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01 Ronan Bouroullec, les dessins brillants d’un virtuose du design

Ronan Bouroullec, les dessins brillants d’un virtuose du design

Art

Jusqu’au 9 avril prochain, la Galerie Kreo à Paris expose les dessins d’Erwan et Ronan Bouroullec. Témoignages d’une pratique quotidienne ou compulsive, ils permettent de saisir l’univers des deux designers dont l’imagination est sans limites. Rencontre avec Ronan, qui nous livre les secrets de ses dessins.

 

© Morgane Le Gall/Courtesy of Gallery kreo. © Morgane Le Gall/Courtesy of Gallery kreo.
© Morgane Le Gall/Courtesy of Gallery kreo.

Pour la première fois depuis le début de leur carrière, les deux univers des frères Bouroullec se confrontent dans un même espace : s’ils pratiquent ensemble la discipline du design depuis 1998 en se livrant à une pratique collective et plurielle — incluant le travail du verre, la conception de sièges, de lampes, de tapis… – ils cultivent chacun leurs univers créatifs propres se matérialisant par le dessin. Tandis que les dessins de Ronan sont monochromes et réalisés au feutre, ceux d’Erwan sont digitaux et colorés, exécutés par le biais d’un code numérique. Ce dessin personnel, exempté de son aspect technique liée au design — extrêmement normalisé depuis le XIXe siècle avec la naissance de l’ingénierie — est une autre façon de saisir l’ampleur de leurs forces créatives. 

 

 

Numéro : Vous formez avec votre frère un duo de designer depuis 1998… Pourquoi avoir choisi d’exposer vos travaux séparément aujourd’hui ?

Ronan Bouroullec: Erwan et moi travaillons ensemble depuis vingt ans et nous dessinons des objets qui vont de bijoux jusqu’aux aménagements urbains… Mais le dessin a toujours été une pratique personnelle : avant même d’avoir dessiné des objets, j’ai dessiné tout court. Le dessin est un compagnon permanent. Quant à Erwan, il a une pratique un peu différente et c’est pourquoi il y a deux cartons d’exposition ce soir ; les dessins que j’ai réalisé et un algorithme qu’a conçu Erwan pour produire ses images. Ce sont deux types de travaux très distincts que l’on est heureux d’exposer ensemble ce soir.

“Je dessine comme une machine. C’est une nécessité quasi quotidienne.”

 

 

En somme, qu’est-ce qui vous distinguerait d’Erwan en termes de création ? 

D’abord la pratique technique. D’un côté mes dessins sont au feutre sur papier. De l’autre côté, Erwan a conçu un projet plus intellectuel : le codage d’un signal qui amène à la transformation d’images à travers ce code… Dans l’absolu, je dessine comme une machine. C’est une nécessité quasi quotidienne. Erwan c’est moins son cas, sa pratique est tout à fait différente.

 

Votre pratique du dessin est donc “plus traditionnelle”… Néanmoins, nous avons aujourd’hui accès à de nouvelles technologies innovantes comme celle qu’emploie Erwan. Vous ne pensez pas que le dessin est finalement devenu limitatif ? Notamment en ce qui concerne la pratique du design qui consiste à concevoir des objets en mouvement ?

Notre expression est très large. Par exemple, si aujourd’hui nous inaugurons cette exposition de dessins, dans quelques jours, nous allons inaugurer avec Erwan les nouvelles fontaines de bronze et de cristal aux Champs-Élysées qui mesurent, par ailleurs, une quinzaine de mètres de haut… Tout cela n’est finalement pas une question de calcul, c’est plutôt une pratique. Personnellement, ce que j’apprécie dans le dessin, c’est la facilité de la possibilité même du dessin. C’est-à-dire que, lorsqu’on dessine un objet, il faut des années de travail. C’est extraordinaire, mais c’est également très long et souvent frustrant… Tandis que le dessin est une pratique tout à fait intime que l’on pratique en plein milieu de la nuit parce que nous n’arrivons pas à dormir. C’est un plaisir extrême. Et concernant les nouvelles technologies concurrençant la peinture ou le dessin par exemple, c’est un sujet qui revient souvent tandis que c’est une question qu’on ne pose jamais à la littérature. Personnellement, je n’ai aucun a priori sur les techniques. Je suis extrêmement intéressé par les nouvelles technologies, mais j’apprécie aussi le fait de travailler avec des céramistes par exemple… D’ailleurs, j’étais au Japon il y a quelques semaines pour visiter des artisans à Kyoto qui souhaitaient travailler avec nous. Leurs pratiques n’ont pas changé depuis des siècles et des siècles. C’est tout à fait extraordinaire… J’apprécie le fait de pouvoir toucher à plein de choses et selon moi, toutes les techniques, toutes les pratiques constituent finalement une palette.

 

“ Un designer n’a pas besoin de dessiner et on n’a pas besoin de dessiner quand on veut devenir designer.

 

 

Pour devenir designer, il ne faut donc pas nécessairement savoir dessiner ? 

Effectivement, un designer n’a pas besoin de dessiner et on n’a pas besoin de dessiner quand on veut devenir designer. Il s’avère néanmoins que je dessine et que j’ai toujours fait ça. D’ailleurs c’était une pratique intime qui n’était pas du tout montrée et depuis qu’Instagram existe cela m’amuse. Comme ces dessins sont presque quotidiens, j’utilise Instagram comme un journal et je suis content de montrer ces choses en réel.

 

Selon vous, combien faut-il de croquis pour enfin atteindre les proportions souhaitées de l’objet final ? À quel moment vous vous arrêtez ? 

Il n’y a pas de règles et c’est tout ce qui fait la beauté de nos disciplines. Parfois tout arrive très vite et, en un clin d’œil le projet est là. En revanche, d’autres projets sont beaucoup plus complexes à découvrir et à mettre au point… Il n’y a pas de règles. Le processus créatif est tout de même un processus extrêmement mystérieux… Si ce n’est qu’il faut énormément travailler pour pouvoir concevoir quelque chose. Sans cette étape, ça ne fonctionne jamais. 

 

<p>© Morgane Le Gall/Courtesy of Gallery kreo.</p>

© Morgane Le Gall/Courtesy of Gallery kreo.

<p>© Morgane Le Gall/Courtesy of Gallery kreo.</p>

© Morgane Le Gall/Courtesy of Gallery kreo.

Mais justement en dévoilant vos dessins, vous ne pensez pas que vous nous dévoilez un peu ce mystère ? 

Il y faut distinguer deux choses très différentes. D’abord la recherche liée à l’objet et qui cherche à mettre au point ces objets comme un pianiste ferait ses gammes, ses courbes, ses formes, ses connexions entre deux matériaux qui nécessite souvent de passer par le dessin. Ensuite, les dessins pour les dessins, des objets finis en tant que tels, qui ne sont néanmoins pas des recherches pour des projets futurs. 

 

 

Il y a quelques années vous aviez affirmé pour notre magazine que « l’enjeu est le même que pour l’ensemble de nos projets : être juste »… Finalement comment peut-on être juste avec la pratique du dessin ? 

C’est vrai que c’est une définition qui a l’avantage d’être très floue (rires.)… Ma justesse n’est pas votre justesse. Dans le cas d’un objet, je pense toutefois que c’est plus facile à approcher parce qu’il y a beaucoup de critères dans cette pratique : le confort, le poids, le prix, la composition, l’intelligence technique… Dans le cas d’un dessin, il n’y a rien de tout cela, bien évidemment. La justesse en dessin… Je ne sais pas ce que ça veut dire.