Rencontre avec Nicolas Maury : « C’est démodé de dire qu’on a soif d’amour »
Après avoir chanté dans son film, Garçon chiffon, l’acteur et réalisateur français gracieux vu chez Yann Gonzalez et Philippe Garrel se lance dans la chanson. Le héros cinglant de Dix Pour Cent vient en effet de partager un premier single poétique, romantique et réussi, Prémices. Rencontre d’avant minuit avec un garçon formidable.
Par Violaine Schütz.
Au cinéma, Nicolas Maury dégage une présence rare. Formé dans les rangs du prestigieux Conservatoire national d’art dramatique de Paris, il a imposé son visage magnétique, sa voix androgyne, ses manières et sa poésie chez des réalisateurs exigeants. On l’a vu chez Yann Gonzalez (Un couteau dans le cœur, Les Rencontres d’après minuit), Philippe Garrel, Rebecca Zlotowski, Eva Ionesco, Pascal Bonitzer, Noémie Lvovsky, Olivier Assayas, Valeria Bruni Tedeschi, Patrice Chéreau et Riad Sattouf. Mais aussi dans des comédies populaires (Les Tuche 3, C’est la vie) et dans la série Dix pour cent. Qu’il interprète un réalisateur de films porno, un assistant insolent ou un garçon fragile qui retourne chez sa mère (dans l’émouvant Garçon chiffon, qu’il a réalisé), cet acteur truculent impose une fantaisie bien à lui, entre bizarrerie, trouble du genre, humour et sensualité.
Jamais là où on l’attend, Nicolas Maury, 41 ans, surprend aujourd’hui dans un tout nouveau rôle, celui de chanteur. On l’avait entendu chanter dans Garçon chiffon et interpréter un duo, en live, avec Juliette Armanet (une reprise d’Anne Sylvestre lors de l’émission La Fête de la Chanson Française diffusée sur France 2). Il vient confirmer son désir de musique et son talent d’interprète en sortant un morceau et un clip, Prémices, fragile et attachant, sur un amour naissant. Dans un geste rare au sein d’une chanson française parfois très corsetée, l’artiste évoque avec romantisme et subtilité une histoire sentimentale entre deux hommes. Des débuts tendres et prometteurs que le comédien ultra sensible a accepté de commenter pour nous.
Numéro : Comment est né ce premier morceau, Prémices ?
Nicolas Maury : Il est né en octobre 2020, au moment où mon film, Garçon chiffon, venait de sortir au cinéma et que les salles obscures allaient fermer, juste quelques jours plus tard, à cause du confinement. Pendant cette période noire, qui empêchait mon film de vivre, j’ai eu envie de me mettre à la chanson. J’ai alors contacté Olivier Marguerit (musicien français plus connu sous le nom de « O »), qui avait composé la musique de Garçon chiffon, pour lui demander s’il pouvait m’écrire des morceaux. Je rêvais d’un album comme celui que Serge Gainsbourg a écrit pour Isabelle Adjani , ou de la chanson Moon River imaginée par Henry Mancini pour Audrey Hepburn. Elle figure sur la BO de Breakfast at Tiffany’s. Je trouvais cette glissade dans le statut de la muse de quelqu’un très doux. Olivier a accepté et nous nous sommes vus une fois par semaine dans son studio-cave, à Pigalle, pour travailler ensemble sur un album. Dès que nous avions des autorisations de sortie, j’en profitais pour faire de la musique avec lui. Avant ça, je ne chantais que dans ma chambre, sur des morceaux de Vanessa Paradis, dont je suis fan. C’était une façon de m’affirmer. Et puis à 11 ans, je suis monté sur scène, au théâtre, ce qui m’a aidé à assumer ma voix particulière.
De quoi parle votre premier single ?
Il évoque une rencontre, un amour qui est né pendant le confinement, mais qui semblait impossible à cause de la situation sanitaire. C’était très joyeux et florissant sur l’instant. Dans la chanson, on ne sait pas si on est dans le rêve, la réalité ou, ce qui est plus beau, entre les deux états.
Dans plusieurs interviews, vous parlez de votre personnage dans Garçon chiffon comme d’un « soldat de la fragilité. » C’est aussi comme ça que vous apparaissez dans ce premier single, tel un garçon très fragile qui nous enveloppe dans une bulle de tendresse… S’agit-il de quelque chose qui vous définit, en dehors des plateaux de tournage ?
