11 avr 2024

Rencontre avec Hafsia Herzi, héroïne du film Borgo : « Apparemment, j’inspire l’illégalité »

Après une performance troublante dans le film Le Ravissement, l’actrice Hafsia Herzi bouleverse encore en surveillante pénitentiaire qui se retrouve impliquée dans une vendetta meurtrière en Corse dans le puissant polar carcéral Borgo, qui sort au cinéma ce mercredi 17 avril 2024. L’occasion de discuter avec cette formidable actrice et réalisatrice de la vie des détenus en prison, de Marseille et de la libération salvatrice de la parole des femmes.

propos recueillis par Violaine Schütz.

Après La Graine et le Mulet (2007), L’Apollonide : Souvenirs de la maison close (2011) de Bertrand Bonello, Mektoub, My Love: canto uno (2017) d’Abdellatif Kechiche ou encore le remarqué Le Ravissement (2023), Hafsia Herzi impressionne encore. Dans le polar carcéral Borgo, qui sort au cinéma ce mercredi 17 avril 2024, elle joue une surveillante pénitentiaire qui s’installe en Corse avec ses enfants et son mari avant de se retrouver piégée dans une mécanique infernale qui l’amène à se rendre complice d’une vendetta meurtrière. 

 

À l’occasion de la sortie de ce film puissant réalisé par Stéphane Demoustier (La Fille au bracelet), qui s’inspire librement d’un fait divers – une surveillante a désigné « une cible » dans un aéroport corse en l’embrassant – la vibrante comédienne et réalisatrice s’est confiée à Numéro.

 

L’interview d’Hafsia Herzi sur le film Borgo

 

Numéro : Qu’est-ce qui vous a donné envie de tourner dans le film Borgo ?

Hafsia Herzi : Quand mon agent m’a appelée pour me dire que Stéphane (Demoustier, le réalisateur) voulait me faire lire un scénario, j’étais très contente parce que je connaissais son travail et que je l’aimais beaucoup. Donc, déjà, le fait de travailler avec lui me séduisait. Après, j’ai vraiment eu un coup de cœur en lisant le scénario qui était extrêmement bien écrit. Le challenge était d’essayer d’être crédible en surveillante pénitentiaire. Avant Le Ravissement, dans lequel j’étais sage-femme, je n’avais pas eu la possibilité de jouer ce type de rôle. J’aime bien les métiers de la « vraie » vie. C’était un chouette défi à relever. Et puis le milieu carcéral m’intéresse… J’ai souvent été détenue dans les films (notamment dans À l’ombre des filles. Là, je passe de détenue à surveillante : c’est la magie du cinéma.

 

On imagine la prison et les « matons » comme un monde d’hommes. Le fait que de jouer une surveille pénitentiaire femme, c’est quelque chose qui vous a plu ?

Complètement, j’étais fière que le réalisateur écrive un personnage comme ça. Ça n’a jamais été fait dans le cinéma français, il me semble, alors qu’il y a 30% de femmes surveillantes pénitentiaires dans l’Hexagone. Et elles ne travaillent pas que dans les prisons pour femmes, mais aussi chez les hommes. Aux Baumettes, à Marseille, il n’y a plus de femmes qui travaillent chez les hommes parce qu’il y a eu trop d’histoires. Mais sinon, c’est un métier aussi bien féminin que masculin. Et c’est un métier très difficile. Les conditions sont compliquées. Il y en a plein qui m’ont dit que si on ne se coupe pas de ce métier de temps en temps, on peut devenir fou. J’ai une amie surveillante qui m’avait raconté qu’elle avait vu beaucoup de choses qui l’ont traumatisée, notamment des bagarres, des suicides. Mais il y a aussi d’autres choses qui se passent comme des histoires d’amour entre surveillants ou entre surveillants et détenus.

« Dans tous les métiers, il y a toujours un méchant. » Hafsia Herzi

 

Comment vous êtes-vous préparée pour ce rôle ? Il me semble et vous connaissez bien le milieu carcéral…

Oui, tout à fait. Déjà, pour Bonne mère, mon deuxième film en tant que réalisatrice, qui se passe dans une cité des quartiers nord de Marseille, j’ai passé beaucoup de temps en prison, à échanger avec les surveillants, les directeurs et certains détenus. Après, pour Borgo, très vite, j’ai dit à Stéphane (le réalisateur) : « Écoute, moi, j’ai besoin d’être en immersion dans le milieu. » J’ai donc animé des ateliers cinéma en prison, aux Baumettes, à Marseille. Et c’était super, franchement. Nous étions dans une salle de la prison, avec des détenus qui étaient volontaires et qui avaient vu des films, et des surveillants, bien sûr, qui encadraient tout ça.

