30 nov 2022

Dans son atelier, Yan Pei-Ming dévoile les coulisses de sa peinture épique pour Hennessy

Après Liu Wei, Zhang Huan ou encore Guangyu Zhang, la maison de cognac Hennessy célèbre une fois de plus le Nouvel An lunaire en invitant un artiste chinois à réaliser une œuvre qui inspirera des bouteilles en édition limitée. Pour l’an 2023, le grand peintre Yan Pei-Ming a réalisé une toile de 6 mètres de long mettant en scène tous les animaux du zodiaque chinois. Rencontre dans son atelier aux portes de Paris.

Propos recueillis par Matthieu Jacquet.

Le peintre figuratif Yan Pei-Ming collabore avec Hennessy pour le Nouvel an lunaire

 

C’est un grand nom de la peinture figurative contemporaine. Depuis bientôt quarante ans, l’artiste d’origine chinoise et Français d’adoption Yan Pei-Ming fige sur ses toiles souvent monumentales les morceaux de notre époque qui façonneront notre histoire, de ses figures publiques majeures – le pape, Mao Zedong, Michael Jackson… – aux personnes qui croisent sa route et marquent sa mémoire – membres de sa famille, visages d’anonymes marqués par des événements tragiques –, en passant par des scènes issues de l’actualité, de l’histoire de l’art ou de la mythologie. Un corpus pictural foisonnant, tantôt dominé par les nuances de gris, tantôt par le rouge écarlate, qui n’a pas manqué de séduire Hennessy. Depuis plusieurs années, la maison de cognac historique invite annuellement un artiste chinois à réaliser une œuvre qui inspirera des bouteilles en édition limitée d’une variété de ses produits, mises en vente à l’occasion du Nouvel An lunaire. Guangyu Zhang en 2019, Zhang Huan en 2020, Liu Wei en 2021… si l’an 2023 sera placé en Chine sous le signe du lapin, Yan Pei-Ming a préféré étendre cette inspiration à l’ensemble des douze animaux du zodiaque chinois, dévoilant une immense toile de 6 mètres de long et 3,5 mètres de haut dans une scène épique de cavalcade où se mêlent chevaux, tigres, serpents et chiens. Les tonalités chaudes de cette nouvelle œuvre intitulée La Grande course se transposent d’ailleurs dans le design de trois bouteilles de cognac produites en édition limitée par Hennessy, à l’instar du dégradé du pourpre vers le doré que l’on retrouve sur le Hennessy X.O. Affable et cigare à la main, l’artiste aujourd’hui âgé de 62 ans nous a ouvert les portes de son atelier dans le sud de Paris, afin de dévoiler les dessous de cette toile impressionnante et raconter son amour infaillible pour la peinture.

 

 

Numéro : À l’instar des artistes Liu Wei ou Zhang Huan les années précédentes, la maison Hennessy vous a invité à imaginer une œuvre à partir du signe astrologique chinois de l’année qui arrive. Pourquoi avez-vous choisi  plutôt de représenter l’ensemble des douze animaux du zodiaque ?

Yan Pei-Ming : Cette commande était un vrai défi : il s’agissait d’établir une liaison entre le cognac et le lapin, signe chinois de l’année 2023. Très tôt, j’ai souhaité réaliser une peinture dense et inédite à l’échelle de mon œuvre, comme une sorte de provocation. Pendant le confinement, j’ai regardé le film Ben-Hur deux ou trois fois. Durant cette période sombre, d’incertitude, quand j’étais devant ce péplum avec toutes ces courses de chars et ces chevaux, je me suis dit : “Ça y est, mon sujet est là !” Plutôt qu’un lapin seul, j’ai souhaité réaliser une œuvre aussi dense qu’une peinture d’histoire avec les douze animaux du zodiaque, et pas seulement un de chaque – ce qui donnerait lieu à une illustration trop parfaite et littérale. J’ai préféré mettre en scène une “explosion” d’animaux : on y voit deux serpents, deux chiens, trois rats, trois singes, deux tigres… Tout comme son sujet, la réalisation de cette peinture a été une véritable aventure sur deux à trois mois, et sa composition a beaucoup varié au fil du temps. Plutôt qu’enchaîner les esquisses préliminaires en petit format avant de les transposer sur ma toile de six mètres de long, j’ai modifié tous les éléments au fur et à mesure, directement sur le support final. Au début, il y avait un troupeau de chèvres à droite, un groupe de chevaux derrière, puis j’ai peint beaucoup de lapins et de rats, mais finalement cela semblait trop envahissant alors j’en ai fait disparaître quelques uns… Quand je regarde le résultat final, je me dit que c’est une peinture qui bouge beaucoup. À l’image de ce qui se passe dans Ben-Hur.

