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Numéro
28 Rencontre avec l'artiste Xinyi Cheng : “La peinture est un médium à la fois très sensible et très puissant”

Rencontre avec l'artiste Xinyi Cheng : “La peinture est un médium à la fois très sensible et très puissant”

Art

C’est dans l’effervescence du quartier parisien de Belleville que la jeune artiste chinoise Xinyi Cheng a installé son atelier. Elle y peint des portraits chargés de sensualité qui lui ont permis de se distinguer lors de la dernière édition d’Art Basel en remportant le Baloise Art Prize.

Xinyi Cheng, “Clement” (2019). Huile sur toile, 92 x 60 x 2.5 cm © Galerie Balice Hertling, Paris. Image © Aurélien Mole. Xinyi Cheng, “Clement” (2019). Huile sur toile, 92 x 60 x 2.5 cm © Galerie Balice Hertling, Paris. Image © Aurélien Mole.
Xinyi Cheng, “Clement” (2019). Huile sur toile, 92 x 60 x 2.5 cm © Galerie Balice Hertling, Paris. Image © Aurélien Mole.

Les artistes adorent Paris depuis toujours. Les collections patrimoniales des musées sont une source ininterrompue d’inspiration pour toutes les générations de peintres. Et c’est pour ces mêmes raisons que la jeune artiste chinoise Xinyi Cheng a choisi, à son tour, de s’y installer. C’est là qu’elle pratique la peinture tous les jours. Ses tableaux se font ainsi l’écho des rencontres qu’elle fait dans la capitale, des amis qu’elle fréquente. Ils représentent des jeunes gens (majoritairement des hommes), des situations quotidiennes, parfois banales, et souvent chargées d’une certaine sensualité.

 

Ses portraits aux lumières douces et aux contours assez simples lui ont permis de remporter le Baloise Art Prize (30 000 francs suisses alloués au vainqueur par la compagnie Bâloise Assurances) pour son solo show à la galerie Balice Hertling lors de la dernière édition d’Art Basel. Par ailleurs, Bâloise Assurances, qui a fait l’acquisition de plusieurs œuvres de l’artiste, a prévu d’en faire don à la Nationalgalerie de Berlin et au MUDAM Luxembourg – musée d’Art moderne Grand-Duc Jean. Nous avons interviewé Xinyi Cheng dans son atelier au cœur de Belleville.

 

Numéro : Quel a été votre parcours ?

 

Xinyi Cheng : Je suis née dans la ville de Wuhan, mais j’ai grandi à Pékin, où j’ai ensuite étudié la sculpture dans une école d’art. Ces années ont été extrêmement formatrices pour moi. Nous devions réaliser beaucoup de sculptures figuratives en argile, et cet exercice m’aide encore énormément aujourd’hui dans mon approche de la représentation du corps en peinture. Mais la vraie révélation s’est produite quand je suis partie vivre à Baltimore – j’y ai trouvé mon véritable langage pictural, en même temps que mon sujet.

 

Comment avez-vous su que vous vouliez être artiste ? Quelle a été votre première rencontre avec l’art ?

 

Cela n’a pas été une décision consciente. J’ai commencé à peindre lorsque j’étais enfant et, tout s’est enchaîné de façon naturelle. Je n’ai pas le souvenir d’une “épiphanie”, ni d’une rencontre avec l’art à proprement parler. Cela dit, j’ai gardé en mémoire le catalogue d’une exposition sur Van Gogh qui m’avait transportée. Cet ouvrage m’avait véritablement donné envie de jouer avec la peinture. Et j’éprouve le même type de réflexe aujourd’hui, lorsque, dans un musée, je suis confrontée à une œuvre que j’apprécie vraiment.

 

 

“La peinture est un médium à la fois très sensible et très puissant.”

 

 

Qu’est-ce qui vous plaisait à l’époque ? Et aujourd’hui ?

 

Jusqu’à mes 18 ans, j’étais une grande fan des impressionnistes ; ça m’est un peu passé désormais. Depuis que je me suis installée à Paris, je vais voir à peu près tout ce qu’il est possible de voir dans les musées, et pas seulement en matière de peinture. Je crois que j’ai été également très marquée par ma lecture de l’ouvrage de Gilles Deleuze sur Francis Bacon, Logique de la sensation.

 

Vous sentez-vous proche d’une communauté ou d’un mouvement en particulier ?

 

J’aime beaucoup passer du temps avec mes amis artistes, mais l’essentiel de ce que fais s’inscrit dans l’espace de mon atelier, qui est un lieu très personnel, un lieu à moi.

<p>Xinyi Cheng, “Lighter I” (2019). Huile sur toile, 41 x 33 x 2.5 cm © Galerie Balice Hertling, Paris. Image ©<em> </em>Aurélien Mole.</p>

Xinyi Cheng, “Lighter I” (2019). Huile sur toile, 41 x 33 x 2.5 cm © Galerie Balice Hertling, Paris. Image © Aurélien Mole.

<p>Xinyi Cheng, “Lighter III” (2019). Huile sur toile, 41 x 33 x 2.5 cm © Galerie Balice Hertling, Paris. Image ©<em> </em>Aurélien Mole.</p>

Xinyi Cheng, “Lighter III” (2019). Huile sur toile, 41 x 33 x 2.5 cm © Galerie Balice Hertling, Paris. Image © Aurélien Mole.