Je suis donc à nu et à cru sur ce premier titre. D’autant plus qu’Olivier Marguerit a composé ce morceau en se calant sur les « notes de passage », c’est-à-dire sur les moments où la voix est presque en rupture, où on a l’impression qu’elle pourrait se briser. Chanter ce morceau est donc un exercice périlleux. C’est comme faire de la fragilité une matière solide. C’est quelque chose qui me demande beaucoup de travail, la musique. Je prends des cours de chant depuis plusieurs mois. Et je me rends compte que c’est pas du tout un rôle le fait d’être chanteur. On a le devoir d’être soi et de ne pas mentir.
Vous dites que le chanteur ne joue pas. Comment vivez-vous cette vérité nue ?
C’est assez déstabilisant. Le cinéma et le théâtre sont des arts très collectifs. On est très entouré sur un plateau, par de nombreux techniciens, qui gèrent le son, la photographie, l’image… La place de l’acteur est finalement assez humble. On n’est jamais seul. Quand ça tourne, on a notre espace, notre « chambre à soi », pour reprendre Virginia Woolf, mais on a besoin des autres pour jouer. Le chanteur est, au contraire, vraiment mis en avant. En maison de disques, on vous dit : « il n’y a que vous qui intéressez ». Je ne suis pas quelqu’un qui tient à être au centre de l’action, donc je ne suis pas habitué à une telle mise en lumière. Mais c’est inévitable. On ne peut pas être mis sur le côté. Le chanteur est celui qui est éclairé sur scène. Il ne faut pas oublier que quand Edith Piaf se produisait en live, ses musiciens étaient cachés derrière un rideau.
Dans le morceau, vous dites : « mon délicieux amant. » Et dans le clip, on vous voit vivre une histoire d’amour avec un homme. C’est assez rare dans la chanson française ce genre de représentations. C’était important pour vous de montrer un couple qui ne correspond pas aux schémas hétérosexuels éculés dans la musique ?
On disait à certains chanteurs ou acteurs des années 80, par exemple, qu’ils vendraient moins de disques ou auraient moins de rôles s’ils révélaient leur homosexualité au grand jour. C’était la même chose pour les femmes. Avec Dix pour cent et le personnage gay d’Hervé qui est « entré » dans les foyers, j’espère avoir contribué à faire évoluer les choses. Chanter le désir envers un homme plutôt qu’envers une femme, sans que ce soit cloisonnant, c’était ouvrir une fenêtre. Ce n’est pas le placard mais bien une fenêtre. J’aimerais que des hommes hétérosexuels fredonnent ma chanson comme je chantonnais des morceaux racontant des amours hétérosexuelles dans ma jeunesse. C’est mon petit combat.
Quelles sont vos influences musicales majeures ?
Ma mère écoutait beaucoup France Gall et Michel Berger. Mais au départ, on se révolte contre ce qu’écoutent les parents et on veut écouter autre chose. Donc je ne suis revenu vers Gall et Berger que plus tard. Vers 9 ou 10 ans, j’ai eu mon premier mange-disques orange et j’écoutais en boucle Vanessa Paradis. J’adore aussi Jane Birkin, une interprète absolue. J’écoute au moins une fois par jour la chanson Jane B adaptée de Chopin. Françoise Hardy m’inspire aussi beaucoup. À l’entrée du concours du Conservatoire, j’avais présenté un parcours libre au son d’un morceau en anglais de Françoise Hardy. J’adore sa voix si reconnaissable, sa poésie et sa mélancolie. Son timbre possède son propre parfum. Sinon, pour les Anglo-Saxons, j’ai eu ma période Bob Dylan. Et je suis fan de Sufjan Stevens qui réussit à créer un folk très personnel. Le folk, c’est le fait de chanter ses racines. Et je trouve ça sublime de chanter ses racines. Il y a aussi Damon Albarn – en solo – qui m’inspire. Chez ces deux artistes, Sufjan et Damon, on retrouve quelque chose de très beau, un mélange de virilité et d’orchestrations très lyriques et somptueuses.
Vous avez beaucoup parlé, dans vos interviews, de livres qui vous racontent. Est-ce qu’il y a aussi des chansons qui vous racontent ?
