Rencontre avec Pierre Niney : « L’art dramatique nous force à porter une carapace »
Passé très jeune par la Comédie-Française, apprentissage ô combien exigeant, Pierre Niney a forgé son talent d’acteur comme un artisan travaille ses techniques. On retrouve actuellement l’ex-jeune premier aux côtés de Marine Vacth et d’isabelle Adjani dans le dernier film de Nicolas Bedos, Mascarade, et prochainement dans Le Livre des solutions, le très attendu film-événement de Michel Gondry.
Yves Saint Laurent à travers toute sa douleur et toute sa gloire, un analyste de crash d’avion hanté par une manipulation dans Boîte noire, un héros de comédie romantique dans 20 ans d’écart, un sapeur-pompier de Paris en pleine forme physique dans Sauver ou périr, un gigolo blasé face à Isabelle Adjani dans le dernier Nicolas Bedos, Mascarade… Les rôles de Pierre Niney tracent une ligne de métamorphoses auxquelles son ancrage dans le théâtre l’a préparé. À l’âge de 21 ans, en 2010, il fut le plus jeune pensionnaire de la Comédie-Française, en parallèle de ses études au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, une formation intense qui lui a donné le goût de changer de monde. “Je jouais du Feydeau à 14 heures et une tragédie grecque à 20 heures. Si on n’a pas la capacité de se protéger un peu des personnages et des œuvres, avec la distance technique d’un artisan, on est trop vite aspiré. L’art dramatique nous force à porter une carapace.” L’acteur a pu malgré tout se retrouver surpris ou touché, plus fatigué qu’il n’aurait cru. “Je suis sorti de Boîte noire lessivé, le côté solitaire et paranoïaque du personnage m’avait mis à rude épreuve.”
Le jeune trentenaire est porté par des rôles qui font de lui un symbole de masculinité contemporaine, un french guy séduisant, loin des clichés, comme Nicolas Bedos l’a compris dans Mascarade, jeu de dupes hitchcockien sur la Riviera. Pour chaque personnage, Pierre Niney prend des notes dans un petit carnet pour dresser le portrait de celui qu’il va incarner. Il associe des musiques aux films, dont il aime apprendre les textes en entier. “J’aborde les rôles peut-être plus physiquement que psychologiquement. Je me demande si je dois changer de tête, de poids, de façon de marcher… Quand on fait ce métier, c’est une chance de pouvoir constater jusqu’où notre peau est élastique, jusqu’où on peut se faire croire et faire croire aux autres qu’on est cette autre personne qui parle différemment, pense différemment…”
“Quand on est acteur, c’est une chance de pouvoir constater jusqu’où notre peau est élastique.”
Pierre Niney se souvient avoir incarné Yves Saint Laurent dans le film de Jalil Lespert comme un “défi physique”. Son inspiration ? De nombreuses archives, des conversations avec Betty Catroux et Pierre Bergé, respectivement muse et compagnon du couturier. “Ensuite, j’ai fait ma cuisine personnelle.” On perçoit son imaginaire du jeu comme ancré dans le cinéma américain davantage qu’en France. Lui se situe entre les deux. “J’ai une passion pour Depardieu dans Cyrano, Patrick Dewaere dans Série noire, j’aime aussi Vincent Cassel, les films de Jacques Audiard… mais j’ai toujours adoré le cinéma américain. J’ai grandi avec Hitchcock ou DiCaprio, j’apprécie ce que proposent les acteurs américains, avec des transformations radicales. Entre Le Talentueux Mr. Ripley et la franchise Jason Bourne, Matt Damon apparaît comme deux personnes différentes. C’est fascinant.”
Niney parle de son César du meilleur acteur en 2015 comme d’un tournant de sa vie : “Me dédier au jeu depuis mes 15 ou 16 ans et, même pas dix ans plus tard, recevoir un César, cela signifiait quelque chose. C’était valable un an mais c’était déjà bien [rires].” Il travaille aujourd’hui à étendre son spectre et sera le producteur – une nouvelle activité pour lui depuis la fin des années 2010 –, coscénariste et comédien principal d’une série pour Netflix, dont le tournage commence en fin d’année. On l’attend aussi dans le nouveau long-métrage de Michel Gondry. “Je ne peux pas vous en dire plus, mais c’était génial. Je suis un immense fan, Michel est la première personne que j’ai demandée en parrain quand je suis arrivé aux César il y a dix ans. J’étais ravi qu’il me propose un film très personnel.” Le Livre des solutions s’annonce déjà comme l’un des événements cinéma les plus attendus de 2023.
Mascarade de Nicolas Bedos (2022), actuellement en salles. Le Livre des solutions de Michel Gondry, sortie prévue en 2023.