Céline Sallette, actrice et réalisatrice insoumise, de retour dans la série Malditos
Avec sa beauté mélancolique évoquant celle de Simone Signoret, l’actrice française Céline Sallette crève l’écran depuis plusieurs années. Après avoir présenté en 2024, au Festival de Cannes, un film en tant que réalisatrice, Niki, dédié à l’artiste Niki de Saint Phalle, elle revient devant la caméra. Le 2 mai 2025, elle impressionnera dans la série Malditos, disponible sur Max. Rencontre avec une actrice engagée.
propos recueillis par Violaine Schütz.
Publié le 28 avril 2025. Modifié le 30 avril 2025.
Une beauté envoûtante à la Simone Signoret-Gena Rowlands, un regard mélancolique et une élégance androgyne… L’actrice française Céline Sallette, 45 ans, imprime depuis les années 2000 le cinéma hexagonal de sa classe folle et de ses choix exigeants.
On l’a vue dans des films intenses, aux univers forts, tels que Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola, La French (2014) de Cédric Jimenez, L’Apollonide : Souvenirs de la maison close (2011) de Bertrand Bonello, Un été brûlant (2011) de Philippe Garrel, De rouille et d’os (2012) de Jacques Audiard et des séries réussies (Les Revenants, Vernon Subutex, La Flamme). Elle a même tourné pour Clint Eastwood.
Céline Sallette, actrice et réalisatrice engagée et insoumise du film Niki
En 2023, l’actrice apparaissait dans le sensible et engagé Brillantes de Sylvie Gautier, aux côtés d’Eye Haïdara. Un drame social qui évoque le parcours d’une bande de femmes de ménage très unies vers l’insoumission dans une France marquée par les manifestations (notamment des Gilets Jaunes). Cette même année, elle était dans le très politique Les Algues vertes (2023) sur un désastre écologique qui a eu lieu en Bretagne.
En 2024, l’actrice habitée et insoumise était au Festival de Cannes pour présenter un film en tant que réalisatrice : Niki, un biopic dédié à l’artiste franco-américaine géniale et tourmentée Niki de Saint Phalle avec Charlotte Le Bon.
Céline Sallette à l’affiche de la série Malditos
En avril 2025, Céline Sallette est de nouveau présente sur la Croisette, dans le cadre du festival Canneseries. Mais cette fois-ci pour présenter un projet en tant qu’actrice. Elle joue la cheffe d’une famille gitane dans l’excellente série Malditos, un thriller-western criminel et mystique, disponible sur Max le 2 mai 2025, L’occasion de rencontrer une comédienne et cinéaste passionnante et très engagée.
L’interview de Céline Sallette
Numéro : Qu’est-ce qui vous a donné envie de jouer dans la série Malditos, un thriller-western qui nous plonge dans la communauté gitane de Camargue ?
D’abord, j’ai fait une rencontre avec Jean-Charles (Hue, le réalisateur), qui était assez déterminante. Il avait besoin de sentir comment une actrice pourrait faire famille avec la famille Dorkel (des membres de la communauté nomade des Yéniches, ndlr) qu’il connaît très bien. Il les filme depuis 20 ans. C’est un monde qui est régi par des codes et des pensées qui sont hyper spécifiques. Et j’étais très curieuse d’avoir la chance de me plonger dans cette famille.
Vous incarnez une matriarche, Sara, cheffe d’une communauté gitane et mère de deux fils qui se bat pour sauver son clan menacé d’expulsion. Comment décririez-vous ce personnage ?
Sara essaie de survivre et de faire survivre son clan d’une certaine façon. Le terrain qu’ils occupent et sur lequel elle veut rester, c’est un peu le symbole de ce qui tient la famille, de ce qui empêche son délitement, son explosion. En partir signifierait qu’il y ait une séparation. En fait, ce n’est pas tellement un problème du terrain. Elle ne veut pas que les membres de la famille se séparent. Donc, elle est déjà, elle, évidemment, dans une situation précaire. Et en plus, elle et ses fils cachent un secret très lourd. Cette roue de la violence, cette machine enclenchée par la violence, va les broyer. Je trouve ça fort, aujourd’hui, de raconter que d’une certaine façon, l’ultra-violence mène à la destruction.
