4 mar 2021

Woody Allen: the monster, the genius, dissected on OCS

Son œuvre est l’une des plus acclamées au monde. Pourtant, la vie privée de ce cinéaste culte suscite de violentes controverses depuis qu’il s’est retrouvé, en 1992, en une de la presse à scandale : Dylan Farrow, sa fille adoptive âgée de 7 ans l’accuse d’agressions sexuelles. À travers quatre épisodes hypnotisants diffusés sur OCS, la série documentaire “Allen v. Farrow” revient sur cette affaire qui a traumatisé toute la famille Farrow et dresse le portrait glaçant d’un génie monstrueux.

Dylan Farrow avec sa mère, Mia Farrow. © “Allen v. Farrow” (2021) de Kirby Dick et Amy Ziering.

Lorsqu’on découvre Allen v. Farrow s’installe d’abord un sentiment d’excitation à se glisser dans l’intimité d’une célébrité… puis un véritable effroi… on se sent piégé, assommé par autant de témoignages accablants, autant de détails sordides qui constituent les accusations de Dylan Farrow à l’encontre de son père adoptif, le cinéaste Woody Allen. Un grand malaise s’installe, qui ne nous quittera plus. Tout au long des quatre épisodes de la série documentaire, on se surprendra (même si c’est ridicule) à vérifier si notre porte d’entrée est bel et bien verrouillée.

 

La série est construite autour des témoignages du “clan Farrow” : Dylan Farrow elle-même (fille adoptive de l’actrice Mia Farrow et de Woody Allen), sa mère Mia Farrow, bien sûr, et quelques-uns de ses autres enfants, parmi lesquels Satchel – plus connu sous le nom de Ronan Farrow – le journaliste qui a dénoncé les agissements d’Harvey Weinstein dans une enquêté publiée dans le magazine américain The New Yorker. Contrairement à ce que son titre laisse penser, la mini-série signée de Kirby Dick et Amy Ziering – auteurs de The Invisible War (2012), un documentaire remarqué sur les violences sexuelles dans l’armée –, n’est pas la mise en opposition de deux points de vue : celui de Woody Allen d’un côté et celui de la famille Farrow de l’autre. Il s’agit, à l’inverse, d’une enquête très minutieuse, qui s’est déroulée pendant trois ans et s’est organisée uniquement autour du camp des victimes, l’accusé n’ayant pas souhaité intervenir. En résultent des images extrêmement choquantes et embarrassantes (comment ne peuvent-elles pas l’être, face à la gravité des accusations ?), où l’on voit une enfant de 7 ans, filmée par sa mère à l’aide d’une petite caméra, montrer ses parties intimes et assurer, à plusieurs reprises, que son père les a “touchées” [“daddy touched my privates« ]. 

Plus que de montrer, à l’écran, les traumatismes toujours brûlants de la victime d’un inceste – qui a aujourd’hui presque 40 ans – et la douleur d’une mère, qui se reproche encore de n’avoir pas su protéger ses enfants d’un “prédateur”, Allen v. Farrow s’attarde aussi à déconstruire le “personnage Woody Allen”. Des critiques, journalistes ou écrivains reviennent sur les films du cinéaste, analysant – certes, sans grande profondeur mais juste assez pour troubler – sa fâcheuse tendance à écrire des histoires de filles de 18 ans entichées d’hommes murs, tandis que le montage suggère que cette “obsession” n’est qu’une triste prémonition… Des conversations téléphoniques entre Woody Allen et Mia Farrow sont exhumées, et juxtaposées à des témoignages d’autres enfants de l’actrice, où tous expriment l’autre choc de leur vie : la liaison du cinéaste avec Soon-Yi Previn, qui est aussi sa “belle-fille”, puisque c’est l’enfant issue du précédent mariage de Mia Farrow.

 

 

C’est là tout l’intérêt de cette série : donner pleinement la parole à Mia Farrow et expliquer comment, à tour d’interviews, de recours à des détectives privés et de soudoiement des psychologues, son ancien compagnon a réussi à imposer une seule et unique version des faits. Par sa construction, Allen v. Farrow balaie d’un revers de main les contre-attaques de Woody Allen – tout en lui donnant à peine la parole, à travers des extraits de ses mémoires, lus par lui même. Après que sa compagne a déposé plainte contre lui pour agressions sexuelles envers leur fille Dylan, le réalisateur lance une immense guerre médiatique l’opposant à l’actrice et à ses enfants. Sur tous les plateaux télé, il clame son innocence et accuse Mia Farrow de mettre en scène toute cette histoire par jalousie, pour se venger de la liaison entamée par Woody Allen avec sa fille Soon-Yi Previn, alors même pas âgée de 20 ans. Mais ce que Kirby Dick et Amy Ziering démontrent, c’est la tentative de Woody Allen de masquer son crime en reconnaissant être coupable d’autre chose, une affaire de mœurs pour laquelle il ne pourrait pas être poursuivi. En effet, Soon-Yi Previn et lui ont une relation depuis déjà cinq ans lorsque l’affaire d’inceste dénoncé par Dylan Farrow éclate… S’il aimait cette jeune fille depuis quelques années déjà, pourquoi aurait-il attendu si longtemps pour le dévoiler au monde ?  Évoquer tout de suite cette histoire ne serait-il pas la seule façon de retourner la situation, de se poser en victime d’une machination et d’accuser Mia Farrow d’essayer de se venger ? 

 

Trop proche de sa fille Dylan alors qu’elle est encore bébé – cette dernière essayant, selon les proches du clan Farrow, de s’éloigner de lui alors qu’elle sait à peine marcher –, misanthrope assumé et farouche opposant à l’adoption s’il ne s’agit pas d’une “petite fille blonde”, Woody Allen n’est pas, comme dans ses films, un personnage gauche, romantique et attachant. Il est plutôt, tel qu’il est dépeint par Kirby Dick et Amy Ziering, un homme monstrueux et calculateur, capable de violer sa fille de 7 ans dans le grenier d’une maison perdue au fin fond du Connecticut – alors que, quelques étages en dessous, le reste de la famille est à la recherche de la fillette – et d’avoir une liaison avec une gamine tout juste sortie de l’adolescence, laquelle l’a d’abord considéré comme un père. Si les charges qui pesaient sur Woody Allen furent finalement abandonnées lors du procès qui l’opposa à Mia Farrow – afin d’éviter de présenter l’enfant mineure devant le tribunal, le documentaire s’emploie à portraiturer la face réelle du réalisateur hollywoodien qui a fait commerce de son personnage de névrosé. Manipulateur, malsain, pervers… voilà ce que la série réussit, parfois trop brutalement, à dévoiler : le côté sombre d’un homme tantôt considéré comme un monstre, tantôt comme l’un des plus grands cinéastes de tous les temps.

 

Allen v. Farrow (2021) de Kirby Dick et Amy Ziering, épisodes 1 et 2 dès aujourd’hui sur OCS.