Le retour tonitruant de Kappa, outsider distingué du sportswear
Partenaire officiel de l’AS Monaco, du Red Star Football Club ou du Stade français Paris, la griffe italienne Kappa repense, depuis quelques années, sa stratégie marketing et sa direction artistique. Véritable pionnier dans la confection de maillots de sport, l’équipementier s’impose aussi dans l’industrie musicale et récupère, au passage, son statut de solide outsider.
Par Alexis Thibault.
Kappa, la griffe italienne née d’un défaut de fabrication
Turin, 1956. Voilà maintenant 40 ans que la société italienne Maglificio Calzificio Torinese (MCT) confectionne des chaussettes en coton, dans la région du Piémont, au nord-ouest de la botte. Mais aujourd’hui, c’est un jour noir pour l’usine : plusieurs clients se sont plaints de la qualité des produits auprès de la direction… L’entrepreneur Maurizio Vitale doit absolument réagir. Il met donc en place un contrôle qualité sur l’ensemble de sa chaîne de production : aucune chaussette ne sortira de l’usine sans avoir fait l’objet d’un test ! Et c’est la lettre K – pour “Kontrolle” en allemand –, qui sera alors appliquée, par un tampon, sur l’ensemble des vêtements certifiés conformes.
Vitale corrige le tir. Les mois suivant, le taux de satisfaction de la clientèle revient à son statut initial. Mieux, tout le monde s’arrache ces chaussettes frappées d’un improbable K. Et comment prononce-t-on cette lettre en italien ? Deux ans plus tard, en 1958, l’usine élargit sa production à la maille puis s’attaque aux polos et aux chemises. La marque devient officiellement Robe di Kappa, littéralement “les choses de Kappa”.
Un logo emblématique inspiré par une séance photo
Après le défaut de fabrication vient la séance photo imprévisible. En plein shooting pour une campagne de maillots de bain, un homme et une femme se retrouvent assis sur le sol, dos à dos, en contre-jour, attendant les indications du photographe. La scène ferait un superbe logo, non ? À la fin des années 70, alors que la vente de produits lifestyle est en plein essor, Kappa voit plus grand… et s’attaque au sport.
C’est ainsi que la ligne Robe di Kappa Sport verra le jour. Très vite, les autres départements de la société se rangent sous le même étendard. Rachetée en 1994 par l’entrepreneur italien Marco Boglione, fondateur du groupe de prêt-à-porter BasicNet – qui détient également K-Way ou Sebago –, l’entreprise opte pour un modèle spécifique, celui du contrat de licence. Kappa utilise alors différents distributeurs implantés dans les pays alentours. Aujourd’hui, la marque compte une centaine de points de vente en Italie, quelques uns en Espagne et espère s’implanter en France très prochainement.
Visuel de la campagne de Kappa “Red Star Everywhere” du Red Star FC pour sa nouvelle collection de maillots 2024/2025.
Kappa, le pionnier de l’équipement sportif
Voilà maintenant 15 ans que Rémi Garnier est en poste chez Kappa. Il est aujourd’hui Country Manager France de la firme italienne et raconte volontiers trente années de partenariat avec le légendaire club de football de la Juventus, initié dans les années 80. À l’époque, Kappa signe un contrat en or et devient alors le premier sponsor technique d’un club italien. L’entreprise imagine, dans la foulée, une gamme de survêtements pour les joueurs… et les supporters.
D’autres clubs frappent à sa porte. Citons pêle-mêle l’AS Roma, l’AC Milan, le FC Barcelone, l’Ajax Amsterdam ou l’AS Monaco. “À l’époque,pour Kappa, le style était déjà aussi important que la performance, souligne Rémi Garnier. C’est encore le cas aujourd’hui puisque nous n’avons pas à notre disposition une armée d’ingénieurs pour développer la pièce la plus technique possible. Il faut que nos consommateurs se sentent bien et, surtout, qu’ils se sentent élégants. Car un athlète qui se sent beau voudra forcément briller davantage sur le terrain.”
Il faut dire que Kappa a multiplié les collaborations : ses équipes confectionnent les tenues de l’équipe américaine d’Athlétisme – dévoilées en 1984 –, puis débutent une relation privilégiée avec l’écurie écarlate Ferrari. Plus tard, c’est une révolution de style et de technique qui fera couler beaucoup d’encre : en 1999, le sponsor officiel de la sélection nationale italienne transforme le maillot de football et propose une pièce moulante plus légère et plus élastique, que l’adversaire peine évidemment à agripper. La plupart des équipes adoptent à leur tour ces maillots moulants. Kappa est en passe de réussir son pari : mêler le sport au lifestyle.