“Je trouve ça fort, aujourd’hui, de raconter que d’une certaine façon, l’ultra-violence mène à la destruction.” Céline Sallette
Comment vous êtes vous immergée dans la communauté gitane et comment avez-vous préparé ce rôle ?
J’avoue que nous ne nous étions pas préparés avant le tournage. Il fallait juste sauter dedans. C’était vraiment la famille Dorkel qui a permis mon enracinement pour créer le personnage de Sara, que j’incarne. Ils ont été hyper accueillants. Et puis, nous, en retour, je crois que nous avons été courageux aussi, en tant qu’acteurs. C’est-à-dire qu’on n’a pas fait semblant… On a abordé avec amour et générosité l’angle voyageur (la communauté des gens du voyage, ndlr) par capillarité et assez rapidement. On s’est fondu dedans.
L’an dernier, vous étiez à Cannes pour présenter un film sur l’artiste Niki de Saint Phalle, intitulé Niki, avec Charlotte Le Bon et Damien Bonnard, en tant que réalisatrice. Comment est né ce projet ?
Le projet a démarré quand je suis tombée sur une interview d’elle, dans laquelle elle était géniale. Tout ce qu’elle disait était ultra puissant. Et tout ce que j’ai appris, depuis, en travaillant sur le film, sur Niki de Saint Phalle m’épate. Je raconte, dans le film, dix années de sa vie durant lesquelles elle devient artiste. Je suis si admirative de son chemin que j’essaie de le remettre en lumière, de ma modeste manière.
“Tout ce que disait Niki de Saint Phalle était ultra puissant.” Céline Sallette
Travaillez-vous sur un autre film en tant que réalisatrice ?
Oui, sur un documentaire intitulé La lutte ayant pour thème l’inceste. Je suis une femme qui s’appelle Sophie Abida, qui est ce qu’on appelle une mère protectrice. Ses enfants ont dénoncé l’inceste paternel. Et elle a fait les démarches pour les protéger. Des démarches auprès des institutions socio-judiciaires qui se sont retournées contre elle. Elle s’est vue accusée de manipulation. Les enfants ont alors été confiés au père. C’est un parcours un peu singulier parce qu’elle a mis un mouchard dans le dos de sa fille et qu’elle a enregistré un viol, entre autres violences. Mais son enregistrement n’a pas été analysé, ni par des policiers, ni par l’institution socio-judiciaire. Mais nous, on peut le faire.
Vous aviez déjà abordé le thème de l’inceste dans Niki, puisque Niki de Saint Phalle en a aussi été victime…
Oui, tout à fait. Ce qui se passe avec l’inceste, c’est que c’est comme une grotte. Personne ne veut y aller. Mais à la suite de Niki, quand j’ai entendu ces histoires-là, notamment l’histoire de cette femme, Sophie, je n’arrivais pas à m’enlever ces enfants de l’esprit. Sauf que je ne savais pas quoi faire. C’est là que je me suis dit : « Mais je peux acheter une caméra et tourner un documentaire », et je me suis sentie mieux tout de suite. Le fait d’aller avec une petite lumière dans cette grotte et d’être à côté de Sophie afin de lui signaler qu’elle n’est pas toute seule, c’est important. Avec cette mise en lumière, j’espère amener les spectateurs à comprendre, par le contexte et par la pédagogie, ce qui se passe. Pourquoi, en tant que société, on n’arrive pas à entendre l’inceste ?
“On ne sait pas encore très bien comment faire pour se débarrasser de la violence qui est en nous.” Céline Sallette
Le sujet reste encore tabou en France…
Oui. Pourquoi est-ce qu’on n’est pas capable, de faire comme en Écosse. En Écosse, il n’y a que 20% de classements sans suite concernant les affaires d’incestes. En France, il y a 80% de classements sans suite. Ça veut dire que là-bas, ils ont des repères que nous, nous n’avons pas et qui peuvent nous permettre de mieux protéger les enfants et d’arrêter ça. On dit que les enfants ne parlent pas. Certes, certains enfants ne parlent pas. Mais d’autres parlent et quand ils parlent, ils ne sont pas crus. C’est une trahison épouvantable de nos sociétés. Je m’inclus dedans : nos résistances et nos dénis sont chevillés à notre éducation. Nous ne sommes pas éduqués à repérer les signes des enfants violentés. Ni à protéger les enfants et à leur considérer des droits dans certaines catégories sociales. Quand on voit Bayrou qui gifle un enfant, il y a quelques années de cela, on comprend d’où on vient. Je ne dis pas ça pour jeter la pierre à Bayrou. C’est juste que l’on a grandi sans savoir bien éduquer les enfants, sans violences. On ne sait pas encore très bien comment faire pour se débarrasser de la violence qui est en nous.
