Artiste

Maurizio Cattelan

 

Maurizio Cattelan est un artiste italien né le 21 septembre 1960 à Padoue, en Vénétie. Il est connu principalement pour ses sculptures provocatrices et insolentes et son goût prononcé pour la controverse. Dans ses œuvres ironiques, l’artiste n’a pas peur de dénoncer les travers de notre monde contemporain, jusqu’au monde de l’art dont il fait lui-même partie. Artiste vivant qui compte parmi les plus célèbres et collectionnés au monde, il rejoint, dans la liste des figures majeures de l’art contemporain, des noms comme ceux de l’Américain Jeff Koons ou du Britannique Damien Hirst, connus eux aussi pour leur œuvre provocatrice. Une provocation de l’opinion publique qu’ils exercent aussi bien via les thèmes, les formes et les matériaux qu’ils choisissent. Maurizio Cattelan prend ainsi plaisir à aborder de front les tabous de notre époque : taxidermie, mise en scène de personnalités controversées, sexualité, blasphème, mais aussi questionnement du capitalisme… tout en étant ancré dans celui-ci. Il est aujourd’hui représenté par les galeries Perrotin et Marian Goodman, qui présentent régulièrement son travail entre Paris, New York, Londres, Hong Kong, Séoul, Tokyo ou encore Shanghaï. Ses œuvres ont été exposées dans les plus grands musées tels que le Guggenheim à New York ou la Tate Modern à Londres, et ont intégré des collections majeures telles que la Collection Pinault ou celle de la Fondation Louis Vuitton.

Maurizio Cattelan devant eEternity, cimetière pop-up installé à Buenos Aires.

Les débuts remarqués de Maurizio Cattelan, entre l’Italie et New York

 

Originaire d’Italie, Maurizio Cattelan commence son parcours de créateur dans les années 80 en imaginant et en produisant du mobilier en bois. Il se forme à l’art en autodidacte avant de s’installer à New York à la fin de la décennie. C’est à cette période qu’il commence à produire les premières œuvres d’art signées de son nom. On compte parmi les plus célèbres un autoportrait en noir et blanc où l’artiste se dévoile torse nu, formant un cœur avec ses mains au-dessus de son torse, ou encore des lithographies reprenant des images de calendrier historiques estampillées du mot “OGGI” (“aujourd’hui” en italien). 

 

La même année, en 1989, il est invité à exposer dans la Galleria Neon à Bologne. Dès lors, le jeune homme encore à l’aube de sa carrière affirme un art de la négation, en présentant sur la devanture de la galerie une pancarte avec inscrits les mots “Torno subito” pour indiquer son retour imminent. Son retour n’arrivera pas, et laissera ainsi délibérément l’espace fermé et vide d’œuvres pendant toute la durée de son exposition – une démarche qui n’est pas sans rappeler celle de l’artiste français Yves Klein avec sa fameuse exposition “Le Vide” de 1958, qui invitait le public à la galerie Iris Clert dans laquelle l’artiste n’avait intégré aucune œuvre matérielle. Si dès ses débuts Maurizio Cattelan prend à contre-pied le marché de l’art, il creusera ce sillon en 2002, en ouvrant la Wrong Gallery à New York : une pièce de 2,5 mètres carrés destinée à garder porte close et à ne vendre aucune œuvre. Cet espace étant devenu propriété du nouvel acquéreur de l’immeuble, la façade de la galerie Wrong sera alors intégrée aux collections de la Tate Modern, musée de référence pour l’art moderne et contemporain à Londres.

Un pied de nez assumé de Maurizio Cattelan aux grands acteurs du monde de l’art

 

Transgressive, l’approche de Maurizio Cattelan ne manque pas d’attirer l’attention des grands noms et institutions du milieu. Lors de la 45e Biennale de Venise en 1993, invité à occuper un des espaces de la Sérénissime, l’artiste choisit, plutôt que d’y présenter des œuvres, de le sous-louer à une société de parfums qui l’utilisera pour son affichage publicitaire. En 2015, pour son exposition personnelle “Errotin le vrai lapin” présentée à la galerie Emmanuel Perrotin, alors ouverte depuis cinq ans à Paris, Cattelan imagine un costume de lapin rose, en forme de phallus, qui vise à révéler la véritable nature de son galeriste : celle d’un coureur de jupons. L’artiste contraint alors le marchand d’art parisien à porter cet accoutrement ridicule dès le soir du vernissage, puis tout le long de son exposition, où l’on découvre sur les murs des dessins et photographies du fameux costume.

 

En 1999, pour l’inauguration de son exposition personnelle à la galerie Massimo de Carlo à Milan, l’artiste s’amuse cette fois-ci avec son galeriste italien, dont il accroche directement le corps au mur à l’aide de morceaux de Scotch argenté – procédé qui deviendra par la suite sa signature. Performative, l’œuvre baptisée A Perfect Day ne durera que la soirée du vernissage mais son image circulera dans le monde entier, évoquant notamment l’iconographie de la Crucifixion.

