1 déc 2025

Comment Camille Razat se réinvente après Emily in Paris

Après Ami-Ami, Emily in Paris et Prodigieuses, la superbe actrice française Camille Razat poursuit son ascension. Cet automne, elle est à l’affiche de la série criminelle Les Disparues de la gare sur Disney+ et du show Néro, sur Netflix. L’occasion de rencontrer cette comédienne talentueuse et charismatique que les plateformes, le cinéma et la mode s’arrachent.

  • propos recueillis par Violaine Schütz

    et Sidonie Valjean

    portraits P.A Hüe de Fontenay

    réalisation par Rebecca Bleynie.

  • Publié le 6 octobre 2025. Modifié le 1 décembre 2025.

    Dans la série à succès Emily in Paris, Camille Razat jouait le rôle de Camille Lalisse, la meilleure amie de la protagoniste américaine. Fille de producteurs de champagne employée dans une galerie d’art, son personnage tout
    en aisance et en désinvolture so French incarne un fantasme de la jeune Parisienne sophistiquée dans une série où la ville de Paris est elle-même idéalisée.

    Une actrice révélée par la série culte Emily in Paris

    La jeune comédienne aurait pu se laisser piéger par cette notoriété soudaine, s’enfermer dans des redites où
    ce chic naturel qu’elle exhale serait devenu un écran qui la coupe à la fois d’elle-même et du spectateur. Mais la native de la Haute Garonne a décidé d’écrire sa propre trajectoire et d’explorer son potentiel ancré dans son amour absolu du jeu.

    En 2018, elle s’était déjà lancé un défi de taille pour sa première expérience sur les planches du théâtre. Dirigée par Volker Schlöndorff, représentant d’un cinéma d’auteur allemand exigeant, elle incarnait six rôles sur scène, et
    tenait de bout en bout sa performance.

    Une réinvention avec Les Disparues de la gare

    À mille lieues de son rôle de galeriste glamour et branchée dans Emily in Paris (qu’elle a choisi de quitter), la magnétique actrice française Camille Razat, 31 ans, incarne une enquêtrice discrète, tenace et perspicace dans la nouvelle série true crime de Disney+. Intitulé Les Disparues de la gare, le polar, sombre et réaliste, disponible depuis octobre 2025, est basé sur une histoire vraie, celle de jeunes femmes ayant été assassinées à Perpignan entre 1995 et 2001. Un fait-divers troublant, et pas entièrement élucidé à ce jour, qui en dit long sur les violences dont sont victimes les femmes, évoquant des sujets encore tristement actuels comme les féminicides et les plaintes pour viol classées sans suite.

    On a aussi vu l’actrice, récemment, dans une production Netflix, Néro, aux côtés notamment de Pio Marmaï et d’Alice Isaaz. Autant d’occasion de rencontrer la comédienne qui se confie sur ses aventures en tant que productrice. Car c’est aussi en tant que productrice, aux manettes de sa société Tazar, qu’elle entend influer sur la culture de son époque et s’inscrire dans le mouvement qui, enfin, fait entendre les voix féminines au cinéma.

    L’interview de l’actrice Camille Razat

    Numéro : Qu’est-ce qui vous a donné envie de jouer dans la série Les Disparues de la gare ?
    Camille Razat : C’est d’abord l’histoire qui m’a happée. Cette affaire a marqué la France dans les années 90 et début 2000. Je connaissais l’affaire de loin, comme beaucoup de Français. Mais en travaillant sur le projet, j’ai découvert à quel point elle avait marqué la région de Perpignan et notre pays. Elle a laissé une empreinte durable dans les mémoires. Elle est glaçante, parce qu’elle parle de jeunes femmes disparues dans une gare que tout le monde connaît, un lieu familier. J’ai trouvé essentiel de redonner une voix à ces victimes et à ceux qui ont enquêté pendant près de vingt ans pour obtenir la vérité.

    Qu’est-ce qui vous a le plus intéressée dans le scénario ?
    La patience et la ténacité qu’il a fallu pour faire éclater la vérité. On a l’habitude, dans les fictions policières, de voir des affaires résolues en une heure. Ici, on raconte la lenteur, l’usure, le doute. J’ai trouvé passionnant que le scénario mette en lumière cette réalité-là : l’enquête comme une course de fond. Ce n’est pas un polar classique : cette œuvre évoque surtout le passage du temps, et comment vivre avec une douleur. Flore Robin, mon personnage, apprend à se construire dans tout ça. Elle débarque en tant que jeune flic, on la voit grandir et vieillir dans cet univers.

    Cela m’intéressait beaucoup de montrer une femme qui se bat pour être écoutée, et qui finit par se faire respecter grâce à son intelligence.” Camille Razat

    Est-ce que le fait que votre personnage soit une femme évoluant dans un univers masculin a joué dans votre envie d’accepter ce projet ?
    Oui, clairement. C’est une série féministe, bien écrite, et dirigée par une femme. Je suis heureuse d’avoir pu participer à un tel projet. Mon personnage, Flore Robin, arrive dans un milieu où l’autorité et l’expertise sont encore largement masculines. Elle doit trouver sa place, s’imposer sans se renier, avec ses intuitions, sa sensibilité. Cela m’intéressait beaucoup de montrer une femme qui se bat pour être écoutée, et qui finit par se faire respecter grâce à son intelligence et sa détermination. J’ai aimé l’approche très humaine de la série.