Oui, énormément. L’Amitié de Françoise Hardy avec ces paroles sublimes : « Beaucoup de mes amis sont venus des nuages / Avec soleil et pluie comme simples bagages / Ils ont fait la saison des amitiés sincères / La plus belle saison des quatre de la Terre. » On parle toujours en évoquant la vie d’un homme ou d’une femme à travers ses relations amoureuses ou familiales. Mais pour moi, l’amitié est un chapitre tout aussi essentiel. Je citerai aussi les chansons Petite luge de Jean-Louis Murat, Seras-tu là ? de Michel Berger, Si maman si de France Gall ainsi que beaucoup de morceaux d’Alain Souchon qui semblent parler de ma vie.
Votre premier album sortira cet automne. Que pouvez-vous nous en dire ?
Je pense qu’il étonnera ceux qui l’écouteront. Il y aura des morceaux « uptempo », très radiophoniques et dansants, et d’autres, plus calmes ainsi que d’autres titres plus engagés ou coquins et des ritournelles à la Françoise Hardy. C’est un disque gourmand et multiple comme un autoportrait cubiste. Ça parle de ma vie d’homme de 40 ans qui essaie de transmettre, comme il le peut, le sentiment de la vérité. Je veux montrer un visage de moi en perpétuelle quête du désir et de la beauté du monde. Ce sera l’album de quelqu’un qui est assoiffé d’amour. C’est démodé de dire qu’on a soif d’amour. Il faut avoir l’air indépendant de nos jours. Mais j’assume d’être en demande (rires).
Quand on fait le lien entre musique et cinéma, on pense aux comédies musicales et aux bandes originales de films. Êtes-vous attaché à ces deux arts ?
Pour les comédies musicales, je considère que toutes les grandes comédies sont musicales par essence. Une comédie, c’est des acteurs, de l’image et la musique des répliques qui fonctionnent à l’unisson. Les grands films ont l’architecture d’une chanson. Ils dégagent un air entêtant. Comme le disait Marguerite Duras, il s’agit d’un air de rien qui a donc l’air de tout. Concernant le genre de la comédie musicale, j’adore Jacques Demy (surtout Les Parapluies de Cherbourg, un film qui ressemble à des larmes qui vous soignent) et dernièrement, j’ai été bouleversé par le drame musical Annette, de Leos Carax. Quant aux bandes originales, je suis un grand fan. Par exemple, chez le réalisateur sud-coréen Hong Sang-soo, on entend ce tout petit piano qui a l’air anodin mais qui en fait, infuse tout le film. Pour Garçon chiffon, j’avais demandé à Olivier Marguerit des chansons avant même que le tournage ne commence. Pour moi, le cinéma est à la fois ce qui se passe avant et après. Je pense toujours à la musique avant d’écrire un film. C’est ce que je fais pour mon second film, que je suis en train d’écrire.
Dans une interview télévisée, vous disiez, en parlant de la fermeture temporaire des salles obscures pendant la pandémie : « Le devenir du cinéma, ce n’est pas le cinéma dans le salon. » Et celui de la musique, quel est-il ?
Sans être un ayatollah, je trouve ça poétique d’avoir des vinyles et de les poser sur une platine. Depuis que j’ai 15 ans, j’accumule les piles de CD. Je me sers des plateformes pour écouter de la musique mais je reste quelqu’un qui écoute les albums de A à Z, comme des propositions de la part des artistes. Et pas des titres éparpillés.
Allez-vous vous produire en concert ?
Je suis en train de travailler sur une tournée qui se déroulera de décembre 2022 à mars 2023. Je me demande comment performer aujourd’hui, à un moment où la musique défile à flux tendu sur Internet. Je cherche à faire quelque chose d’à la fois populaire et exceptionnel sur scène. Je travaille avec une scénographe pour proposer un spectacle à la fois particulier et généreux, anormalement intime, poétique, et donc politique. Je pense aux gens qui payent leur place. J’aimerais qu’en arrivant aux concerts, ils rentrent dans un petit pays où ils seront bien accueillis. Car aujourd’hui, je trouve qu’on peut rapidement ne pas se sentir accueilli dans ce monde.
Prémices (2022) de Nicolas Maury, disponible sur toutes les plateformes.