Vous êtes abonnée aux films à thème – le trafic de drogue, la prostitution – qui possèdent un univers fort voire clivant tels que L’Apollonide : Souvenirs de la maison close ou La French…
Je suis autant aimantée par ce genre de films et de rôles que je les aimante. Les attirer me va très bien. Le métier d’acteur est un bon miroir. Ce qui vient à nous n’est pas un hasard…
“Si on ne prépare pas la transformation du monde, on va la subir.” Céline Sallette
Pour la série Infiniti, diffusée sur Canal + en 2022, dans laquelle vous jouez une spationaute, vous avez tourné au Kazakhstan et en Ukraine. Comment ces expériences vous ont-elles marquée ?
Le tournage en Ukraine a eu lieu un an avant la guerre, mais les Ukrainiens savaient que ça allait arriver. Ça a bouleversé ma vie car aujourd’hui, des Ukrainiens que j’ai rencontrés là-bas, qui sont en situation de guerre et qui vivent à Paris, sont devenus mes amis. Il y a encore quelques années, je ne pensais pas connaître la guerre en Europe. En tant que société, nous ne sommes pas armés à vivre ces choses-là. C’est hallucinant de savoir que la France est régulièrement menacée dans les médias russes. Ça signifie que si on ne mène pas toutes les batailles, la guerre est à notre porte. C’est une réalité que les Ukrainiens connaissaient bien avant que la guerre ne se déclare. Pour l’instant, on ne veut pas trop s’occuper de Poutine mais peut-être qu’à un moment, il viendra nous chercher…
Vous avez joué dans la série Vernon Subutex, adaptée du livre de Virginie Despentes. Êtes–vous d’accord avec l’écrivaine lorsqu’elle clame dans Libération, suite au départ d’Adèle Haenel de la cérémonie des César : “On se lève et on se casse” ?
Je suis très admirative de tous ceux et celles qui, comme Adèle, participent à enclencher un mouvement et à faire émerger des choses importantes dans l’inconscient collectif. Sans mouvement, on n’arrivera pas à se transformer. Or, il va falloir qu’on se transforme très vite, et ce, à tous les niveaux – notamment écologique –, parce que c’est la question de notre siècle. Notre question, c’est : comment transformer le monde dans lequel on vit, qui se trouve en pleins bouleversements, révolutions et révoltes ?
“Ce qui compte, c’est agir.” Céline Sallette
Ce qui se passe dans le monde n’invite pas à l’optimisme…
Si on ne prépare pas la transformation du monde, on va la subir. Nous sommes obligés d’accompagner cette transformation. Et pour ce faire, tous les moyens sont bons, que ce soit se lever et se casser ou manifester. Certaines personnes ont dit que la colère des Gilets Jaunes n’était pas bien gérèe. Mais ce qui compte, c’est agir. À un moment donné, la colère doit sortir, et ce, peu importe comment. Il n’y a pas de jugement à porter sur les moyens de manifester. Et comme c’est tous ensemble que nous faisons société, je crois que la transformation passera par le collectif. On ne pourra pas se transformer sans les autres. Il faut initier les choses ensemble, et que les hommes et les femmes s’unissent. Bref, que l’humanité s’associe au reste du vivant.
Qu’est-ce qui vous a plu dans le film Brillantes, dans lequel vous jouez une femme de ménage ?