    J’avais envie de comprendre non seulement les procédures, mais surtout l’état d’esprit : comment on vit avec ce genre d’affaires.” Camille Razat

    Comment décririez-vous la personnalité de votre personnage ?
    Flore est une femme intègre, passionnée par son métier, mais aussi vulnérable. Elle n’est pas une super-héroïne. Elle doute, elle trébuche parfois, mais c’est justement ce qui la rend profondément humaine. C’est une création de fiction, mais elle s’inspire de plusieurs femmes policières qui ont travaillé à l’époque sur des affaires similaires. Le but était d’incarner à travers Flore toutes celles qui, dans l’ombre, ont permis que justice soit rendue.

    Comment vous êtes-vous préparée pour jouer le rôle d’une policière ?
    J’ai échangé avec des enquêteurs et des policières, et plus précisément avec Franck Martins – ancien policier devenu consultant sur des séries – qui m’a ouvert les portes de la PJ de Lille où j’ai pu passer une journée en immersion dans les différents services. Franck a malheureusement connu beaucoup d’affaires similaires à celles des disparues de la gare de Perpignan et j’ai pu lui poser toutes les questions que je voulais. J’avais envie de comprendre non seulement les procédures, mais surtout l’état d’esprit : comment on vit avec ce genre d’affaires, comment on se protège (ou pas) de ce que l’on voit. 

    Je trouve que le true crime est fascinant quand il permet de comprendre la psychologie humaine, la société, les failles du système.” Camille Razat

    Êtes-vous une amatrice de séries criminelles ?
    J’en regarde beaucoup oui. Je trouve que le true crime est fascinant quand il permet de comprendre la psychologie humaine, la société, les failles du système. J’ai récemment vu un film qui m’a bouleversé : Les chambres rouges de Pascal Plante.

    Comment expliquez-vous qu’autant de personnes se passionnent pour le true crime ?
    Je pense que cela tient à deux choses : la peur et la fascination. Le spectateur se dit “ça aurait pu m’arriver”, et en même temps il cherche à comprendre l’incompréhensible. C’est une manière de se confronter à l’horreur, mais dans un cadre “sécurisé”, celui de la fiction ou du documentaire.

    Je ne supporterai pas de devoir jouer le même type de rôles constamment.” Camille Razat

    Avec cette série sombre, vous vous éloignez d’autres projets plus glamour comme la série Emily in Paris. Était-ce un moyen de casser votre image ?
    Je n’aime pas forcément parler de casser une image, mais plutôt d’élargir mon registre. J’ai besoin de rôles très différents. Emily in Paris est un show joyeux et léger, Les Disparues de la gare est un projet beaucoup plus sombre, ancré dans le réel. C’est une chance pour une actrice de pouvoir naviguer entre ces univers. Je ne supporterai pas de devoir jouer le même type de rôles constamment. Je refuse que l’on m’enferme dans une case. 

    Quel regard portez-vous sur Emily in Paris, et sur la notoriété qui a suivi ?
    De la gratitude. La série m’a offert une visibilité internationale, mais elle m’a aussi donné envie de creuser des rôles plus profonds, plus ancrés.

    Le mannequinat m’a appris la rigueur.” Camille Razat

    À quel point les costumes et le maquillage vous aident à entrer dans un rôle ?
    Énormément. Dans la série Les Disparues de la gare, le maquillage est quasi invisible, les costumes sont fonctionnels, réalistes. Cela aide à se dépouiller de toute coquetterie, à se concentrer sur l’essentiel : le vécu du personnage, son état intérieur.

    Vous avez été mannequin très jeune. Ressentiez-vous le même plaisir en prenant la pose devant les appareils photo ?
    Pas vraiment. Le mannequinat m’a appris la rigueur, le rapport à la lumière et au cadre, mais on y incarne une image. Dans le jeu, on cherche la vérité derrière cette image. Ce sont deux rapports très différents à soi.

    Aujourd’hui, dans votre vie d’actrice, percevez-vous la mode comme une aire de jeux ?
    Absolument. La mode permet de créer des personnages, de raconter des histoires. J’aime utiliser cet espace pour expérimenter, pour m’amuser. L’exercice du tapis rouge est toujours un peu étrange pour moi, mais le fait
    d’avoir un look très travaillé permet de garder une certaine distance vis-à-vis de soi et de ne pas se prendre au sérieux.