 

Est-ce que les détenus connaissaient vos films ?

Oui, parce que la sociologue avec laquelle je travaillais sur ce projet leur avait montré quelques films de ma filmographie. Donc quand ils sont arrivés, on a échangé et c’était vraiment très touchant. Les rapports humains m’ont vraiment bouleversée. Mais en même temps, c’était dur parce que ça reste quand même des gens qui sont enfermés dans des conditions très difficiles. Après, je n’ai pas voulu savoir ce qu’ils avaient fait. En tout cas, on n’a pas envie d’y aller, en prison. Je me suis dit : « Heureusement que je n’ai pas été enfermée. » Dans le film, le personnage de Melissa, que je joue, se retrouve, malgré elle, dans une situation illégale. Et quand j’étais en prison, pour la préparation, j’ai pensé : « On n’est pas à l’abri de déraper. On aurait pu peut-être déraper. On ne l’a pas fait, mais, on aurait très bien pu se retrouver là. Et ça fait peur. »

 

En raison, notamment, des films et des séries, on a l’image de surveillants très durs avec les détenus…

J’ai pu observer un peu le rapport des détenus avec les surveillants. Et ce qui m’a touchée, c’est que c’est d’abord des rapports humains. Et d’ailleurs, il y un surveillant qui m’a dit : « Avant tout, on reste des êtres humains. » Il y a des surveillants qui sont cool et qui essaient de leur soulager le quotidien. C’est sûr qu’il doit y avoir des méchants. C’est comme dans tous les métiers : il y a toujours un méchant. Il n’y a pas un métier où il n’y a pas un type relou ou chiant.

« Il y a plein de gens à qui on rend service et qui ne sentent pas redevables… » Hafsia Herzi

 

Comment expliquez-vous que Melissa, votre personnage, se retrouve impliquée dans une affaire de double meurtre ?

Pour moi, c’est un personnage qui essaie de faire confiance à un garçon pour qu’elle a de l’affection et qui se fait avoir. En tout cas, c’est ce qui m’a touchée à la lecture du scénario et ce que je me suis inventé dans ma tête. On ne connaît pas trop la nature de leur relation avec Saveriu, le détenu qui facilite son intégration dans la prison puis qui garde le contact avec elle quand il en sort (c’est lui qui va la conduire à être impliquée dans un règlement de comptes, ndlr). Pour Stéphane (le réalisateur), c’est autre chose : il s’agit d’une relation presque filiale. Mais je lui disais : « Attends, quand même, sur la plage, quand ils tirent avec des armes, ou lors de la scène de la fête, où il y a des petits regards, c’est un peu ambigu, même si ce n’est pas dans la démonstration. Il y a un rapprochement entre eux. » Je pense qu’il y a quand même une mini attirance, de son côté à elle, pour ce garçon. Elle veut essayer de lui plaire. C’est peut-être le début de quelque chose. Lui, après, de toute façon, il la trahit, donc je pense qu’il n’y a même pas d’attirance de son côté. Peut-être qu’il fait exprès d’être proche d’elle pour se servir d’elle. Et elle s’est laissée charmer. En tout cas, ce que je me suis racontée, c’est qu’elle n’imagine pas que des gens vont se faire buter devant elle.

 

Et puis, ce garçon l’aide, à un moment donné, quand ses voisins s’en prennent, de manière raciste, à son mari (incarné par Moussa Mansaly)…

Oui, c’est vrai qu’elle est reconnaissante, et c’est rare ce trait de caractère de vouloir rendre la pareille. Car il y a plein de gens à qui on rend service et qui ne sentent pas redevables… (rires).

 

Aviez-vous lu beaucoup de choses sur le fait divers (le double assassinat de l’aéroport Bastia-Poretta en 2017) dont le film est inspiré avant de débuter le tournage du film ?

Stéphane (le réalisateur) m’avait dit, dès le début : « Écoute, c’est inspiré d’un fait divers, mais c’est fictionnalisé, donc ce n’est pas la peine que tu regardes des choses dessus. » J’ai quand même regardé et fouillé mais il n’y avait pas assez de choses. Juste quelques articles. Mais après, il y a un acteur qui joue mon collègue dans le film, Victor, et qui était un peu comme un conseiller. Souvent, je le sollicitais et je lui demandais si ce que l’on faisait était crédible. Et lui était vraiment surveillant à la prison de Borgo. Et ma curiosité a fait que je lui ai demandé s’il connaissait vraiment cette fille. Il m’a dit oui et il m’a raconté son histoire. C’était une collègue de travail à lui, et son histoire n’a rien à voir avec le film. Elle avait d’autres intentions.

