15 avr 2023

Rencontre avec Colombe d’Humières, la créatrice de bijoux fascinée par le métal

Métal en fusion, perles de verre colorées et formes liquides… imposant un univers entre gothique Y2K et conte de fées sous LSD, Colombe d’Humières, diplômée de la Central Saint Martins, réinvente le bijou en cassant avec force les codes de la bijouterie traditionnelle. La jeune créatrice française âgée de 28 ans, aujourd’hui adoubée par le milieu de la mode et de l’art, revient sur ce qui a fait la force et l’identité de son label, en l’espace de seulement trois ans. Rencontre. 

propos recueillis par Erwann Chevalier.

Colombe d’Humières, la créatrice de bijoux adoubée par la mode et l’art

 

Diplômée de la prestigieuse Central Saint Martins à Londres en 2017, Colombe d’Humières célèbre depuis plus de trois la volupté de l’argent massif à travers des bijoux à l’allure de métal en fusion. À seulement 28 ans, l’artiste originaire de Paris est à la tête de son propre label qui captive déjà le milieu de la mode et de l’art. Aperçus sur les silhouettes du défilé Maitrepierre automne-hiver 2023-2024, dans le lookbook printemps-été 2021 du label Études ou lors d’expositions notamment à Londres et à Paris, les bijoux signés de la main de Colombe d’Humières interrogent, au-delà du beau, l’avenir de l’artisanat.

 

Celle qui se considère comme une véritable artisane confectionne inlassablement des pièces sur mesure ou en série — notamment sa collection permanente nommée Classiques —, tels des talismans chargés d’énergie positive, en respectant toutes les techniques de création ancestrales. Car au commencement, Colombe d’Humieres Studio est l’histoire d’une passion dévorante nourrie depuis l’enfance. Avec son univers à mi-chemin entre gothique Y2K et conte de fées sous LSD, la jeune artisane, qui s’inscrit dans la nouvelle vague de créateurs de bijoux (comme Alan Crocetti), fascine tant par sa vision disruptive de la bijouterie traditionnelle que pour son engagement écologique et social. Un engagement qu’elle met en œuvre, à son niveau, en refondant à l’infini les chutes de métal, en utilisant des pierres de verre fabriquées dans son atelier, ou avec des gemmes cultivées en laboratoire. 

 

Quand nous entrons dans sa boutique du dixième arrondissement — qui lui sert également d’atelier —, nous trouvons l’artiste plongée dans une ivresse créative, tête penchée sur son établi, en train de confectionner ce qui pourrait être son nouveau bijou phare. Pour Numéro, Colombe d’Humières pose ses outils et se confie sans fards sur sa passion, les défis qu’une jeune créatrice doit endosser ainsi que sur la véritable symbolique du bijou. 

Quels sont les défis d’une jeune créatrice de bijoux indépendante ?

Le premier défi d’un jeune créateur est de penser des objets différents au sein d’une vague d’uniformisation. Il faut essayer de garder un style personnel tout en essayant de toucher toutes les catégories de personnes. Je pense en effet que rester dans une niche n’est pas une direction à suivre quand on est un jeune créateur. Premièrement, j’imagine des bijoux unisexes. Je ne veux pas binariser mes créations. Au-delà, le défi est de faire vivre l’artisanat et d’entretenir la flamme de la création, même si c’est difficile de conjuguer le luxe — je pense par exemple à l’utilisation de matériaux comme l’émail — et l’artisanat avec un style subversif. En France en tout cas, c’est difficile, parce que par essence l’objet de luxe, notamment le bijou, doit être lissé — sans fioritures visuelles. Le luxe pour moi réside en fait surtout dans le temps passé à créer, à la main, chaque pièce. Tout est fabriqué au sein de mon atelier comme les pierres de verre qui sont sculptées à la main, les fermoirs, les maillons des chaînes qui sont confectionnés un à un.

 

Votre travail se situe à la conjonction de la mode et de la création plastique…

J’aime autant la mode que l’art. Le bijou est parfait parce que je peux osciller entre les deux milieux. Je ne me considère pas comme une artiste au sens sacré parce que je ne pense pas avoir assez de choses à raconter. Je préfère faire. Quand on me demande d’être exposée, bien sûr, je joue le jeu. Je suis ravie de montrer mes pièces. C’est intéressant que les artisans bijoutiers soient aujourd’hui perçus comme des créateurs multicasquettes.

 

Vous vous considérez comme directrice artistique ou artisan ?

Je me considère comme une artisane, je préfère. Mais c’est vrai que j’adorerais créer pour d’autres maisons. Par exemple, faire des bijoux pour Lalique ou Schiaparelli, qui se situe entre la mode et l’art, est un de mes rêves. C’est pareil de faire des bijoux sur mesure, mais la personne qui émet la demande est, cette fois-ci, une marque.

