Rencontre avec Virginie Efira et Nicole Garcia, héroïnes de la série Tout va bien
Numéro a rencontré deux immenses actrices françaises, Virginie Efira et Nicole Garcia, héroïnes émouvantes et complexes de la nouvelle série Tout va bien, une « dramédie » (mélange de comédie et d’éléments dramatiques) ambitieuse disponible le 15 novembre 2023 sur Disney+.
propos recueillis par Violaine Schütz.
C’est sans doute l’une des séries françaises les plus ambitieuses et audacieuses de l’année. Dans Tout va bien, qui sortira le 15 novembre 2023 sur Disney+, on suit le quotidien contrarié d’une famille dysfonctionnelle (comme toutes les familles), les Vasseur, devant faire face à la maladie d’un enfant. Cette « dramédie » imaginée par Camille de Castelnau, coscénariste du Bureau des Légendes brille par son ton, rare en France, qui ne sombre pas dans le pathos et ose le rire dans des situations tragiques cocasses, à la manière de Six Feet Under, Succession ou Big Little Lies. Mais aussi par son casting. Les acteurs (Virginie Efira, Nicole Garcia, Sara Giraudeau, Aliocha Schneider, Mehdi Nebbou, Bernard Le Coq), y sont tous touchants, complexes et justes.
Numéro a rencontré, en tête à tête au Bristol, à Paris, les immenses actrices françaises Virginie Efira et Nicole Garcia, qui incarnent, avec beaucoup d’humanité et de subtilité, une matriarche optimiste, auteure de livres de développement personnels à succès, et une tante névrosée, qui malgré son anxiété, demeure un pilier pour sa famille. Un moment rare passé avec deux comédiennes aussi intelligentes et drôles que chaleureuses et piquantes.
L’interview de Virginie Efira et Nicola Garcia, actrices poignantes à l’affiche de la série Tout va bien sur Disney+
Numéro : Qu’est ce qui vous a donné envie de faire partie de ce projet de série ?
Virginie Efira : Pour moi, c’est la manière dont le thème, qui peut faire peur – la maladie grave d’un enfant -, est traité. Avant de commencer à lire le scénario, j’étais moi-même un peu effrayée par ce sujet. Mais au fur et à mesure que je tournais les pages, je découvrais l’acuité du regard porté sur ces personnages et la subtilité de cette histoire. On avait là quelque chose que j’avais peu vu, à l’écran, sur ce que c’est que d’être une famille, avec ses joies et ses peines, son aspect dysfonctionnel, ses liens d’attachement…le tout mêlé ensemble. Et on évitait tout ce qui aurait pu être nul dans une fiction sur un enfant malade : le misérabilisme, le suspense ou l’idée que tout le monde serait forcément dans un élan compulsionnel juste. Camille (de Castelnau, la créatrice de la série, ndlr) arrive très bien à dessiner des personnages qui ne savent pas quelle attitude adopter face à cette épreuve. La série parvient même à être parfois drôle, dans des situations tragiques où il ne faudrait rire. Parce que la vie et la trivialité du quotidien continuent, même quand un drame arrive. Pour faire émerger la réelle beauté de l’existence, il faut pouvoir parler de sa férocité et montrer les aspérités. Camille parle notamment du fait de ne pas forcément aimer un enfant, comme c’est le cas de mon personnage envers sa belle-fille. Alors que sa nièce traverse une épreuve difficile, sa belle-fille se tracasse à propos d’un plongeon mal effectué ou de poux sur sa tête.
Nicole Garcia : Je peux dire un mot ?
Virginie Efira : Oh la la, maman, la relation mère-fille continue (rires). Surtout que tu vas dire la même chose que moi…
Nicole Garcia : C’était notre relation pendant le tournage de la série. En fait, tout dépend de la manière dont un sujet est traité. On aurait pu aller chercher le pathos, le glauque, les larmes à peu de frais, mais Camille arrive à surmonter ça, dans l’écriture, de la même manière que toute la famille montrée à l’écran surmonte cette situation difficile. Elle arrive à faire quelque chose de vivant, de fort, de contradictoire avec cette histoire, à l’image de l’existence elle-même.