« Apparemment, j’inspire l’illégalité. » Hafsia Herzi

 

Je suis Marseillaise et j’ai toujours trouvé qu’il y avait des points communs entre Marseille (où vous avez grandi) et la Corse (où vous avez tourné Borgo)…

C’est vrai que les deux se ressemblent. Même quand on est avec les détenus, dans la prison de Borgo (centre pénitentiaire situé dans la ville de Borgo, en France, qui sert de cadre au film, ndlr), on dirait qu’on est à Marseille. Après, je pense qu’il ne faut pas trop leur dire. Ils vont s’énerver. Mais non, complètement, il y a ce truc méditerranéen que j’adore, qui me fait penser à Marseille. C’est très vivant, c’est c’est très chaleureux et généreux.

 

Avez-vous appris à vous servir d’armes pour le film ?

Oui, j’ai eu des cours de tir et des cours pour savoir monter et démonter une arme. C’est très compliqué, mais ce qui a été le plus difficile, ça a été de tirer. Parce que vraiment, j’étais tremblante. Même si je m’étais entraînée avant, j’avais peur d’une balle perdue. C’est comme pour Le Ravissement : je n’étais pas à l’aise avec les accouchements. Mais il fallait y aller (rires). Mais c’est vrai qu’il y en a qui adorent ça. C’est un truc un peu enfantin, mais moi non. Franchement, ça m’a tout de suite angoissée car c’est quelque chose de vraiment horrible quand on sait ce que ça peut faire.

 

Votre précédent film, Le Ravissement possède des points communs avec Borgo : vous incarnez une femme qui mène une vie presque « normale » et qui déraille, d’un coup. Et les deux films sont tirés de faits divers…

C’est vrai, on ne sait pas comment elles basculent. Et dans Le Ravissement, il y avait de la prison aussi. Dernièrement, je n’ai fait que des choses qui m’amènent en prison. Ce sont deux femmes qui font des choses qui sont complètement illégales. Donc, apparemment, j’inspire l’illégalité (rires).

« J’ai peur de l’avion, mais je vais regarder des émissions de crashs d’avion. » Hafsia Herzi

 

Est-ce que vous êtes assez friande de faits divers ?

Franchement, c’est ma passion. Ça m’angoisse, mais j’aime trop, ça me parle. C’est inexplicable. C’est comme l’avion. J’ai peur de l’avion, mais je vais regarder des émissions de crashs d’avion. J’adore les émissions comme Faites entrer l’accusé. Je ne pense pas avoir la capacité d’écrire un film sur un fait divers, mais j’adorerais réaliser un film centré sur une histoire qui a vraiment existé, avec des personnages un peu bizarres.

 

Vous avez souvent joué des personnages un peu troubles, difficiles à cerner… Comment expliquez-vous que les réalisateurs vous voient ainsi ?

Je ne sais pas trop, mais c’est vrai que dernièrement, en vieillissant, je reçois beaucoup ce genre de propositions. Et depuis Le Ravissement, j’ai tous les rôles de femme en plein dépression et tous tous les malheurs de la Terre qui arrivent, alors que j’aime rigoler. Mais c’est vrai, que c’est peut-être dû à ma mélancolie. J’aime bien en tout cas. Après, souvent, quand j’étais plus jeune, on m’a dit : « On ne sait pas ce que tu penses, tu es hypocrite, tu es bizarre. » C’était un peu dur. Aujourd’hui, ça me sert (rires). En tout cas, on ne me propose pas du tout de comédies. Avant, on m’en avait proposé quelques-unes que je n’ai pas faites.

 

Judith Godrèche et d’autres actrices ont pris la parole contre les agressions sexistes et sexuelles dans le cinéma. Vous avez commencé jeune dans ce milieu. Avez-vous l’impression que ça évolue ?

Ça évolue. Mais on parle du cinéma, alors que c’est comme ça dans tous les métiers, dans tous les milieux. Et ce, depuis la nuit des temps. C’est bien et c’est important que la parole se libère. Si ça peut freiner quelques personnes mal intentionnées…

 

Borgo (2024) de Stéphane Demoustier, avec Hafsia Herzi, au cinéma le 17 avril 2024.