Yan Pei-Ming, “La Grande course” (2022). Toile réalisée pour la Maison Hennessy.

Vous vous êtes rendu à Cognac pour visiter la Maison Hennessy. Comment cette expérience et ce que vous avez appris sur cette alcool ont convoqué dans votre imaginaire les images, les couleurs et l’ambiance que l’on retrouve sur la toile ?

Ma découverte de Hennessy remonte à mon adolescence à Shanghaï, un jour où mon oncle nous a ramenés de Hong Kong une de leurs bouteilles. Seul mon grand-père la buvait – ma mère s’en est tout juste servi un verre – puis, lorsqu’il l’a finie, la bouteille est toujours restée chez nous. On l’a gardée pour sa beauté, mais aussi parce qu’on pouvait la remplir d’autre chose ! [rires] Comme en France, à l’époque on réutilisait tout. Malgré ce souvenir, tisser aujourd’hui un lien avec la maison dans une œuvre n’était pas si simple : je ne me voyais pas peindre une bouteille, cela aurait été ridicule ! Lorsque je me suis rendu à Cognac pour visiter la Maison Hennessy, j’ai beaucoup appris sur la manière dont cet alcool était fabriqué, dont il a évolué, j’ai pu constater par moi-même comment son goût et varie selon les récoltes et les tonneaux… C’est ça aussi, l’expérience Cognac ! [rires] 

 

 

“Si je n’étonnais plus personne, cela ne m’intéresserait plus de peindre !” – Yan Pei-Ming.

 

 

Mais autre chose a retenu mon attention : le spécialiste nous parlait à chaque fois de la couleur du cognac et là, l’inspiration m’est venue comme une évidence. Entre le moment où l’on va chercher la bouteille au fond du placard et où l’on se sert un verre devant la fenêtre en plein jour, l’aspect de la boisson n’a rien à voir. Il ne cesse de varier, en fonction aussi de l’année, de la marque… Aussi, je me suis demandé avec quelle couleur nous pouvions caractériser le cognac. En vérité, celle-ci n’est jamais figée, elle varie entre jaune, orange, rouge, et tonalités plus sombre comme du marron, mais jamais le noir. C’est pourquoi, moi qui suis si connu pour mes toiles en noir et blanc, je n’ai intégré aucune touche de noir à ce nouveau tableau. J’ai utilisé une peinture à l’huile particulièrement transparente à l’image d’une eau-de-vie pour que tout se passe dans les jus, la fluidité, qu’elle évoque le ciel et l’horizon du département de la Charente [où est basée Cognac]… ou tout simplement celui de notre imagination. Ceux qui connaissent déjà mon travail et découvriront cette toile seront peut-être étonnés par sa palette de couleurs et ses sujets, inhabituels comparé à ce que je peins d’ordinaire. Et heureusement, car si je n’étonnais plus personne, cela ne m’intéresserait plus de peindre ! C’est très important de ne rien s’interdire.

Yan Pei-Ming à la Maison Hennessy, Cognac. © Clérin-Morin

Cela fait maintenant plus de 35 ans que vous peignez. À la fin du 20e siècle, la peinture figurative a été particulièrement délaissée voire dévalorisée, et particulièrement en France, où vous vous êtes installé définitivement en 1980. Comment diriez-vous que votre peinture a évolué au fil des décennies ?

Ma peinture a évolué naturellement avec mon âge, mais aussi mes intérêts. Je tiens autant à évoluer avec mon époque qu’à peaufiner ma technique. J’ai la chance à mon âge de voir encore très bien, ce qui m’incite d’autant plus à en profiter pour insister sur des détails très précis. Car, qui sait, peut-être qu’un jour je ne pourrai plus voir ! Depuis que j’ai commencé à peindre à l’âge de treize ou quatorze ans, je n’ai jamais cessé de croire en la peinture. C’est pour moi le médium le plus simple et le plus efficace, qui permet par ailleurs d’être le plus autonome possible. Réaliser une vidéo nécessite des caméras, des ordinateurs, une équipe de production ; créer des installations demande souvent une grande diversité de conditions et de matériaux… Je suis né peintre, donc même dans des environnements ou des périodes qui ne semblaient pas propices à la peinture figurative, j’ai continué à suivre ma propre intuition sans me soucier de plaire. Si une seule personne appréciait mon travail, cela me suffisait. Tous les grands artistes sont têtus : l’important c’est d’avoir une conviction, une gestuelle, une écriture et de la suivre, ce qui n’empêche pas d’évoluer.

