Les dessous de Ping Pang Paris: l’improbable label inspiré du ping-pong
Des joueurs professionnels de ping-pong se lancent dans un projet improbable : développer une marque de mode inspirée du tennis de table. Et les Français comptent bien déferler sur l’Asie où ce sport est presque une religion. Numéro a rencontré trois sportifs de haut niveau affiliés au projet et évoque avec eux le lancement de leur label, le bar ping-pong de Susan Sarandon, les séances au hammam avec Teddy Riner et les horribles sacrifices qu’imposent une carrière.
Propos recueillis par Alexis Thibault.
Habitués au vrombissement du public après chaque coup gagnant, aux hurlements rageurs de la victoire comme aux larmes inéluctables de la défaite, Quentin Pradelle, Antoine Hachard et Benjamin Brossier forgent aujourd’hui un clan inséparable au palmarès bien garni. Et le trio porte haut l’étendard tricolore à chaque nouvelle compétition, des championnats de France au Jeux Olympiques. Mais aux côtés de leurs collaborateurs Caroline Huang et Quentin Robinot, les trois pongistes professionnels défendent un projet improbable dont le sérieux tient, par exemple, à l’immense tableau Velleda barré d’inscriptions qui trône fièrement derrière eux : ils lancent Ping Pang Paris, premier label de mode éco-responsable sur le marché du ping-pong… Il leur faudra beaucoup de persévérance pour démocratiser en France ce sport peu télégénique et rarement médiatisé qui lève pourtant les foules en Asie, a captivé Prince et passionne encore l’actrice Susan Sarandon. Mais telle une tactique d’avant-match, leur plan est bien rôdé et commence, entre autres, par une collection capsule de basiques unisexes avec une discrète raquette rouge en guise de logo. Jusqu’alors habitués aux conférences d’après-match orchestrées par la presse sportive, c’est après une rude préparation digne de leur niveau que les trois joueurs ont répondu aux questions indiscrètes de Numéro…
Numéro: Que ce soit clair une bonne fois pour toutes : dois-je écrire “ping-pong” ou “tennis de table” ?
Quentin Pradelle: En Chine, on dit “ping-pang”, et les idéogrammes symbolisent des raquettes: un carré avec un trait en guise de poignée.Mais il faut savoir que le “tennis de table” a en fait été créé par la bourgeoisie anglaise dans les années 20. Il a ensuite voyagé pour être popularisé en Chine dans les années 70, notamment par Mao Zedong dont le crédo était simple: “Tapez la balle comme la tête de votre ennemi.”
Benjamin Brossier : “Ping-pong” est l’expression tombée dans notre langage courant. Mais “tennis de table”, souvent utilisée au sein des clubs, a longtemps été un moyen de crédibiliser ce sport qui manque d’identité contrairement à la pratique du skate qui est devenue un style de vie à part entière avec Vans. Nous voudrions faire la même chose.
Quentin Pradelle: En France, et dans les pays où la pratique n’est pas encore démocratisée, on nous dit souvent que le ping-pong n’est pas vraiment un sport. Ce qui n’arriverait jamais en Asie où le statut du pongiste est radicalement différent. Là-bas, vous êtes presque aussi célèbre qu’un joueur de football et, après les matchs, des agents de sécurité vous accompagnent même dans les bains de foule.
Antoine Hachard: Lorsque vous jouez un match en Chine, il y a 3000 spectateurs dans la salle. À la fin de la rencontre, les gens vous suivent, vous prennent en photo et vous demandent des autographes, ce qui arrive rarement d’habitude. Vous vous sentez enfin valorisé. Vous serez également placé sous protection au Nigéria… mais pour des raisons bien différentes. Un jour, j’ai été accompagné par l’armée nigériane pour empêcher toute agression. Là-bas, les vainqueurs des compétitions quittent souvent la salle avec de l’argent liquide sur eux.
La faible médiatisation du ping-pong est-elle la seule responsable de son manque de reconnaissance? Ou est-ce parce que certains collégiens ont l’impression d’être des génies en EPS ?
Benjamin Brossier: Si vous n’avez jamais assisté à une rencontre de haut niveau, vous aurez forcément l’image de la partie de ping-pong dans le jardin pendant un barbecue…
Antoine Hachard: Il y a pourtant un incroyable fossé entre le ping-pong sympathique du camping et notre pratique de tous les jours. Les gens ne soupçonnent pas que nous jouons parfois à trois mètres de la table et que nous envoyons des balles à plus de 100 km/h.