Le maillot de football, la tendance qui profite toujours à Kappa
Collaborer avec des clubs de football professionnels et amateurs est aujourd’hui devenu indispensable à l’image de marque de Kappa. Autrefois, les clubs anglais tels qu’Aston Villa ou Leeds faisaient rayonner l’entreprise aux abords des stades. Désormais, ce sont des équipes parfois confidentielles qui font le bonheur de la griffe italienne.
Récemment, c’est le maillot du Red Star Football Club qui a beaucoup fait parler de lui. Un an après avoir utilisé l’intelligence artificielle pour le design de ses maillots, l’e Red Star Football Club l’institution compte sur David Bellion, Brand Manager du club parisien, pour confectionner l’équipement de la saison 2024/2025. “Kappa nous a donné carte blanche, confie-t-il. Octave Marsal et César Domboy [du studio de création DRACO] n’étaient pas là pour développer un sempiternel maillot à rayures mais pour proposer une pièce intemporelle qui serait encore pertinente dans quinze ans.” Le résultat : un maillot inspiré des tapisseries anciennes, des toiles de Jérôme Bosch, des œuvres de William Turner et des graffitis du mystérieux Banksy sur lequel les designers intègrent des images de fumigènes, un cycliste en roue arrière ou un morceau du Sacré-Cœur… “Le véritable challenge dans la confection de ce maillot ? Plaire aux ultras, aux jeunes du club et aux supporters internationaux, poursuit David Bellion. Finalement, nous nous sommes rendus compte qu’il n’y avait rien de plus agréable que d’entendre un gosse s’écrier : “Ouah ! Il est trop beau le nouveau maillot !””
À plusieurs kilomètres de là, c’est l’équipement du Football Club Versailles 78 que l’on remarque. Le club de National a vendu 1500 maillots en à peine 24h00. Rupture de stock. D’ici la fin de l’année, Kappa espère multiplier les chiffres de cette vente par 20, d’autant que 60 à 70% des demandes… proviennent de l’étranger.
Sponsoring et direction artistique : Kappa soigne son identité
Qu’on se le dise, Kappa ne souffre pas d’un manque de notoriété… mais de lisibilité. La faute à un refus d’utiliser des égéries et à la multiplication de ses gammes. Sa ligne lifestyle, véritable tête de proue, côtoie le vestiaire Robe di Capa, marque de prêt-à-porter casual, très développée en Italie, mais toujours balbutiante en France. En d’autres termes, les pièces issues du merchandising ou des collaborations avec d’autres marques – telles que Palace, Starcow ou les studios Warner Bros –, se mêlent à des joggings, des bandanas, des casquettes et des maillots replica des clubs de l’AS Monaco, du Versailles FC, du Stade Français Paris ou de la Fiorentina.
La firme italienne sait pertinemment qu’elle ne peut rivaliser avec les mastodontes Adidas, Nike et Puma. Impossible pour elle de s’offrir aujourd’hui le Paris Saint-Germain ou le Real Madrid. Il faut donc qu’elle diversifie ses activités tout en resserrant les liens avec ses partenaires établis : “Nous ne cherchons pas à être les plus performants, reconnaît Rémi Garnier. En revanche, nous défendons une vision romantique du sport. Peu importe la division ou le score à la fin du match, nous traitons l’AS Monaco (Ligue 1) de la même manière que le FC Versailles (National).”
Kappa change de prisme, conscient des avantages et des inconvénients de son système opportuniste court-termiste organisé autour des contrats de licence : “À l’époque, nous étions des distributeurs de la marque. Un peu comme des locataires en France. Lorsque vous louez un appartement, vous ne pouvez pas vous permettre de refaire la peinture, le parquet et changer toute la salle de bain. Depuis que nous sommes propriétaires, nous nous sommes lancés dans un chantier de rénovation et d’investissement. C’est une vision à long terme qui mise notamment sur les partenariats.”
La musique, une stratégie payante pour la firme piémontaise
Le label Kappa s’est associé à l’agence Talk Studio, à Paris, notamment responsable de la marque néerlandaise Daily Paper ou du label d’Anvers Arte. Partenaire du festival Rolling Loud aux États-Unis et des Ardentes, qui se déroule chaque été à Liège, la marque piémontaise comprend rapidement le pouvoir du merchandising et du sponsoring d’événements culturels. Depuis 2012, le Kappa Futur Festival met à l’honneur la scène techno internationale en plein cœur de Turin, au nord de l’Italie, au cœur du Parco Dora – les anciennes usines Fiat–, transformé en décor post-apocalyptique pour l’occasion.
En 2019, les organisateurs du Kappa Futur Festival avaient accueilli 100 000 festivaliers issus de 118 pays, recevant alors le trophée de Meilleur festival mondial décerné par DJMag. Quant à l’édition 2024, elle a généré près de 25 millions d’euros, soulignant l’importance de l’événement en matière de tourisme pour la région italienne…