr, le directeur artistique irlandais de la maison McQueen, un hommage au bestiaire du designer britannique tragiquement disparu.
Les uns voient plutôt en cette paire de chaussures à 2990 dollars un hommage à l’âne, meilleur ami de l’ogre Shrek, héros des films de la firme Dreamworks Animation. Les autres une référence directe à Baphomet le nom donné par certains occultistes du XIXe siècle à l’idole mystérieuse que les chevaliers de l’ordre du Temple furent accusés de vénérer. Un personnage à tête de bouc, un flambeau planté entre les cornes, le front orné d’un pentagramme. La version de Seán McGirr est la suivante : une botte ayant la forme et le poids des sabots de cheval inspirée par les gens du voyage indigènes de son Irlande natale…