Vous semblez très à l’aise avec la peinture, mais il vous arrive aussi d’utiliser d’autres médiums, comme la photographie par exemple. Pourquoi cela ?

 

Je ne pourrais pas dire que je suis très à l’aise avec la peinture. Ce qui est certain, en revanche, c’est que j’adore ça. Je trouve que c’est un médium à la fois très sensible et très puissant. Il demande une bonne dose de planification, tout en laissant une assez grande place à l’accidentel. Quand j’ai commencé à peindre davantage, je me suis mise à prendre beaucoup de photos. Au départ, elles me servaient simplement de référence pour mes toiles, mais je crois qu’elles ont acquis ensuite une existence propre, et c’est quelque chose que j’ai eu envie d’explorer. Il y a des photos auxquelles je reviens sans cesse, que je regarde encore et encore, sans pour autant ressentir le besoin de les peindre. Et là, je me rends compte que ce sont des photographies qui existent de façon autonome.

 

Comment choisissez-vous votre palette de couleurs ?

 

Concernant les couleurs, j’ai envie qu’elles soient agréables et en même temps presque dérangeantes – qu’elles déclenchent un moment particulier, avec les sensations qui l’accompagnent.

 

Connaissez-vous ces gens que vous représentez ? Et pourquoi seulement des hommes ?

 

Je peins des gens que je connais – parce que j’aime leur visage, ou leur manière de parler, ou encore la façon dont leurs gestes peuvent raconter une histoire. On trouve aussi des femmes dans mes toiles plus récentes.

 

 

“J'ai envie que les couleurs soient agréables et en même temps presque dérangeantes – qu’elles déclenchent un moment particulier, avec les sensations qui l’accompagnent.”

 

 

Travaillez-vous avec des images d’archives ou avec le found footage ? La question de l’appropriation vous semble-t-elle pertinente ?

 

Je peins principalement à partir de photos que j’ai prises moi-même, avant d’assembler entre elles les pièces du puzzle. Dans mon travail, on peut trouver aussi certaines références à la peinture classique.

 

Comment installez-vous vos œuvres ? La scénographie de vos expositions est-elle importante en tant que vecteur d’un message, et, si oui, comment cela se traduit-il dans vos installations ?

 

Pour moi, l’essentiel du travail a lieu dans mon atelier, où je me concentre vraiment sur les toiles, l’une après l’autre. L’accrochage, c’est une dimension que je laisse aux commissaires d’exposition et à ceux dont c’est le métier. En général, quand tout est prêt, je me contente de vérifier les éclairages et la lumière.

 

Comment choisissez-vous les titres de vos œuvres ?

 

Pour la plupart, ils sont très simples, et ils coulent de source.

Xinyi Cheng, “Crossing I” (2019). Huile sur toile, 60 x 100 x 2.5 cm © Galerie Balice Hertling, Paris. Image © Aurélien Mole. Xinyi Cheng, “Crossing I” (2019). Huile sur toile, 60 x 100 x 2.5 cm © Galerie Balice Hertling, Paris. Image © Aurélien Mole.
Xinyi Cheng, “Crossing I” (2019). Huile sur toile, 60 x 100 x 2.5 cm © Galerie Balice Hertling, Paris. Image © Aurélien Mole.

Vous venez de remporter le Baloise Art Prize à Art Basel. Pouvez-vous nous parler du projet que vous présentiez ?

 

J’avais choisi une douzaine de toiles, peintes au cours des douze derniers mois. Elles représentent des gens dont j’ai fait la connaissance cette année, ou lors de rencontres plus anciennes, mais qui résonnent encore en moi.

 

Pourquoi avoir choisi de vivre à Paris, et que pensez-vous de sa scène artistique ?

 

J’adore Paris. C’est une véritable capitale, une grande métropole, mais qui vous laisse aussi énormément de temps et d’espace – et cela convient parfaitement à ma façon de travailler. J’aime beaucoup fréquenter les musées parisiens. En un mot, je dirais que cette ville m’enchante littéralement. La scène artistique y est passionnante, et pas seulement la scène artistique : la ville propose aussi quantité d’événements intéressants dans tous les domaines, et c’est un vrai plaisir !

 

À quoi ressemble l’une de vos journées parisiennes ?

 

Je me lève assez tard, j’arrive à mon atelier aux alentours de midi, et j’y reste jusqu’à 9 ou 10 heures du soir, voire plus si je travaille sur un problème que je n’arrive pas à résoudre.

 

Y a-t-il quelque chose dont vous aimeriez faire prendre conscience à travers votre pratique artistique ?

 

Je ne crois pas avoir encore assez de recul sur mon art pour répondre en conscience à cette question. Ce que je sais, en revanche, c’est que j’ai envie que les gens se retrouvent submergés par des émotions – et même parfois qu’ils ressentent une certaine confusion par rapport à ce qu’ils éprouvent, ce à quoi ils sont confrontés.

 

Avez-vous déjà un projet en préparation ?

 

Oui, une exposition qui se tiendra l’année prochaine au musée d’Art contemporain Hamburger Bahnhof, à Berlin.