12 juin 2023

Haute joaillerie : l’éblouissante leçon de style de Cartier à Florence

Présentée en Italie, la nouvelle collection de haute joaillerie Cartier réinvente avec audace et grande liberté le style de la maison tout en s’adaptant à l’air du temps. Avec Le Voyage Recommencé, la haute joaillerie se révèle plus légère et décontractée, comme une invitation à un port quotidien, sans rien perdre de sa vitalité artistique et de son savoir-faire éblouissant. Au rendez-vous avec ces nouvelles pièces : des tonalités chromatiques inédites, un travail de la ligne et des volumes éblouissant de pureté et de clarté, et une nature inspirant des abstractions sublimes comme cette incroyable panthère givrée dont le corps se déploie en éclats de diamants et d’aigues-marines.

La Panthère Givrée de Cartier. Collection haute joaillerie Le Voyage Recommencé présentée à Florence.

Toute la quintessence de Cartier est là, dans cet éblouissant collier-cravate à la construction extraordinaire : une vague ondulante de diamants mobiles en demi-lune évoquant des écailles givrées qui, à la manière d’une peau de poisson, se meuvent tels des dominos d’un côté ou de l’autre. La pièce magistrale appelle le contact. Sensuelle, elle invite à la caresser à rebrousse-poil pour laisser deviner les petits diamants glissés entre chaque motif. Porté par le meilleur de son savoir-faire d’emmaillement, le style de la maison se déploie entre vision architecturale de la ligne pure et du volume léger et une extrême mobilité des pièces renforçant une sensualité troublante. Ce collier Zuria semble avoir été pensé pour être porté en mouvement, comme si la haute joaillerie ne pouvait plus se contenter des tapis rouges et des événements pincés, et s’invitait désormais dans les clubs, pour danser, dans un rapport charnel plus décontracté et quotidien, sans show-off. C’est l’esprit du temps.

Gouaché du collier Zuria de Cartier. Collection haute joaillerie 2023 Le Voyage Recommencé.

Ce Voyage Recommencé n’a rien d’un retour codifié vers le passé et se dévoile plutôt comme un regard vers l’origine du style imaginé à l’orée du XXème siècle par Louis Cartier, pour, aujourd’hui, emprunter de nouveaux chemins. Un exercice libérateur qui s’applique à suivre l’esprit plus que la lettre. Au tournant du siècle dernier, Louis Cartier affirme le style de la maison : pureté et clarté, travail architectural du volume et de la lumière, combinaisons graphiques et chromatiques audacieuses et inédites inspirées, entre autres, par l’Inde ou les arts islamiques. La modernité est en marche, influencée par les arts décoratifs, les révolutions de l’architecture et les voyages, rendus plus faciles grâce au progrès technologique. Rapidement, deux lignes se distinguent chez Cartier entre une abstraction géométrique et une figuration de la nature, totalement libre. Animal iconique de la maison, la panthère se réinvente dans cette nouvelle collection en troublant justement les limites entre abstraction et figuration. Cette Panthère Givrée, capturée dans un monde de glace, voit son corps se morceler en éclats de diamants et d’aigues-marines dans un magnifique exercice de déconstruction géométrique. 

 

 

Cette Panthère Givrée, capturée dans un monde de glace, voit son corps se morceler en éclats de diamants et d’aigues-marines

Le collier SAMA de Cartier, collection haute joaillerie Le Voyage Recommencé.
Le collier VOLTEA de Cartier.

Les créations du Voyage Recommencé forment des architectures de mondes inconnus, de planètes où les lois de la gravité sont défiées. Le collier Sama, et son impressionnant saphir de Ceylan de 19 carats, évoque autant les célèbres constructions en courbe d’une Zaha Hadid qu’un jardin paradisiaque peint par Jérôme Bosch, à la fois parure de science-fiction et relique d’une Antiquité mythique ou d’une Atlantide redécouverte. Les références hétéroclites s’enchâssent dans un esprit postmoderne on ne peut plus actuel. Ici comme pour les colliers Voltea et Nauha, les jeux de courbes sensuelles et de replis, de creux et d’ouvertures laissent pénétrer la lumière pour une brillance des pierres sans pareil. Ce jeu de vides et de pleins, si typiquement Cartier, offre une légèreté incomparable à des pièces aériennes où le corail pour le premier et les émeraudes pour le second semblent flotter dans une eau invisible. Chaque élément et chaque courbe paraissent alors réagir à des ondulations aquatiques infimes dont ils reprendraient la forme. Un rythme que chaque pièce – d’une hyper sensibilité – semble capable de transmettre pour faire vibrer jusqu’à la peau.