Quentin Pradelle: Le haut niveau demande énormément de sacrifices : nous avons quitté nos familles à 12 ans pour vivre de notre passion, nous avons passé 8 heures par jour devant une table pendant 20 ans. C’est ce qui nous rapproche des écrivains, des danseurs, des musiciens et des autres sportifs de haut niveau qui comprennent vraiment ce que cela nous a couté. Si vous saviez ce que nous avons dû franchir pour devenir joueurs professionnels…
Je vous ai vu claquer un 11-0 de la main gauche et sans raquette à un amateur qui fanfaronnait un peu trop. Est-ce jouissif d’humilier les vantards ?
Antoine Hachard: [Rires] Ce qui est surtout drôle c’est de toujours tomber sur un type qui pense nous tenir tête parce qu’il joue tous les étés avec ses cousins dans sa maison de campagne. Dans ces moments-là, on rentre dans son jeu avec plaisir ! Plus jeunes, nous étions très susceptibles. Puis nous avons appris à gérer ce manque de reconnaissance pour le tourner à notre avantage…
Benjamin Brossier: À l’INSEP [Institut national du sport], les entraînements de ping-pong se déroulaient au premier étage et l’équipe de France de judo au rez-de-chaussée. Nous avions d’ailleurs une balneo en commun à disposition. Parfois, Teddy Riner et sa clique débarquaient torse nu dans le hammam puis se foutaient de nos carrures en glissant au passage qu’on ne pratiquait pas vraiment un sport. Dans ces cas-là, on rentrait dans leur jeu, on planifiait un match puis on leur collait une trempe.
Vous auriez pris davantage de risques en les affrontant sur un tatami…
Antoine Hachard: Cela aurait été un peu plus brutal effectivement ! [rires] Mais je suis persuadé que Teddy Riner se sent tout aussi humilié après une défaite au ping-pong.
Benjamin Brossier: Affronter un amateur peut aussi se retourner contre vous… Après une soirée un peu trop arrosée à l’issue des Jeux Olympiques de 2016, je me suis retrouvé complètement ivre, sans portable ni argent à errer dans les rues de Rio. Par chance, j’ai croisé deux types, dont un Français, qui m’ont invité à finir la soirée chez eux. Sur place, il y avait une table de ping-pong. Évidemment, je m’étais présenté comme un athlète olympique… L’un des deux hommes a enfilé un short en vitesse, bien décidé à m’affronter. Le match commence. Je perds. Revanche: je perds aussi. Je passais littéralement à côté de toutes les balles que je voyais en double ou en triple. J’ai été battu par un inconnu dans son garage pendant les Jeux Olympiques.
“La complexité du sportif de haut niveau reste l’ascenseur émotionnel. Lorsque vous gagnez, votre bonheur est décuplé. Et lorsque vous perdez vous êtes au fond du trou.”
Êtes-vous tout comme les joueurs de football soumis chaque jour au tribunal des haters sur Internet ?
Benjamin Brossier: Très souvent. Surtout à l’étranger lorsqu’il y a des paris sportifs et beaucoup d’argent en jeu. Je me suis parfois fait insulter sur les réseaux sociaux après une victoire parce que je ne partais pas favori.
Antoine Hachard: Les insultes, on finit par ne plus y faire attention. Quand vous êtes au sommet, vous êtes très bien entouré. Lorsque vous commencez à perdre, on vous abandonne très rapidement. C’est dans ces moments là qu’il faut être solide.
Vous êtes-vous déjà levé un matin avec l’envie irrépressible de tout plaquer ?
Benjamin Brossier: Oui, plusieurs fois. Et pas forcément après une défaite…
Antoine Hachard: [En chuchotant] …souvent quand même.
Benjamin Brossier: La complexité du sportif de haut niveau reste l’ascenseur émotionnel. C’est tellement d’efforts, tellement d’investissement… Donc lorsque vous gagnez, votre bonheur est décuplé. Et lorsque vous perdez vous êtes au fond du trou. Si vous n’êtes pas armé pour gérer cela, vous pouvez rapidement tomber en dépression. Le pire, c’est que vous plongez très vite dans le grand bain. Dès l’âge de 14 ans, nous avons par exemple affronté l’injustice du favoritisme : nous étions tous des enfants du même âge et certains étaient privilégiés par les coach parce qu’ils avaient, visiblement, davantage de potentiel. À cet âge, lorsque votre entraîneur ne croit pas en vous, c’est très violent. Et vous voulez tout arrêter.
