25 juil 2019

Akrame Benallal, le sculpteur de la cuisine

Rencontre avec Akrame Benallal, l’un des huit plus grands chefs contemporains ayant accepté de partager sa passion avec Numéro.

Par François Simon.

Portrait par Pierre Even.

Portrait d’Akrame Benallal par Pierre Even

Akrame Benallal, 38 ans, n’a pas choisi par hasard ce superbe moulin, chiné il y a deux ans à Paris : il y a comme un symbole dans ce noble objet. Car mouliner, Akrame Benallal aura passé une belle partie de sa vie à le faire, cherchant, s’essayant, multipliant les expériences. Né en France, il a grandi dans la merveilleuse ville d’Oran, en Algérie, puis a fait son apprentissage à Molineuf (tiens donc…) dans le Loir-et-Cher. Il glisse alors à L’Orangerie du Château, à Blois, avant de basculer dans l’univers rêvé de Pierre Gagnaire. Il aura connu également les Élysées du Vernet à Paris, puis fait une saison à El Bulli chez Ferran Adrià en Espagne. En 2005, il devient chef pour la première fois, au Château des 7 Tours en Touraine, avant de reprendre le Trendy Lounge à Tours qu’il renomme l’Atelier d’Akrame. Il se voit désigné “Grand de Demain” par Gault & Millau, mais doit fermer ses portes pour cause de passif financier. Commence alors l’aventure parisienne, où le public (et les chefs) sont sensibles à la sympathie de ce jeune homme affable et de sa cuisine tout en mouvement, appels du pied, attentions. Le Guide Michelin, qui n’est pas indifférent à ce genre de tourbillon médiatique, lui accorde une étoile (2012). Puis une seconde (2014), envolée depuis (2016).

 

 

“Chaque mélange correspond à un plat et sa saison. Ainsi, aujourd’hui, je me concentre autour du café vert, de la badiane, du poivre Timut du Népal, de la cardamome…” 

 

 

Il faut lire dans l’évolution d’Akrame Benallal ce mouvement pendulaire, cyclique, une façon de toucher les bords de son univers, de ses possibilités. Par à-coups, et par mouvements de roue : en haut, en bas, et ainsi gagner de la force, de la vitesse. “Avec ce moulin, je prépare des concoctions qui rejoindront les plats après un passage à l’huile de pépins de raisin. Chaque mélange correspond à un plat et sa saison. Ainsi, aujourd’hui, je me concentre autour du café vert, de la badiane, du poivre Timut du Népal, de la cardamome… Chaque préparation appelle un plat comme une sauce appelle un style de pâtes. Parfois même, j’utilise de la graisse de bœuf, de canard. Ce que j’aime dans le moulin, c’est son bruit rassurant. Ce n’est pas le moteur électrique et son exécution mécanique. Là, chaque mouvement tient de son avancée, de la force de l’épaule, du poignet, du corps entier. De mon désir même. J’aime cette dimension manuelle, sa délicatesse. Elle exprime toute la dimension tactile de ma cuisine, de ma personnalité.”

 

 

“Il pense ressembler à ses clients en étant multiple, habile, jongleur, visionnaire.”

 

 

Akrame Benallal dit aussi “sculpter” sa cuisine. Pourtant sculpter c’est, grosso modo, retirer ce qui est en trop. Et sans cesse, tel Sisyphe, le chef roule ses pierres sur la montagne. À Paris, les adresses bougent, se dédoublent, ferment puis rouvrent. La rue Tronchet reste son point d’ancrage, mais cet impatient aime se lancer de nouveaux défis : Shirvan Café Métisse, à Paris, un Akrame à Hong Kong (2013), une cave à vins et bar à fromages rue Lauriston, puis des ateliers de viande (Atelier Vivanda) à Manille ou Bakou, des paninis (Panivanda) à Paris, les bars à vin Brut (Paris, Manille), la marque Mad’leine (Paris), à venir, le café-épicerie A’Plum, Cuisine Organique (Paris). L’insatiable a horreur de s’ennuyer. Il pense ainsi ressembler à ses clients en étant multiple, habile, jongleur, visionnaire. Et lorsqu’il a un doute, il va à un seul endroit pour savoir s’il est en phase avec la vie, le bon. Il va dîner chez Alain Passard.