 

 

Les jeux de courbes sensuelles et de replis, de creux et d’ouvertures laissent pénétrer la lumière pour une brillance des pierres sans pareil.

 

 

Cette musicalité a quelque chose de la musique répétitive d’un Steve Reich ou d’un Philip Glass. La pulsation s’y fait régulière et hypnotique. La répétition de courts motifs y évolue avec lenteur, comme pour faire place à l’émotion et laisser le temps aux sensations d’advenir. Une architecture joaillière finalement moins dans la surexpressivité d’un Frank Gehry que dans la phénoménologie d’un Tadao Ando – deux architectes aux antipodes l’un de l’autre. Chez le Japonais comme chez Cartier, l’architecture est davantage qu’un objet, c’est un dispositif qui réside dans notre capacité à attendre qu’il se révèle par l’expérience totale du corps et de l’esprit dans une forme de révélation physique et métaphysique. Elle implique une croyance en la puissance de la création – joaillière ou architecturale – qui caractérise en réalité Cartier depuis toujours. Le parallèle avec Tadao Ando ne s’arrête pas là, tant le jeu de vides et de pleins se renforçant les uns les autres comme la lumière et l’ombre forme un style commun. Le collier Claustra est, à cet égard, un chef-d’œuvre du travail du volume ciselé entre vide et plein, où le rythme entre ombre et lumière éclatante crée un effet de dynamisme et de vitesse totalement kinétique. On mesure alors l’ampleur de la maîtrise de la lumière, chez Ando et chez Cartier, dessinant autant l’architecture par les jeux d’ombre que par les murs ou les motifs.

Le collier CLAUSTRA de Cartier, collection haute joaillerie Le Voyage Recommencé.
Collier VESPRO de Cartier. Collection haute joaillerie Le Voyage Recommencé.

L’historienne de l’art Hélène Kelmachter va plus loin, établissant un parallèle entre Cartier et la quête de beauté et d’absolu d’un autre artiste : James Lee Byars. Et il est vrai que ses combinaisons de formes pures et minimalistes avec des matériaux précieux comme l’or pour atteindre une vérité parfaite et absolue n’est pas sans lien avec une joaillerie de la pureté et de l’émotion primordiale. Sans être religieuses, les créations de la maison ont quelque chose de l’icône en tant que fenêtre donnant sur un monde invisible. Non plus celui de Dieu, mais celui des sensations, de la lumière et de l’évanescent. Une forme d’icône moderne où l’abstraction perpétuerait, sous d’autres formes, la recherche du spirituel en ouvrant les portes de la perception du monde dans ses dimensions insaisissables.

 

 

Les créations de la maison ont quelque chose de l’icône ouvrant les portes de la perception du monde dans ses dimensions insaisissables.

 

 

Cette recherche de la sensation prend d’autres chemins lorsqu’il s’agit de la palette chromatique. Cartier s’est toujours distingué par l’audace de ses alliances qui semblent vouloir tester ce qu’une couleur fait à une autre, sans peur du clash, pour laisser advenir des émotions inconnues. On retrouve ici la méthode du dernier Monet et de l’expressionnisme abstrait de Joan Mitchell qui aimait parler de “feelings” à propos de ses peintures. Avec le collier Vespro, le rouge des rubis surprend le bleu des turquoises et les teintes violacées des spinelles. Le collier Adage s’aventure, quant à lui, hors des sentiers connus de la maison en osant une alliance magnifique entre un saphir orange d’Afrique de l’Est et des spinelles rosés, une tourmaline rose, des turquoises et un béryl jaune. Mais plus qu’à la peinture, les créations Cartier renvoient à la manière dont un James Turrell ou une Ann Veronica Janssens aujourd’hui transforment les couleurs en espace. Les teintes semblent dissoudre les marqueurs tangibles du monde, immergeant le spectateur dans des océans de reflets et de vibrations loin de tout repère connu.

Bague ONDULE de Cartier. Collection haute joaillerie Le Voyage Recommencé.