Tulsa King, Esterno notte, Succession : 3 séries à voir absolument ce printemps
Entre Tulsa King où Sylvester Stallone s’illustre dans le rôle d’un mafieux, Esterno notte retraçant le combat politique des Brigades rouges dans l’Italie des années 70, et Succession qui nous plonge au cœur des guerres de pouvoir au sein d’un empire des médias, focus sur les meilleures séries du moment.
Par Olivier Joyard.
1. Tulsa King de Taylor Sheridan : Sylvester Stallone en mafieux sorti de prison
Jusqu’à présent, Sylvester Stallone n’avait jamais franchi le cap des séries télé sauf au début de sa carrière dans les années 70, bien avant l’explosion Rocky. C’était une sorte de bizarrerie, tant les séries attirent aujourd’hui à peu près tout ce que le grand écran compte de stars, mis à part Tom Cruise et Leonardo DiCaprio. Tulsa King est donc le projet qui aura fait changer d’avis le héros de Rambo. Dès la première scène, on comprend pourquoi. Stallone joue un mafieux qui sort d’un quart de siècle en prison pour un meurtre commis par fidélité à sa “famille”, sans avoir jamais balancé les noms des commanditaires. Confronté au temps qui passe et aux changements dans la structure dont il était l’un des “capos”, il est provoqué par un homme plus jeune que lui. Le ton monte. Il l’étale d’une droite féroce.
Un poing, c’est tout ? On sait depuis longtemps que Sylvester Stallone n’est pas qu’une brute épaisse, même s’il a toujours besoin d’en donner l’illusion. Cette série coécrite par l’un des scénaristes des Soprano, Terence Winter, lui offre quelques occasions de le prouver. Après son esclandre, Dwight Manfredi (son personnage) se retrouve envoyé à Tulsa, Oklahoma, où il a désormais carte blanche pour installer un empire illégal. Mais quand on vient de New York, cela n’a rien d’une montée en gamme. Voilà donc cet homme dans la force de l’âge forcé de s’inventer une nouvelle vie en repartant quasiment de zéro. Le premier jour, il débarque dans une officine de marijuana, drogue devenue légale pendant son incarcération, pour demander un “impôt”.
Le début de la série le montre en train d’imposer, avec un certain sens de la repartie, ses méthodes old school à un monde nouveau, lui qui n’avait même pas de téléphone portable. Stallone s’amuse manifestement beaucoup à pousser la métaphore plus loin, confrontant son approche du récit et du jeu aux tendances contemporaines des séries. Les scènes durent, la caméra tourne autour de lui comme autour d’un astre, la notion d’efficacité est sans cesse remise en question. À l’aise dans l’action comme dans les moments plus quotidiens, la star a trouvé ici un écrin idéal pour documenter son vieillissement. À 76 ans – âge que son personnage assume –, il le fait avec une certaine outrance qui l’a toujours caractérisé, mais aussi avec une forme de mélancolie. La même qui a traversé en secret ses cinquante années de carrière.
Tulsa King de Taylor Sheridan, disponible sur Paramount +.
2. Esterno notte de Marco Bellocchio : l’Italie des années 70 et le combat des Brigades rouges
En 2002, le grand cinéaste italien Marco Bellocchio réalisait le film Buongiorno, notte, qui relatait l’enlèvement et l’assassinat de l’homme politique démocrate-chrétien Aldo Moro par les Brigades rouges dans les années 70. On revivait alors son calvaire à travers ses interactions avec une jeune brigadiste. À plus de 83 ans, Bellocchio reprend ce thème, avec cette fois une série en six épisodes qui propose un tout autre point de vue sur la même histoire. Esterno notte se présente plutôt comme une fresque, mais une fresque au trait fin, jamais trop chargée, qui nous mène dans les arcanes de la société italienne et du pouvoir romain.