Je ne sais pas ce qui m’a le plus touchée. Mais mon envie de faire ce film tenait à la fois à la précarité des personnages, à la honte, constitutive, ressentie par Karine – que j’interprète – et au fait qu’il s’agisse d’un long-métrage qui parle d’une réalité sociale en tirant les héroïnes vers le haut. Sylvie Gautier, la réalisatrice, qui vient du documentaire – et d’un milieu populaire –, n’est pas quelqu’un qui filme avec condescendance des situations tristes ou précaires. Elle se met au même niveau que les personnages de l’histoire qu’elle raconte. Et je pense tous les acteurs qui ont accepté ce film, malgré des conditions pas folles – au sens, où, sans mauvais jeu de mot, jouer des femmes de ménage pourrait ne pas sembler reluisant au premier abord –, sont là par fidélité à ce qu’ils sont, par conviction. Nous étions tous très heureux de raconter ce récit.
Des choix de rôles politiques
La réalisatrice du film Brillantes, Sylvie Gautier, cite parmi ses influences des films sociaux anglais tels ceux de Ken Loach. De votre côté, qu’est-ce qui a nourri votre rôle ?
Sylvie Gautier m’a donné à lire Orphelin des mots de Gérard Louviot. Il s’agit du témoignage dingue d’un homme qui raconte son parcours, depuis son enfance, durant laquelle il n’arrive pas à apprendre à lire et à écrire, jusqu’au moment où il prend la parole sur son illettrisme. Il se sent toujours à côté, que ce soit dans les institutions qu’il côtoie, enfant, pour son apprentissage, jusqu’à son entrée dans le monde de l’entreprise. Il est forcé de vivre dans le mensonge car le fait de ne pas savoir lire n’est pas quelque chose de bien admis dans notre société et dans le monde du travail. Et le jour où il révèle son secret, sa vie commence à changer, comme c’est le cas de Karine dans le film. Finalement, cet homme a écrit un livre, il a donc complètement renversé son destin.
Comment avez-vous appréhendé l’illettrisme de votre personnage, qui est un thème peu abordé au cinéma ?
Je me suis placée au niveau de l’enfance. En effet, je me suis dit qu’il y avait dans ce personnage de Gelsomina dans La Strada de Federico Fellini. Je me suis demandé : « Qu’est-ce qu’il reste quand on n’a pas les codes ? Le verbe ? » Il reste, certes, une forme de dépendance aux autres, mais aussi un rapport immédiat au vivant, aux éléments naturels, au soleil, à la lumière. On devient très ancré dans le réel. Il y a quelque chose de presque animal, enfantin, dans ce personnage. C’est aussi pour ça que Karine est si liée à son fils de 17 ans. C’est lui l’adulte dans le film. Les rapports sont inversés car elle ne peut pas gérer la maison. Et finalement, elle va le foutre dehors pour se défaire de la dépendance. Elle est aussi en quête d’autonomie par rapport à celui qu’elle aime, Bruno, dont elle ne veut pas dépendre. Ce film est l’histoire d’un réveil, d’un parcours vers une forme de combat et d’insoumission.
“Que le rôle soit glamour ou pas n’est généralement pas un critère pour moi.” Céline Sallette
Dans le film, il y a un vraie sororité entre les héroïnes. Avez-vous retrouvé ce type de lien avec les autres actrices ?
Oui, tout à fait. Nous étions très proches. Par exemple, la scène où je suis dans un bar avec Camille Lellouche n’était pas prévue. J’étais toute seule et je m’ennuyais alors, je suis allée la chercher. On s’est mises à danser. C’était très chouette. Et c’est resté.
Vous avez un côté assez punk dans ce film, avec vos cheveux roses et votre absence de maquillage. En tant qu’actrice, est-ce important de ne pas toujours être dans une attitude de séduction hétéronormée à l’écran ?
C’est vrai que Karine ressemble un peu à une ado attardée. En fait, je ne me rends pas vraiment compte si ça joue quand j’accepte un rôle. Que le rôle soit glamour ou pas n’est généralement pas un critère pour moi. En lisant le scénario de Brillantes, j’ai eu tout de suite envie de porter cette histoire, sans trop réfléchir aux raisons.
Malditos, créée par Jean-Charles Hue, Olivier Prieur et Laurent Teyssier, disponible le 2 mai 2025 sur Max.