Outre ses galeristes, les œuvres de Maurizio Cattelan mettent également en scène ses prédécesseurs. Ainsi en 1998 pour le MoMA à New York, l’Italien crée une poupée à l’effigie du célèbre plasticien Pablo Picasso, qu’il habille d’une marinière – vêtement emblématique du célèbre artiste d’origine espagnole et auteur de Guernica – et qu’il affuble d’une tête disproportionnée, incarnation évidente d’un ego démesuré. En 2000, en exposant un costume en feutre gris accroché à un cintre (Untitled (Joseph Beuys Suit)), Cattelan fait cette fois-ci référence à l’artiste allemand Joseph Beuys, connu pour avoir interrogé dans les années 60 et 70 les limites de l’œuvre d’art et pour avoir employé cet austère feutre gris dans bon nombre de ses créations. 

 

Plutôt que comme artiste, Maurizio Cattelan se décrit régulièrement comme un “travailleur de l’art” et est souvent surnommé par les médias “le fou du roi”, le “joker” ou encore “le Buster Keaton de l’art contemporain” (allusion à la star du cinéma muet), en référence à l’aspect absurde et souvent irrévérencieux de sa pratique. Dans les années 2000, alors qu’il connaît une notoriété croissante, Cattelan se forme à la sociologie à l’université de Trento, en Italie. Il arrive souvent à l’Italien de se qualifier de “paresseux”, et de déclarer “qu’il ne produit rien” – un postulat qui a amené de nombreux critiques d’art à le qualifier d’héritier de Marcel Duchamp, inventeur du ready-made qui dès le début du 20e siècle a remis en cause la notion même d’œuvre d’art jusque dans ses fondements matériels.

Les sculptures controversées de Maurizio Cattelan

 

C’est sans doute en 1999, lorsqu’il représente le pape Jean-Paul II dans une sculpture hyperréaliste, La Nona Ora (en français, “La neuvième heure”), que le nom de Maurizio Cattelan commence à devenir connu dans le monde entier au-delà de la sphère artistique, et synonyme de scandale. Allongé sur le sol, portant sa tiare et sa férule, et s’accrochant à son crucifix, le pontife polonais apparaît écrasé par un fragment de météorite tandis que son visage et ses yeux fermés expriment l’attente d’une mort imminente et une ultime prière. Originaire du pays où se trouve le siège du pape, au Vatican, l’artiste attaque de front, à travers cette œuvre quasi blasphématoire, un symbole de la religion catholique et un domaine particulièrement sensible chez les Italiens : le rapport à la foi.

 

Si ses sculptures utilisent souvent la taxidermie à l’image de Squirrel (1996), un écureuil allongé sur une table miniature, ou Untitled (2007), un cheval dont l’avant du corps se voit encastré dans un mur, elles mettent aussi régulièrement en scène une caricature à taille humaine de l’artiste lui-même – surgissant par exemple d’un trou creusé dans le sol. On y reconnaît également parfois des figures controversées de l’Histoire : dans Not Afraid of Love, une reproduction d’éléphant à taille réelle revêtue d’un drap blanc endosse le costume d’un membre de l’organisation raciste Ku Klux Klan, tandis que dans l’une de ses sculptures les plus célèbres, Him (2001), Cattelan représente en cire et en résine le mal en personne : Adolf Hitler. Réduit à la taille d’un jeune garçon à la tête étonnamment grosse et vêtu d’un uniforme d’écolier, le dictateur allemand est exposé dos au spectateur, à genoux, dans la position d’un enfant puni. Ce n’est donc qu’en le contournant que le visiteur reconnaîtra le visage du Führer. Cette œuvre iconique est passée sous le marteau de la maison Christie’s en 2016, et a été acquise pour environ 15 millions d’euros par le collectionneur et homme d’affaires français François Pinault. Maurizio Cattelan n’hésite pas à dénoncer également les travers de la société à travers des concepts plus abstraits, qu’il illustre par des symboles. Ainsi, en 2010, à l’occasion de son exposition au Palazzo Reale, l’artiste érige face au Palais de la Bourse de Milan un gigantesque doigt d’honneur de onze mètres de haut, taillé dans le marbre, sur la Piazza degli Affari. Ironiquement intitulée L.O.V.E., l’œuvre est un affront direct au monde de la finance et au capitalisme. Si la sculpture fait polémique, l’intérêt qu’elle suscite conduit finalement la ville à la garder. Elle est aujourd’hui devenue une véritable attraction touristique.