« J’aime quand, dans un film ou une série, rien n’est manichéen et rien ne nous est épargné. » Virginie Efira
Qu’est-ce que vous aimez en termes de séries, en tant que spectatrices ? Celles qui mélangent justement humour et drame ?
Virginie Efira : J’aime les séries rudement bien écrites, qui sont souvent, en effet, des « dramédies » (même si le terme n’est pas terrible). J’adore Larry David, par exemple. Il n’y a jamais que de la bonté. Il y peut y avoir en même temps de la férocité. J’aime quand, dans un film ou une série, rien n’est manichéen et rien ne nous est épargné. On peut arriver à regarder nos torts, sans le faire en se sentant supérieur. Ça fait partie de l’existence, c’est compris dedans. Et c’est vrai que les séries américaines sont plus décomplexées sur ça. Peut-être parce qu’on n’a pas la même histoire dans le registre des séries. Le côté idéalisé de la famille comme un cocon ou un refuge a été moins malmené, ou alors, la famille a souvent été vue comme quelque chose de très négatif dont il faudrait se défaire dans nos shows à nous.
Nicole Garcia : Dans la série Tout va bien, j’aime qu’il y a justement quelque chose de très dur et de féroce qui côtoie des scènes plus légères et très drôles. Camille a trouvé cette distance là face aux choses graves. Les rires et les larmes s’entremêlent, ce qui est quelque chose de rêvé en termes d’écriture.
Lors d’une scène délirante de la série, votre personnage (Anne), Nicole Garcia, appelle sa fille (Claire, jouée par Virginie) car elle a eu un accident. Une biche est coincée dans le pare-brise de sa voiture et vous voulez que votre fille vienne vous aider à l’enlever…
Virginie Efira : Concernant cette scène-là, ainsi que d’autres, il y a quelque chose de très juste que nous disait Éric Rochant (Le Bureau des légendes, Les Patriotes, Un Monde sans Pitié), qui a réalisé les deux premiers épisodes de la série et qui est prôné par Camille de Castelnau et les autres réalisateurs de Tout va bien. Il nous expliquait que quand il y a quelque chose de comique, comme ça, dans le scénario, il ne faut pas jouer de manière drôle, aller vers l’effet, le gag.
Nicole Garcia : Nous avons joué cette scène de manière très sérieuse et naturelle, malgré la biche sur le capot.
Virginie Efira : Mais c’était quand même quelque chose, pour moi, d’arriver dans ce décor, avec cette biche et la tête de Nicole à côté, la musique (le groupe Gold) à fond dans l’autoradio… Le spectacle était intéressant, même j’essaie de faire toujours comme si les choses étaient réelles.
Nicole Garcia : C’était un tournage de nuit, dans la forêt, donc comme tous les tournages nocturnes au cinéma, c’était difficile… Par contre, je tiens à préciser qu’il s’agit d’une fausse biche. On n’a pas percuté et tué une biche pour la scène. L’assurance de ce personnage de mère qui appelle sa fille à une heure tardive est assez drôle. Elle pense que c’est normal de lui téléphoner pour qu’elle la dépanne, alors qu’il y a de nombreuses tensions entre elles. Et la fille vient l’aider… Même si sa fille critique son positivisme (car elle pense constamment que tout va bien se passer, avant de se faire rattraper par le réel) et que sa fille est plus anxieuse, elles sont très proches et se ressemblent beaucoup, dans le fond. Malgré les irritations intempestives… Elle s’entend mieux avec son aînée qu’avec ses deux autres enfants.
