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05 Steven Zaillian, le scénariste maudit condamné à l’anonymat

Steven Zaillian, le scénariste maudit condamné à l’anonymat

Cinéma

Il a écrit les scénarios de chefs-d’œuvre comme Gangs of New York, La Liste de Schindler ou encore L’Interprète. Pourtant, perdu dans d’interminables génériques, le nom de Steven Zaillian semble condamné à l’anonymat.

“Gangs of New York” de Martin Scorsese. “Gangs of New York” de Martin Scorsese.
“Gangs of New York” de Martin Scorsese.

Bien sûr, c’est cruel Hollywood ! Steven Zaillian essaie d’en rire, mais il sait bien qu’il a choisi le métier le plus difficile au sein de cette ingrate usine à chimères, aussi appelée “l’avenue des rêves brisés”. Ancien monteur ayant vendu son premier script à 32 ans (Le Jeu du faucon, de John Schlesinger, 1985), il est aujourd’hui l’un des plus cotés – “bankable”, comme cela se dit en VO. Couvert de prix (dont l’Oscar et le Golden Globe) pour son adaptation de La Liste de Schindler, les états de service de Zaillian sont impressionnants : L’InterprèteGangs of New YorkHannibalDanger immédiatL’Éveil… Pourtant, sa notoriété ne dépasse pas les couloirs des studios hollywoodiens.

 

 

Après les soirées de gala et les poignées de main, de retour devant votre feuille ou votre écran d’ordinateur, vous redevenez un éternel débutant.

 

 

 

Malgré quelques noms qui émergent une fois par décennie, l’écriture de cinéma reste un métier de l’ombre. Pour un Joe Eszterhas, pour un Charlie Kaufman, combien d’auteurs promis à la fatalité de l’anonymat ? Beaucoup. Tous les autres. “Les scénaristes ont toujours été considérés comme des pièces interchangeables, explique Zaillian, un phénomène qui, dernièrement, va en s’accélérant.” C’est effectivement devenu la norme de lire, au générique d’un film américain, jusqu’à quatre ou cinq noms différents : “Pour les films dont j’ai été à l’initiative, je suis en général resté le seul auteur. Quand je suis crédité avec d’autres, c’est que je suis arrivé tardivement. Car ce scénariste talentueux est également un script doctor très demandé, celui vers lequel les producteurs se tournent quand ils sont face à une situation bloquée. Pour Zaillian, ce n’est pas le même métier: “On m’appelle pour une ‘production rewrite’, lorsque le film est déjà en production et que le tournage va commencer. Mon job est alors d’apporter mes aménagements, tout en me glissant dans la tonalité préexistante, sans étouffer la voix de ceux qui sont passés avant moi. Telles sont donc les règles de ces missions chirurgicales de cinq ou six semaines, quand l’auteur dramatique David Mamet se fait débarquer de Hannibal, ou que Pollack, préparant L’Interprète, exige des changements. Loin d’être un Terminator, Zaillian est lucide sur sa condition et sur la situation de l’industrie : “Les enjeux financiers sont devenus si sclérosants que les pontes des studios ont l’impression de mettre toutes les chances de leur côté en accumulant les réécritures. Or, un film n’est pas radicalement différent après avoir été écrit par un comité ! S’il est bon, il l’est depuis le départ.

“Gangs of New York” (2002) – Bande-annonce.

“La Liste de Schindler” – Bande-annonce

Prendre le temps. Il arrive aussi que son nom ne soit pas mentionné – pour ses contributions à Twister, Amistad, Il faut sauver le soldat Ryan… Mais il doit y avoir quelque fierté un peu masochiste à marcher sur les pas de Fitzgerald ou de Faulkner, échoués dans les bungalows des studios de l’âge d’or, noircissant des milliers de pages pour lesquelles ils ne furent que rarement crédités. Et puis, Zaillian a trouvé un remède à cette frustration : quand un projet lui tient particulièrement à cœur, il le réalise lui-même. Ce fut le cas en 1998 pour Préjudice, remarquable film de procès dans lequel Travolta et Duvall se paient le luxe de prendre leur temps, à mille lieues des exigences des blockbusters. L’usine à rêves devenue parc d’attractions, très peu pour celui qui a appris le cinéma avec le néoréalisme et la Nouvelle Vague.

 

Une manière de se consoler de déceptions nombreuses, comme la brusque annulation du tournage d’American Gangster : le réalisateur Antoine Fuqua viré pour “divergences créatives”, Denzel Washington et Benicio Del Toro payés intégralement comme l’exige leur contrat, trente millions partis en fumée. Un scénario sur lequel Steven Zaillian a passé dix-huit mois : l’histoire d’un caïd de Harlem qui introduit de la drogue en Amérique en la cachant dans les cercueils des soldats morts au Vietnam. Projet alléchant, finalement réalisé par Ridley Scott. Mésaventure qui vaut à Zaillian d’être à son tour réécrit : “Une fois le scénario terminé, on perd tout contrôle. Aucun moyen d’empêcher le désastre”, raconte-t-il, effondré. Mais alors, un statut solide, une pluie de récompenses n’y suffiraient-ils pas ? Est-on jamais en sécurité ? “Après les soirées de gala et les poignées de main, de retour devant votre feuille ou votre écran d’ordinateur, vous redevenez un éternel débutant.