 

Pensez-vous changer les codes de la bijouterie encore très traditionnelle ?

Je veux sortir de l’uniformisation de la marque de bijoux traditionnelle en repensant ses codes et ses systèmes de production. Donc oui, je veux absolument changer les choses.

Interview de Colombe d’Humières, créatrice de bijoux en fusion

 

Numéro : Comment est né votre label ?

Colombe d’Humières : Pendant mes études à la Central Saint Martins, j’ai commencé à imaginer des bijoux sur mesure pour mon entourage. Quand je suis revenue à Paris après avoir obtenu mon diplôme, en 2017, j’ai alors installé un petit établi dans mon salon et j’ai réellement commencé à créer. Je disais oui à chaque demande, et au fil du temps j’ai donc créé mon label. Mon style et mon univers se sont affinés et perfectionnés, ce qui m’a permis de pouvoir sortir, petit à petit, du cadre de la création de bijoux sur mesure pour me diriger vers la production de collections en série.

 

D’où vient cette passion pour les bijoux ?

Je suis obsessionnelle. Comment donner une valeur à un objet ? Et comment moi, en tant que créatrice, puis-je donner de la valeur à un objet transformé ? Je suis obsédée par la manière dont les bijoux sont utiles comme signes de reconnaissance sociale. Dans le cas de mon label, il va plutôt s’agir de signes de divergence, de non-appartenance à un groupe. Je suis fascinée par la différence. Si l’on rentre dans l’aspect technique, je suis simplement passionnée par la fabrication et l’apprentissage – qui est infini – lorsqu’on est artisan. C’est ce mix entre l’ingénierie et l’artisanat qui m’anime depuis le début.   

 

La création de ces bijoux est-elle instinctive ou avez-vous déjà une idée prédéfinie du résultat final ?

Oui, c’est instinctif en effet, mais mes créations restent néanmoins très réfléchies. Ce sont des pièces composées qui ne laissent pas la place à l’aléatoire malgré leur aspect brut et liquide. J’essaye de travailler le métal en trois dimensions pour qu’il exalte des formes et des textures. Durant mes études, j’ai notamment développé des techniques qui m’ont permis de ne pas passer un an sur une seule pièce, même si, lorsque je suis dans mon atelier, je préfère laisser certains bijoux de côté, et revenir travailler dessus ensuite.

Il y a une dimension onirique dans vos bijoux, d’où viennent vos inspirations ?

En réalité, je ne sais pas trop. Je respire l’air qui m’entoure et l’expire dans mes créations. Je n’ai pas trop envie de faire la liste de mes artistes préférés, mais il y a un bijoutier contemporain suisse que j’aime citer car il m’a beaucoup inspirée : Bernhard Schobinger. Sinon, les bijoux imaginés par les artistes, comme ceux de Dali, sont des sources d’inspirations inépuisables. 

 

 

“je crée chaque pièce entièrement : les pierres de verre sont sculptées à la main, les fermoirs, les maillons de chaînes confectionnés un à un…”

 

 

Quelles sont vos techniques de fabrication ?

J’utilise la soudure — qui se nomme la brasure dans le langage du bijoutier —, la ciselure, le polissage… Il y a aussi au sein de mon atelier un poste de sculpture de cire et de fonte de verre. Et je suis accompagnée par une équipe de fondeurs parisiens hors pair. C’est pour cela qu’on a créé une collection intemporelle qui se nomme les Classiques Colombe d’Humieres. Ces pièces sont en quelque sorte les best sellers ou les pièces phares qui correspondent à l’essence propre du label. Elles vont progressivement être disponibles dans des points de ventes situés dans plusieurs grandes villes tout autour du monde. 

 

Les matériaux sont-ils issus d’un circuit écoresponsable ?

Les métaux sont par essence recyclables, mais l’écoresponsabilité signifie pour moi avoir un impact positif à mon échelle, tant environnemental que social. J’utilise du métal recyclé. Je refonds pour ensuite créer de nouvelles pièces. Ce n’est pas un concept nouveau, cela correspond à la caractéristique première des métaux précieux. Cependant, il faut être conscient que l’extraction du métal est une des activités les moins écoresponsables de la planète. Le but est d’arrêter d’extraire les métaux, et de se servir uniquement de ceux déjà disponibles sur Terre. En ce qui me concerne, j’incite mes clients à venir avec leur propre métal pour que je le fonde et que j’imagine une nouvelle pièce sur mesure à partir des anciennes, dans une démarche symbolique et économique.

 

Justement, que doit représenter un bijou selon vous ?

C’est ici qu’intervient la magie du bijou créé sur mesure. Quand je crée en réponse à une demande, je vais essayer de m’imaginer la personne et son aura, pour qu’il représente le plus la personnalité du ou de la commanditaire. Je veux que celui-ci apporte son énergie dans le bijou. Le bijou, c’est un porteur d’émotions personnelles.