 

En 2010, Maurizio Cattelan fait la rencontre du photographe italien Pierpaolo Ferrari, venu l’immortaliser. Ensemble, ils fondent  ToiletPaper, d’abord nom de leur duo, qui a ensuite pris la forme d’un magazine expérimental qui questionne les frontières du marché de l’art contemporain (et produit également des œuvres). Héritier des ouvrages de Cattelan Permanent Food (2003) et Checkpoint Charley (2006), ce projet est exclusivement constitué de photographies surréalistes et absurdes. ToiletPaper détourne avec brio les codes de la mode, de la publicité de l’art et du cinéma, une formule efficace puisque le magazine italien est adoubé par le New York Times, qui le classe dans son top 10 des ouvrages photographiques, en 2012. À la croisée du design et de l’art contemporain, ToiletPaper frappe par sa mise en scène explosive et percutante jusqu’à prendre en charge la direction artistique d’une campagne des Galeries Lafayette. Ses œuvres provocatrices et colorées vont jusqu’à séduire le duo Cassius, qui demande à Cattelan et Ferrari de produire le visuel de son quatrième album, Ibifornia (2016).

 

Installation “America” (2016) au palais de Blenheim à Woodstock (Angleterre).

Des expositions majeures signées Maurizio Cattelan dans le monde entier

 

Critique à l’égard du monde de l’art, Maurizio Cattelan n’en est pas moins l’un de ses acteurs phares. Commissaire de la Biennale de Berlin en 2006, il a également présenté son travail dans des institutions prestigieuses du monde entier telles que la Tate Modern et la Whitechapel Gallery à Londres, le musée d’Art moderne et la Monnaie de Paris, le Ludwig Museum à Cologne, la Fondation Beyeler à Bâle, la Fondazione Pirelli HangarBicocca ou encore l’UCCA à Pékin. Suite à son exposition majeure en 2011 au Guggenheim de New York, où l’artiste a disposé une centaine de ses œuvres dans la spirale imaginée par le célèbre architecte américain Frank Lloyd Wright, l’artiste annonce se retirer du monde de l’art… pour mieux y revenir cinq ans plus tard, dans le même musée, avec une installation in situ. Celle-ci sera sans doute l’une de ses plus onéreuses à produire : des W.C. en or massif 18 carats, destinés à être utilisés par les 100 000 visiteurs de l’exposition. Baptisée America, l’œuvre se fait l’emblème de la dérive capitaliste des États-Unis et du milliardaire controversé Donald Trump, qui vient tout juste d’accéder à la présidence de la première puissance mondiale. Deux jours après l’ouverture d’une nouvelle exposition de Cattelan au Palais de Blenheim, en Angleterre, en 2019, où les toilettes en or sont présentées, celles-ci seront dérobées et leur devenir reste à ce jour inconnu, contribuant ainsi au mythe de cet objet exceptionnel.

 

En décembre 2019, l’artiste fait un retour médiatisé sur le marché de l’art à l’occasion de la célèbre foire d’art contemporain Art Basel Miami Beach. Sur le stand très visité de la galerie Perrotin, l’artiste crée l’étonnement en exposant sur la cimaise blanche une banane fixée à l’aide de son fameux Scotch argenté. Intitulée Comedian, l’œuvre vise une fois de plus à se jouer du monde de l’art et de ses acteurs : en l’espace de quelques heures après l’ouverture des lieux aux visiteurs VIP, elle est achetée par la collectionneuse française Sarah Andelman, fondatrice du feu magasin Colette, pour la coquette somme de 120 000 dollars. Alors que l’œuvre devient la star de la foire et que le stand de Perrotin accueille un nombre impressionnant de visiteurs, les médias s’emballent, pointant du doigt les dérives de l’art contemporain et l’absurdité de son marché, rencontrant précisément les réactions escomptées par l’auteur de l’œuvre. Deux autres exemplaires seront ensuite vendus, encore plus cher que le premier, avec pour seule preuve matérielle le certificat d’authenticité et le rouleau de Scotch. Devenue depuis un mème, Comedian possède même son propre compte Instagram, où des anonymes s’amusent à appliquer son concept à divers objets.

 

En mai 2022, Maurizio Cattelan fait à nouveau les gros titres. Daniel Druet, sculpteur et modeleur français pour le musée Grévin (qui a également réalisé, sur commande de l’artiste italien, neuf de ses œuvres – parmi lesquelles Him et La Nona Ora) demande à être qualifié d’auteur exclusif de ces sculptures. Fustigeant Cattelan et Perrotin qui omettent de le mentionner lorsque les œuvres sont exposées ou vendues, Daniel Druet en vient à réclamer 4,5 millions d’euros de dommages et intérêts à l’artiste et à sa galerie. Le 8 juillet, le tribunal rejette la demande du sculpteur français, arguant notamment que l’idée ayant présidé à la confection chacune des neuf pièces, leur forme ainsi que leurs choix d’exposition et d’éclairage font partie intégrante de leur statut d’œuvre d’art, et appartiennent à Maurizio Cattelan lui-même.