En plus de Moro et de sa femme Eleonora, la série s’intéresse au ministre de l’Intérieur Francesco Cossiga, au président du Conseil Giulio Andreotti, à des membres des Brigades rouges, au pape Paul VI… Observant ce microcosme en proie à des luttes internes ravageuses, elle montre à quel point cette affaire qui a traumatisé un pays entier – avec un fort écho dans toute l’Europe – a réveillé de vieilles rancœurs politiques, en plus de mettre au jour les dysfonctionnements profonds du pays. Bellocchio déploie une véritable réflexion sur l’essence de la démocratie et de tout ce qui la met en danger. Que ce soit dans les scènes d’action – impressionnant moment autour de l’enlèvement, fusillade à la clé –, dans les conversations intimes filmées comme des introspections douloureuses, ou les moments d’exploration familiale très émouvants, l’octogénaire démontre qu’il n’a rien perdu de sa verve et navigue habilement à travers les points de vue. On souhaite à d’autres cinéastes beaucoup plus jeunes que lui de déployer autant d’énergie et de précision dans les effets !
Là où Esterno notte impressionne le plus, c’est en ne cédant jamais aux sirènes de la reconstitution ennuyeuse pour tisser sa toile narrative complexe, qui relève à la fois du drame, de la leçon historique et même de la farce. Par moments, nous ne sommes pas si loin de l’étrangeté de David Lynch, quand la situation pèse sur les uns et les autres au point de leur faire perdre la raison. L’image s’assombrit, le spectre de la grande peinture classique surgit… Et si au fil des épisodes, un profond pessimisme se dessine, on sort de l’expérience revivifié, avec l’envie de revoir toute la filmographie du maître. Son premier long-métrage, Les Poings dans les poches, date de 1965…
Esterno notte de Marco Bellocchio, les 15 et 16 mars sur Arte. Disponible sur Arte.tv.
3. Succession de Jesse Armstrong : les guerres de pouvoir continuent dans l’empire des médias
Dans les séries qui font parler d’elles dans le monde entier, il y a désormais deux camps dominants : d’un côté celui des superproductions tirées de franchises déjà rentables (type Seigneur des anneaux ou House of the Dragon), et en face, une poignée de créations d’auteur ne rechignant pas sur le spectacle et l’attractivité. Succession fait partie de la seconde catégorie, dont elle incarne même l’étalon avec la récente The Last of Us. Pour celles et ceux qui n’auraient pas encore eu l’occasion de s’y plonger, la série raconte le destin complexe d’une puissante famille du monde des médias, dirigée par le patriarche new-yorkais Logan Roy. Autour de lui, ses enfants s’allient et s’affrontent pour envisager un futur sans lui. Alors que le vieux lion s’accroche à son siège à coup de “fuck off” bien sentis, la famille se déchire depuis plusieurs années dans une atmosphère que les observateurs qualifient de shakespearienne.
Malgré ses atours de tragédie, Succession est en réalité autant une comédie qu’un drame, surtout quand on sait que son créateur et showrunner, l’Anglais Jesse Armstrong, a été formé à l’école de The Thick of It, la satire politique signée Armando Iannucci. Ici, les dialogues les plus cruels sont aussi des vannes, et la caméra accompagne les personnages un peu comme celle de The Office il y a une décennie, à coups de zooms à l’inélégance recherchée qui soulignent leur fragilité. L’éclatement est proche et rien ne pourra sauver les Roy d’une certaine déchéance, au moins morale.
Pour la quatrième saison de l’un des événements sériels les plus attendus de l’année, la famille fait face plus que jamais à des conflits internes radicaux, le père ayant choisi la confrontation ultime avec ses enfants. Alors que la firme Waystar RoyCo pourrait être vendue, Succession poursuit son auscultation féroce du capitalisme sauvage en se délocalisant notamment à Los Angeles à coups de jet privé et de bilan carbone désastreux. Le n’importe quoi est toujours au rendez- vous, ce qui fait partie du plaisir que nous prenons devant cette saga qui revitalise l’héritage de Dallas. Comme le dit le personnage de Tom sans sourciller une seconde : “C’est un peu comme les rapports israélo-palestiniens, mais en plus dur. Et en beaucoup plus important.”
Succession, saison 4, de Jesse Armstrong, disponible sur HBO Max aux États-Unis le 26 mars.