Run, une série déjantée entre mensonges et masturbation
Créée par Vicky Jones, acolyte de toujours de l'actrice et scénariste de “Killing Eve” et “Fleabag” Phoebe Waller-Bridge, la série “Run” dresse le portrait – en une saison de sept épisodes – de Ruby et Billy, amoureux dans leurs jeunes années et bien décidés à raviver la flamme… dans un train.
Par Chloé Sarraméa.
Tomber amoureux dans un train aura valu à Jesse et Céline – les personnages campés par Ethan Hawke et Julie Delpy dans Before Sunrise – une idylle de trois longs-métrages, signée Richard Linklater et restée dans les mémoires de tous les fans de cinéma à l'eau de rose. Se retrouver dans une locomotive après 12 ans de séparation donne naissance, pour Ruby (Merritt Wever) et Billy (Domhnall Gleeson), à une aventure de sept épisodes faite d’excitation (les deux anciens amants se masturbent tour à tour dans les toilettes du train presque aussitôt qu’ils se voient), de déception (ils constatent aussitôt les affres du temps sur leurs corps respectifs), de mensonges (comment ne pas cacher à son ancien amant à quel point sa vie a changé ?) mais surtout d’exaltation, tant ces retrouvailles étaient prévues depuis longtemps.
Run, une poussée d'adrénaline
L’idée est un peu folle. Elle est apparue comme un défi : celui de s’écrire un simple SMS, à n’importe quel moment de sa vie, sur lequel figure simplement trois lettre capitales, “RUN” (“fuis”). Comme une échappatoire à des vies qu’ils ont prédites ennuyeuses, Ruby et Billy, deux amants qui se croient faits l’un pour l’autre décident, avant que la jeune femme ne parte pour devenir architecte, de se retrouver un jour, lorsque l’un d’eux invitera l'autre à fuir. Dès la première scène de Run, on voit la jeune femme, Ruby – campée par la géniale Merritt Wever, déjà vue dans Nurse Jackie, rôle pour lequel l’actrice a raflé un Emmy Award en 2013, ou dans The Walking Dead – ouvrir le message tant attendu. Installée au volant de son monospace familial, garé sur un immense parking où toutes les grosses voitures sont alignées bien proprement, sa journée bascule alors qu'elle s'apprête à suivre son cours de yoga hebdomadaire. Celle dont le visage ne nous est pas tout à fait familier – sauf si l’on a récemment vu le chef-d’œuvre de Noah Baumbach, Marriage Story où elle interprète la sœur de Scarlett Johansson – se précipite alors pour retrouver son amour de jeunesse, direction l’aéroport puis la célèbre (et très cinématographique) gare de Grand Central à New York, et grimpe dans le premier train à quai. Qu’importe la séance de sport, qu’importe le mari installé sagement sur le canapé du salon et les enfants en bas âge… ils sont vite balayés par l’adrénaline des retrouvailles.
De rebondissement en rebondissement
Run est une série trépidante, nous entraînant de rebondissement en rebondissement sans jamais faire fausse route. Imaginée par Vicky Jones – l’acolyte de toujours de l’actrice et scénariste acclamée Phoebe Waller-Bridge, qui a mis en scène Fleabag sur les planches au festival d’Edimbourg en 2013 –, Run nous fait faire des loopings : dans le train à grande vitesse qui embarque les deux amants tout droit vers Chicago, on s’attend à des retrouvailles langoureuses et torrides… Mais, à la place, Ruby préfère draguer un inconnu rencontré au wagon-bar, tandis que Billy est occupé à fouiller dans le téléphone de sa belle ou à esquiver de mystérieux appels sur le sien. Cette dynamique se poursuit tout au long des épisodes, notamment lorsqu’ils arrivent à Chicago et que le personnage de Domhnall Gleeson décide de retirer en cash tout ce qu’il possède sur son compte en banque ou que celui de Merritt Wever dérobe une robe hors de prix dans un grand magasin – le tout dans une suite de scènes très souvent drôles et cocasses.
Si Run attise la curiosité, et ce dès le générique, c’est aussi parce que l’on peut lire le nom de Phoebe Waller-Bridge furtivement crédité dans la liste des producteurs de la série. Comme s'il faisait figure de label – tant la reconnaissance de l’actrice et scénariste aux trois Emmy Awards et aux deux Golden Globes est immense –, son patronyme garantit aussitôt le ton de ce show subtilement humoristique. Un bonheur, donc, lorsqu’on aperçoit la créatrice de Fleabag et de Killing Eve faire une apparition – anecdotique mais jouissive – dans le rôle d’une taxidermiste loufoque venant en aide, le temps d’un instant, au couple en détresse dans la forêt. Voilà donc deux raisons de regarder Run: pour son écriture trépidante, drôle et décadente, et pour apercevoir à nouveau Phoebe Waller-Bridge, même brièvement, alors qu'elle n’a pas ébloui le petit écran depuis la saison 2 de Fleabag, diffusée l’an dernier.
Run (2020), une série créée par Vicky Jones, disponible le 13 avril sur OCS.