Rencontre avec Sudan Archives : “J’ai un look de strip-teaseuse, aucun autre violoniste ne s’habille comme ça”
Unique et géniale, la chanteuse américaine Sudan Archives est l’étoile montante du prestigieux label Stones Throw Records — à qui l’on doit certains des chefs d’oeuvres de J Dilla et Madlib. À l’occasion de la sortie de son deuxième album Natural Brown Prom Queen, rencontre avec l’artiste la plus cool de tout l’Ohio.
Propos recueillis par Camille Bois-Martin.
Sudan Archives est une de ces self-made artistes qui bouleversent le monde de la musique par leur talent et leur originalité. Violoniste autodidacte, la jeune chanteuse cherche à revisiter cet instrument trop souvent relégué sur le banc des classiques : elle en joue comme une rockstar, se déhanche partout sur scène dans son look sulfureux, aussi coloré qu’un délicieux bonbon acidulé. Dans ses morceaux, la chanteuse mélange l’électronique, la folk, le R&B, l’afro-pop, ou le jazz, et y pose sa voix envoûtante.
Elle chante et rappe, joue de presque tous les instruments, compose ses chansons… Dans son deuxième album publié chez Stones Throw Records, Sudan Archives, aka Brittney Parks, préserve cette singularité : alors que son premier projet Athena célébrait la féminité, son second, Natural Brown Prom Queen, nous plonge dans son intimité et ses racines cincinnatiennes.
NUMÉRO : Vous êtes une artiste très difficile à résumer. En quelques mots, comment vous présenteriez-vous ?
SUDAN ARCHIVES : Je chante, je joue du violon, je rappe, je fais ma propre musique, j’écris mes propres chansons. Je suis aussi une plasticienne. Certains disent même une fashion icon.
Votre nouvel album est présenté par votre label comme le plus personnel de tous vos projets.
La relation dans laquelle je suis actuellement m’a incitée à être plus moi-même. J’ai eu envie de redécouvrir mes racines. Je voulais retracer les origines de mes parents, qui viennent de Detroit et de Chicago, mais qui ont aussi une ascendance africaine. J’ai toujours été intéressée par cette culture — c’est d’ailleurs pour cette raison que ma mère m’a surnommée Sudan. Mon premier voyage en dehors des États-Unis était au Ghana, c’était une super expérience et un vrai choc culturel, qui ont nourri mon premier album Athena [2019].
Vous chantez sur votre vie à Cincinnati, sur votre envie d’y retourner. Vous avez le mal du pays ?
Oui. Je vis depuis quelques temps à Los Angeles, mais l’Ohio me manque beaucoup. Pendant la pandémie, un parent d’un de mes amis est décédé de la Covid-19, et j’ai dû y retourner pour les funérailles. Ça m’a vraiment rendue nostalgique, et j’ai eu envie de revoir tout mon ancien entourage, avec lequel j’ai grandi, et avec qui j’avais l’habitude de faire de la musique… Mais je n’arrivais pas à m’y exprimer artistiquement. Là-bas, ils n’ont que de la musique country ou du jazz mais genre, du vieux jazz.
Où avez-vous eu votre première révélation musicale ?
Plus petite, je passais beaucoup de temps à l’église, pour jouer de la musique ou accompagner ma famille. On participait à des concerts de gospel, avec la foule en transe, les orgues, les saxophones… Quand j’ai commencé à jouer du violon dans l’orchestre, j’ai eu l’impression d’avoir trouvé ma place.
Qui préférez-vous : Sudan Archives ou Brittney Parks ?
Je n’en ai vraiment aucune idée. Avant, j’essayais de cacher Brittney derrière Sudan, mais plus maintenant. J’y fais référence pour la première fois dans cet album d’ailleurs, avec le titre OMG Britt.
C’est votre mère qui vous a donné le surnom de Sudan, mais pourquoi “Archives” ?
Parce que quand on est une personnalité publique, on devient une archive. Est-ce que vous connaissez l’artiste Nia Archives ? C’est la première personne que je connaisse qui a aussi pris ce surnom. Comme Lil Wayne et ses successeurs Lil B, Lil Pump ou Lil Nas X, j’ai l’impression d’avoir lancé un mouvement [Rires.].
Vous jouez du violon depuis toute petite. Quelle relation avez-vous avec cet instrument?
Aux États-Unis, le violon n’est joué que pour les compositions de musique classique ou, à l’inverse, à l’église dans des ensembles de gospel. C’est presque sauvage : tu es debout, tu danses, tu bouges ton corps… Quand j’ai découvert ça, je me suis rendue compte que je pouvais faire comme ces guitaristes rockstars mais avec mon violon.
En parlant de vos connaissances en musique : vous êtes très intéressée par l’ethnomusicologie [étude des musiques traditionnelles dans différents groupes ethniques]. Est-ce que ça a influencé votre musique ?
Je suis passionnée par les instruments à cordes africains dont la culture est en train disparaître parce qu’elle est de moins en moins populaire. Et ça m’a donné envie de participer à faire connaître ces instruments en les incorporant dans ma musique notamment.
Dans vos clips, sur votre Instagram ou sur scène, vos looks sont toujours très colorés, sexys et surprenants. Quelles sont vos inspirations mode ?
J’ai toujours adoré la mode. Mais j’ai vraiment upgrade mon style grâce à la créatrice Candice Cuoco [finaliste de la saison 14 de Projet Runway], qui m’a laissé porter ses créations sur scène il y a quelques années. Ses vêtements m’ont inspiré un peu des looks à la Mugler ou à la Vivienne Westwood et elle m’a prêté des pièces folles comme des corsets avec plein de lacets complètement déstructurés. Ça m’a vraiment donné confiance en moi.
Comment vous choisissez vos vêtements aujourd’hui ?
Mon style s’est totalement transformé. Je vais souvent à Santee Alley, une petite boutique de Los Angeles où vont les strip-teaseuses et les drag-queens : j’y achète les tenues pour mes tournées. Mais je ne porte quasiment pas de créations de designer, car elles ne sont pas adaptées pour mes concerts.
Quels sont vos critères pour choisir vos tenues de scènes ?
J’ai besoin d’être à l’aise pour crier au visage des gens [Rires.], courir, jouer du violon…Mon style est de plus en plus fabulous, avec mes grands talons, mes perruques et mes mini-jupes. J’adore ce contraste entre ma musique, mes instruments classiques et mon look de strip-teaseuse, aucun autre violoniste ne s’habille comme ça.
Faites-vous de la pole-dance ?
J’ai toujours voulu être strip-teaseuse ! Dans la vidéo de Selfish Soul, j’en fais même avec mon violon dans les mains. Et dans mon dernier clip, OMG BRITT, je le détruis carrément. Je voulais mettre en image le fait de briser toutes les frontières : être à la fois strip-teaseuse, rockstar et violoniste.
Sudan Archives, Natural Brown Prom Queen (2022), disponible sur toutes les plateformes.
En concert à Paris le 18 novembre prochain à l’occasion du Pitchfork Festival.