    J’ai cruellement besoin du collectif, et le métier d’acteur peut être extrêmement solitaire.” Camille Razat

    Quand et comment avez-vous découvert votre plaisir de jouer ?
    Je l’ai découvert très tôt. Enfant, j’adorais inventer des histoires, faire des spectacles pour ma famille, me déguiser. Mais
    le vrai déclic est arrivé sur scène, la première fois où j’ai joué au Cours Florent. Je m’étais inscrite à cette formation en me disant qu’avoir une aisance et une éloquence serait d’une aide précieuse pour le métier de journaliste, auquel je me destinais à ce moment-là.

    Quel souvenir gardez-vous de la pièce de théâtre Le Vieux Juif blonde, mise en scène par Volker Schlöndorff, que vous avez interprétée en 2018 ?
    Elle a été un choc pour moi, et une véritable école. Jouer un monologue d’une heure et demie sur scène en interprétant six rôles, c’est un exercice intense. Cela m’a appris la discipline et la précision. Le lâcher-prise aussi.
    C’était une expérience fondatrice.

    Vous avez récemment lancé votre maison de production. Pouvez-vous nous en dire plus sur le sujet ?
    Oui, j’ai fondé Tazar il y a deux ans et demi. C’est né de mon envie de raconter des histoires autrement, de soutenir des réalisateurs émergents, de créer ma famille de cinéma. J’ai cruellement besoin du collectif, et le métier d’acteur peut être extrêmement solitaire. Nous sommes aussi tributaires du désir des autres et ça n’est pas une position confortable. J’ai décidé de placer Tazar comme une production française à vocation internationale. Nous avons déjà tourné cinq courts métrages avec, pour chacun, une langue différente.

    Quelle est votre intention première avec Tazar ?

    J’aime créer des ponts entre les cultures et les pays. On développe à la fois des clips musicaux, des fictions courtes et des projets plus hybrides, comme des campagnes très cinématographiques pour des maisons de mode ou de beauté. On agit d’ailleurs plus comme une agence de créatifs que comme une production classique. Nous sommes actuellement en train de préparer des longs-métrages. Cela reste d’ailleurs notre but premier. 

    En tant qu’actrice et productrice, j’essaie d’apporter de donner de la place à d’autres regards, à d’autres récits.” Camille Razat

    En ce moment, le cinéma s’ouvre-t-il vraiment aux voix féminines ?
    Oui, lentement, mais sûrement. Il y a une véritable évolution. Des réalisatrices telles que Hafsia Herzi, Kristen Stewart ou encore Florence Longpré racontent des histoires différentes de celles qui ont été racontées jusqu’à maintenant, et elles le font avec brio. En tant qu’actrice et productrice, j’essaie d’apporter ma maigre contribution à cette ouverture, de donner de la place à d’autres regards, à d’autres récits.

    Avez-vous un plan d’évolution précis pour votre carrière ?
    Il est déjà en place. En plus de fonder ma propre société de production, j’ai eu la chance de tourner ensuite deux séries aux antipodes d’Emily in Paris, et j’ai d’autres beaux projets qui arrivent. Je dois avouer que j’avais peur de cette transition, peur du vide, d’une certaine façon. Mais, aujourd’hui, je suis tellement en accord avec moi-même que je ne regrette pas du tout mon choix d’avoir quitté la série pour me consacrer à d’autres aventures.

    Quels sont vos projets ?
    En ce moment, nous avons plusieurs films en préparation avec Tazar, et je continue aussi à travailler comme actrice sur des projets très variés, en France et à l’international. La série Néro est sortie sur Netflix International en octobre 2025. Je viens de terminer de tourner une série adaptée du roman Le Rouge et le Noir de Stendhal, réalisée par Gaël Morel (avec Victor Belmondo et Virginie Ledoyen). Je devrais commencer un film de Mounia Meddour début 2026, et ensuite je prie pour qu’un projet dont je ne peux pas encore parler, et que j’ai très envie de faire, puisse se concrétiser. Ce qui me guide, c’est toujours la qualité des histoires, la rencontre humaine avec un(e) réalisateur(rice), une équipe, et la possibilité de me surprendre moi-même dans de nouveaux registres. Jouer des rôles permet de mieux comprendre l’humanité, et donc nous-même.

    Envisagez-vous de passer un jour derrière la caméra ?
    Oui. Produire, d’une certaine façon, c’est déjà raconter des histoires. J’ai envie d’aller plus loin, de réaliser un jour, mais je ne me mets aucune pression. Tazar, ma société de production, est un terrain d’expérimentation, un collectif qui nous permet d’explorer des sujets sociétaux que mes complices et moi aimerions voir au cinéma. 

    Les Disparues de la gare (2025), créée par Gaëlle Bellan, disponible sur Disney+. Néro (2025), créée par Allan Mauduit, Jean-Patrick Benes et Martin Douaire, disponible sur Netflix.

    Coiffure : Alex Lagardère chez Forty- One Studio + Agency. Maquillage : Sarah Atallah chez Agence Aurelien. Manucure : Nafissa Djabi chez B. Agency. Assistant photographe : Paolo Caponetto. Assistants réalisation : Thibaud Romain et Aristide Declerck. Retouche : A. De Pedrini. Production : Open Space Paris.