Tout le monde est fan des livres de développement personnel d’Anne, dans la série, sauf sa fille Claire…
Virginie Efira : Oui mon personnage s’est construit en complète opposition par rapport à sa mère. Face à la manière qu’a sa mère de vociférer que le bonheur est à porter de main, elle agite une lucidité supplémentaire par rapport aux autres. Comme si en visualisant tous les dangers de l’existence, on se sentait plus armé pour pouvoir y répondre. On sait bien qu’au bout de la vie, il y a la mort. En même temps, il y a des gens qui se croient immortels. Je me souviens d’une interview de Jacques Brel qui disait que d’un côté, il y a les mortels et de l’autre, les immortels, ceux qui pensent qu’ils ne vont pas mourir. Claire a bien compris que cette affaire n’avait qu’une temps. Elle est bardée d’angoisses, mais au moins elle n’est pas dans le déni. Et elle envie d’une certaine manière sa mère, qui est très désirante. Claire, mon personnage, ne s’écroule pas. Tout le monde, dans cette famille, côtoie les hauteurs, et elle, se montre plus ancrée dans la réalité. Mais je crois que je fais un déni concernant un personnage, tout comme Nicole qui croit que son personnage n’est pas fou. Son frère reproche à Claire de se sentir exister dans le drame, ce dont je n’ai pas conscience. J’ai quelqu’un dans ma famille qui est comme ça (rires). Je ne vous dirais pas qui, mais, il est très hypocondriaque et alors qu’il est en parfaite santé, on a l’impression qu’il attend presque d’avoir la maladie pour pouvoir nous dire : « Tu vois, je te l’avais dit ! »
« C’est difficile d’être soi-même dans une famille. » Virginie Efira
Les personnages que vous incarnez, Claire et Anne, semblent un peu agaçants, au départ. Et puis, on s’attache peu à peu à elles…
Nicole Garcia : Je ne suis pas du tout d’accord quand on dit que les personnages sont agaçants ou froids, au départ (rires). C’est juste qu’on ne les connaît pas encore, et que donc, on ne les comprend pas. En même temps, c’est parce que je connais déjà la suite de l’histoire et que je sais ce qu’ils ont à l’intérieur, que je dis ça. Mais c’est comme lorsqu’on rencontre quelqu’un. Au départ, on ne connaît de cette personne que ce qu’elle veut que l’on sache d’elle, car les gens veulent montrer seulement certaines choses d’eux aux autres. Ensuite, ils se révèlent au fur et à mesure, comme dans le récit de Tout va bien.
Virginie Efira : Et puis on découvre ces personnages au sein d’une famille. Dans une famille, on joue chacun un rôle, comme dans n’importe quel groupe. On montre une partie de soi à ses proches, qui est comme la partie immergée d’un iceberg. On garde une certaine pudeur et d’ailleurs, parfois, on ressent des choses bien après les avoir vécues. Je pense aux fêtes de Noël par exemple. On espère dire des choses aux proches à ce moment-là, mais on n’ose pas. Et on y repense plus tard… C’est difficile d’être soi-même dans une famille. Chacun réagit comme il peut à ce drame de la maladie, compose avec ça, en jouant sa partition. Mais les choses sont beaucoup plus complexes qu’elles en ont l’air, dans le détail. Et la vérité que veut montrer Camille de Castelnau se situe justement dans tous les infinis détails. Les épisodes de la série grimpent en intensité car on découvre un intime, ce qu’on n’arrive pas à dire à l’autre, au fil du récit.
Sur l’affiche de la série, on peut lire, en guise de slogan : « Les épreuves rendent plus humain, pas forcément meilleur. » Êtes-vous d’accord ?
Virginie Efira : Oui, je suis assez d’accord. Mais est-ce que, déjà, les épreuves rendent plus fort ? Pas forcément, quand même. Est-ce que si on est plus humain, on est pas plus fort ? (rires) Enfin l’obligation qu’une épreuve vous rende plus fort, franchement, c’est pas terrible…
Nicole Garcia : J’ai rien compris (rires). Les épreuves fragilisent et la fragilité rend plus humain, non ?
Virginie Efira : C’est une bonne piste de réflexion en tout cas…
Tout va bien (2023) de Camille de Castelnau, avec Virginie Efira, Nicole Garcia, Sara Giraudeau, Bernard Le Coq, Aliocha Schneider, Eduardo Noriega et Mehdi Nebbou, disponible le 15 novembre 2023 sur Disney+.