 

 

“Depuis que j’ai commencé à l’âge de treize ou quatorze ans, je n’ai jamais cessé de croire en la peinture.” – Yan Pei-Ming

 

 

Avec le retour en grâce récent de la peinture figurative ces quinze dernières années, la réception de votre œuvre auprès du public a-t-elle changé également ?

Il y a beaucoup d’artistes de ma génération en France qui ont peint puis abandonné, peut-être parce qu’ils voulaient être appréciés et ne l’étaient pas assez, ou simplement parce que ce n’était plus la mode. Mais il n’y a qu’en France qu’on a cru que la peinture était morte ! Les artistes allemands, anglais, américains ne se sont jamais arrêtés, parce que tant que l’espèce humaine existe, la peinture peut exister. À partir du moment où je me suis extirpé de ce schéma de pensée “anti-peinture figurative”, que j’ai considéré que je ne travaillais pas pour deux ou trois intellectuels français qui ne me connaissaient pas personnellement mais pour moi-même, je me suis enfin libéré… et c’est à partir de là que l’on a commencé à apprécier mon travail. Chaque fois que je fais une exposition, j’ai envie que les visiteurs aient les larmes aux yeux – pour moi, la peinture permet cela. En France, le fait de retranscrire un sentiment personnel ou une vision littérale a souvent été tabou ces dernières décennies, or on ne devrait jamais avoir honte d’exprimer ses émotions ! Il y a trente ou quarante ans, certains détestaient mes œuvres, et aujourd’hui ils m’avouent n’avoir jamais imaginé que j’irais aussi loin. D’ailleurs, de nombreux anciens amateurs d’une peinture froide sont désormais en recherche d’une peinture plus expressive, qui transmet des émotions par des images et raconte des histoires. J’espère que mon travail a contribué à les faire changer d’avis.

Yan Pei-Ming, “Selfportrait at Four Ages” (2006). Photo : André Morin © Yan Pei-Ming, ADAGP, Paris, 2020.

En parlant d’évoluer avec son époque, vos sujets traitent très souvent de l’actualité. Dans vos nombreux portraits, on reconnaît des personnalités majeures d’aujourd’hui et d’hier, tandis que vos scènes dépeintes dans des formats paysage monumentaux évoquent ce qui se passe dans notre monde, comme très récemment la pandémie de Covid-19…
Les événements qui font l’actualité d’aujourd’hui feront l’histoire de demain. Chaque nouvelle est chassée par la suivante. À l’image de tous ces portraits que je réalise, ce que je souhaite par-dessus tout capturer avec la peinture, c’est le temps qui passe. Regardez ces tableaux de mes deux parents, qui ne sont plus là aujourd’hui. [Il montre plusieurs portraits accrochés dans son atelier] Et ici, vous avez celui de la Reine Elisabeth II, qui vient juste de s’éteindre, mais quand je l’ai réalisé elle était encore vivante ! J’ai aussi peint Puyi, le dernier empereur chinois, avec une tonalité beaucoup plus sombre car sa fin a été dure [destitué, arrêté et détenu par les soviétiques en Sibérie à la fin de la Seconde Guerre Mondiale avant de revenir en Chine pour mener une vie discrète et mourir des suites d’un cancer]. Mes œuvres parlent du destin de l’être humain au sens large et ces deux portraits en sont un bon exemple, comme si on faisait face à deux familles opposées : dans l’une, un personnage a fini sa vie de façon tragique ; dans l’autre, la mort de cette femme a été commémorée dans le pays et dans le monde entier par des funérailles ultra-médiatisées ! Quant au Covid-19, je l’ai traité au sein d’une très grande peinture que j’ai réalisée pour mon exposition au Musée Unterlinden en 2021, en plein milieu du premier confinement, durant cette période d’incertitude où le vaccin n’avait pas encore été créé. Cette peinture reflète l’angoisse inédite qui a surgi au fond de nous, cette nouvelle habitude de porter des masques, nos interrogations profondes si nous allions survivre à cette crise, ou si tout allait revenir à la normale un jour… C’est une sorte d’hommage collectif et universel à cet épisode majeur de notre histoire.

 

 

Le tableau de Yan Pei-Ming est accompagné d’éditions limitées des cognacs Hennessy V.S.O.P, Hennessy X.O et Hennessy Paradis, disponibles à la Boutique des Visites à Cognac ainsi qu’auprès des cavistes partenaires. www.hennessy.com/fr-fr/collection

Une carafe Hennessy Paradis a également été créée en collaboration avec la Maison Bernardaud et décorée à la main, produite en édition limitée et numérotée de seulement 888 pièces vendues en exclusivité dans une sélection de points de vente.

Yan Pei-Ming, “Bruce Lee” (2007). Photo : André Morin © Yan Pei-Ming, ADAGP, Paris, 2020.