Quentin Pradelle: Moi j’ai tout plaqué à 20 ans quand j’ai compris que je n’atteindrai jamais le sommet. J’ai renoncé à mon rêve de gosse pour repartir à 0. Je me suis retrouvé à pleurer dans les gradins de Roland-Garros en regardant des matchs… Partir à Singapour pour finir mon école d’ingénieur et monter une boîte m’a permis de combler ce manque d’adrénaline.
Justement, quel esprit dérangé a eu l’idée folle de monter un label de mode autour du ping-pong ?
Quentin Pradelle: Tout a commencé aux États-Unis lorsque je suis entré au Spin New York, un bar ouvert par l’actrice Susan Sarandon. Le concept est simple : boire des cocktails et jouer au ping-pong pour 100$ de l’heure. C’est un endroit chic régulièrement privatisé par de grosses boites comme Google. Tous les vendredi soirs, ils organisent un tournoi avec les dix meilleurs joueurs disponibles et le gagnant repart avec un chèque 1000 dollars. Dans ce bar, vous pouviez croiser aussi bien Justin Bieber que Jamie Foxx. Moi qui venait du sud de la France, j’ai débarqué là-bas en me disant que, finalement, le ping-pong pouvait être un vrai spectacle si on lui en donnait les moyens. Depuis, Spin a ouvert des antennes à Dubaï et Toronto, notamment sous la houlette du fils de Guy Forget. Drake y passe parfois d’ailleurs. Face à cet engouement, on s’est dit qu’on pouvait être les premiers Français à enfin rendre le ping-pong cool.
Le logo de vos pièces minimaliste est une petite raquette de ping-pong. Le brainstorming a-t-il pris tant de temps que cela ?
Quentin Pradelle: Un jour, Benjamin m’a offert un tee-shirt sur lequel était brodée une petite raquette. À cette époque, je vivais à Singapour et on m’arrêtait souvent pour me demander où je l’avais acheté. Assez pour me persuader qu’il y avait un truc à exploiter. On a donc décidé de lancer un projet destiné aux amateurs de ping-pong et pas seulement aux professionnels. Nous avons donc repensé le logo et lancé une étude de marché sérieuse avec notre collaboratrice Caroline Huang.
Benjamin Brossier: En nous inspirant du Spin New York, nous voulions développer le projet autour de deux axes: le prêt-à-porter et l’événementiel. Il fallait beaucoup d’audace et nous y sommes allés au culot en frappant à la porte de la gallerie Ellia art où Rihanna avait présenté sa première collection Fenty. Dans une autre mesure, nous voulions aussi nous inspirer des marques de streetwear accessibles telles qu’Uniqlo, Lacoste ou Fila et des labels plus haut de gamme comme Études ou AMI afin de toucher le maximum de monde.
Comment comptez-vous atteindre le marché asiatique?
Quentin Pradelle: Il ne fallait surtout pas attaquer la marché chinois sans être installé au préalable en Indonésie, au Japon, en Corée et en France évidemment. Pour autant, nous avons refusé tout investissement publicitaire car il fallait tester notre réseau et notre influence. Le label Supreme était d’ailleurs l’une de nos références puisqu’ils n’a fonctionné que par l’intermédiaire de partenariats. Par chance, nous pouvons aussi compter sur des ambassadeurs puisqu’une cinquantaine de joueurs de haut niveau porteront nos créations.
Les produits sont-ils éco-responsables par conviction ou parce que vous n’aviez pas le choix ?
Quentin Pradelle: Par conviction évidemment, surtout que cela coûte deux à trois fois plus cher. Il y a actuellement une crise des cotons organiques en Inde et les prix ont explosé.
Benjamin Brossier: Nous n’étions pas très emballés à l’idée de lancer une marque de vêtement à l’heure de la surconsommation. Mais à termes nous souhaiterions inclure une dimension associative et culturelle au projet, en travaillant avec des danseurs par exemple.
Ping Pang Paris travaille main dans la main avec Seven Clean Seas qui a pour mission de recycler 10 000 000kg de plastique récupéré dans les océans d’ici 2025 mais aussi Ping Sans Frontières : qui cherche à développer l’accès au sport pour les jeunes défavorisés et dans les pays où l’accès au sport est limité.