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22 3 raisons de découvrir les premiers films d'Ang Lee, réalisateur de “Brokeback Mountain”

3 raisons de découvrir les premiers films d'Ang Lee, réalisateur de “Brokeback Mountain”

Cinéma

Tous les mois, le Video Club du distributeur Carlotta met à l'honneur un cinéaste et présente une sélection de ses films les plus confidentiels. Après Nanni Moretti, c'est au tour du réalisateur d'origine taïwanaise Ang Lee, dont les trois premiers films aussi géniaux que méconnus –  “Pushing Hands”, “Garçon d'honneur” et “Salé sucré” – sont disponibles en streaming.

“Pushing Hands” (1991) d'Ang Lee “Pushing Hands” (1991) d'Ang Lee
“Pushing Hands” (1991) d'Ang Lee

L'an dernier, l'acteur américain Jake Gyllenhaal confiait à Numéro avoir connu très jeune une vague de succès assez stupéfiante, voire déroutante : “Quand Le Secret de Brokeback Mountain est sorti en 2005, le film dérangeait politiquement et socialement. C’était bien plus qu’un simple hit.” Réalisée par le cinéaste alors quasi inconnu Ang Lee, cette histoire d'amour entre deux cowboys connaît un succès sans précédent. Elle est couronnée (entre autres) d'un Lion d'or, de l'Oscar du meilleur scénario, du meilleur acteur dans un second rôle pour le comédien cité précédemment et du meilleur réalisateur. Aujourd'hui, Brokeback Mountain est entré dans la légende : il a ouvert la voie à plus de représentation du désir homosexuel dans le cinéma grand public, a érigé Jake Gyllenhaal et Heath Ledger en icônes et surtout, a permis à son réalisateur d'origine taïwanaise de se faire une place de choix dans le cercle américano-centré qu'est Hollywood.

 

Avant de tourner la romance la plus subversive des années 2000, une histoire d'amitié entre un jeune et un tigre sur fond de récit initiatique boosté aux effets spéciaux L'Odyssée de Pi, (2012) et même sa propre version de Hulk (2003), blockbuster issu de l'imagerie Marvel, Ang Lee a imaginé une trilogie, Father knows best. En s'inspirant sûrement de son propre vécu – né à Taïwan, il est parti ensuite étudier aux États-Unis –, le cinéaste raconte ici la rencontre entre deux mondes, l'Asie et l'Amérique. Restés trop confidentiels – même si les deux derniers films du triptyque, Garçon d'honneur (1993) et Salé sucré (1994), ont respectivement remporté un Ours d'or et une nomination à l'Oscar du meilleur film étranger –, les premiers longs-métrages d'Ang Lee se révèlent être des comédies tendres, pudiques et extrêmement sensibles desquelles émane un éloge des liens filiaux. Voici 3 raisons de les (re)découvrir.

 

“Garçon d'honneur” (1993) d'Ang Lee © (c) 1993 Central Motion Picture Corporation. Tous droits réservés. “Garçon d'honneur” (1993) d'Ang Lee © (c) 1993 Central Motion Picture Corporation. Tous droits réservés.
“Garçon d'honneur” (1993) d'Ang Lee © (c) 1993 Central Motion Picture Corporation. Tous droits réservés.

1. Des personnages profondément drôles et attachants

 

De Pushing Hands (1991) à Salé sucré (1994) – à noter que le réalisateur a produit ses trois premiers films en seulement trois ans ! –, Ang Lee a toujours accordé beaucoup d'importance à l'écriture de ses personnages. Souvent interprétés par les mêmes acteurs (le patriarche dans les trois longs-métrages revêt toujours les traits de Sihung Lung, un acteur chinois décédé en 2002), les hommes et femmes qui habitent les fictions du réalisateur de Raisons et sentiments (1995) sont toujours profondément touchants et drôles. Du vieillard professeur de tai-chi qui s'amourache d'une grand-mère rencontrée sur son lieu de travail (Pushing Hands), à la mère de famille déçue du mariage de son fils mais qui tente quand même de sauver la face (Garçon d'honneur), en passant par le professeur de sport blessé à l'épaule mais qui continue de jouer au volley pour impressionner sa collègue enseignante (Salé sucré)…  même s'ils sont parfois égoïstes, maladroits ou qu'ils souffrent de non-dits, les personnages de la trilogie Father knows best sont sans doute les plus attachants du cinéma d'Ang Lee.

 

“Salé sucré” (1994) d'Ang Lee © (c) 1994 Central Motion Picture Corporation. Tous droits réservés. “Salé sucré” (1994) d'Ang Lee © (c) 1994 Central Motion Picture Corporation. Tous droits réservés.
“Salé sucré” (1994) d'Ang Lee © (c) 1994 Central Motion Picture Corporation. Tous droits réservés.

2. Une vision délicate du choc des cultures

 

Puisqu'il a grandi à Taïwan et qu'il est ensuite parti étudier aux États-Unis, le cinéaste a laissé derrière lui une famille qui ne connaît rien des mœurs américaines… et c'est bien ce qui transparait dans Pushing Hands et Garçon d'honneur. Si les deux premiers volets de la trilogie ont été tournés dans le pays de l'oncle Sam (à New York précisément), ils traitent surtout du choc des cultures lié à l'installation ou à la visite d'Asiatiques vieillissants de l'autre côté de l'océan Pacifique. Dans Pushing Hands, un père venu retrouver son fils dans la Grosse Pomme s'heurte à la barrière de la langue, aux difficultés financières (il est contraint de chercher un job de plongeur) et surtout à l'animosité de sa belle-fille qui n'accepte pas de vivre avec lui (tandis qu'à Taïwan, il est normal de s'occuper de ses parents lorsqu'ils ont passé un certain âge). Dans un autre registre, Garçon d'honneur dépeint la difficulté pour un homme homosexuel de s'assumer face à des parents qui rêvent de le voir marié à une sublime chinoise d'1m 80.

 

“Pushing Hands” (1991) d'Ang Lee “Pushing Hands” (1991) d'Ang Lee
“Pushing Hands” (1991) d'Ang Lee

3. La famille, une thématique chère au cinéaste

 

 

Si un leitmotiv revient constamment dans ces trois films, c'est bien celui du portrait familial. Que ce soit dans l'ode à la gastronomie asiatique Salé sucré – unique long-métrage tourné à Taïwan –, où un père taiseux ne communique avec ses trois filles qu'à travers la nourriture, ou dans Garçon d'honneur, farce sur le mariage où un jeune homme épouse l'une de ses amies pour faire plaisir à ses parents – alors qu'en réalité il est en couple depuis 5 ans avec Simon, un militant d'Act Up –, et surtout dans Pushing Hands, lequel est habité par la difficulté qu'on les générations à cohabiter… Father knows best est infusée d'une vision de la famille souffrant parfois des écarts culturels mais toujours ultra soudée. À la différence d'un Bergman ou d'un Desplechin – qui ont maintes fois filmé l'intimité familiale torturée – Ang Lee n'oublie jamais d'adoucir ses fables et de conclure que la parenté est le territoire social le plus tendre, le plus rassurant et le plus aimant.

 

 

Trilogie Father knows best d'Ang Lee, disponible jusqu'au 1er novembre sur le Video Club de Carlotta.