26 mar 2024

Rencontre avec Camille Cottin et Benjamin Biolay, le duo engagé et romantique du film Quelques jours pas plus

Alors qu’ils sont à l’affiche, ce mercredi 3 avril 2024, du film Quelques jours pas plus, une comédie romantique et sociale touchante qui questionne l’accueil réservé aux migrants en France, les deux acteurs talentueux et engagés Camille Cottin et Benjamin Biolay se sont confiés à Numéro.

propos recueillis par Violaine Schütz.

FIN

Cinq ans après l’audacieux, intelligent et délicat Chambre 212 (2019) de Christophe Honoré, l’actrice française Camille Cottin et le comédien et chanteur hexagonal Benjamin Biolay font de nouveau des étincelles au cinéma.

Dans la comédie romantique et sociale engagée et subtile Quelques jours pas plus, qui sort en salles ce mercredi 3 avril 2024, ils forment un couple aussi drôle qu’émouvant. Benjamin Biolay y incarne Arthur, un journaliste musical bourru spécialisé dans le rock qui héberge Daoud, un jeune réfugié Afghan, pour plaire à Mathilde (Camille Cottin), une ex-avocate qui travaille dans une association d’aide aux migrants. Peu à peu, Arthur va voir sa vie changer et sa carapace se fendre face à l’arrivée de ce cuisinier qui ne parle pas sa langue mais lui apprend le langage de l’amitié, de la tendresse et de la solidarité.

Quelques jours avant la sortie du film, les deux acteurs formidables nous ont parlé, sans fard, des points communs qu’ils partagent avec leurs personnages, de leur rencontre avec le comédien, réfugié afghan, Amrullah Safi, de leur famille, de politique et de leur meilleur souvenir de tournage.

L’interview de Camille Cottin et Benjamin Biolay sur le film Quelques jours pas plus

Numéro : Qu’est-ce qui vous a plu en premier dans Quelque jours pas plus, le côté film engagé ou l’aspect comédie romantique ?

Camille Cottin : Quand j’ai reçu le projet, je savais que c’était Benjamin qui jouait Arthur et j’étais ravie de le retrouver, après Chambre 212 de Christophe Honoré, sorti en 2019. Le côté engagé m’a beaucoup touchée parce que j’ai une sœur qui a été hébergeuse solidaire pendant trois ans. C’était par le biais de l’association d’aide aux étrangers en situation irrégulière et réfugiés Utopia 56. Elle a aussi servi des déjeuners à des mineurs via une autre association. Je lui ai directement forwardé le scénario en lui demandant de le lire pour savoir si elle trouvait ça juste par rapport aux gens qu’elle avait rencontrés… Et sur ce que ça racontait du monde de l’asso. En plus, elle est réalisatrice ! Avant que je tourne dans Quelques jours pas plus, elle me parlait beaucoup de ce qu’elle ressentait en fréquentant les assos. J’ai toujours été hyper admirative de ce qu’elle faisait. Par rapport à ma sœur, je me suis toujours sentie pas très active. Et je me suis dit : « Si par ce biais-là, je peux aussi un tout petit peu contribuer, alors il faut y aller!« 

Dans le film, votre personnage, Camille, qui s’appelle Mathilde, est une ex-avocate qui travaille dans une association d’aide aux réfugiés et qui ressent une fatigue à force d’aider… Votre sœur a-t-elle aussi ressenti ça ?

Camille Cottin : Ma sœur n’était pas membre d’une association comme Mathilde mais hébergeuse solidaire. En ce qui concerne l’association Utopia 56, par laquelle passait ma sœur, tu fais partie d’un groupe après t’être inscrit comme hébergeur solidaire sans devenir membre de l’association. Un peu comme lorsqu’on voit, au début du film, le personnage d’Arthur, joué par Benjamin, qui arrive à une réunion de l’association. On lui propose d’appeler des gens du quartier en expliquant : « Il y a une urgence, une évacuation, et j’ai 30 personnes qui ne savent pas où dormir ce soir. Est-ce que vous voulez bien les prendre chez vous ? » Les membres de l’association font plus que ça. Il y a les maraudes, les repas, tout l’administratif, etc. Mais j’ai un copain psy qui me disait qu’il allait faire du bénévolat dans ses assos pour proposer des consultations pour les réfugiés et qu’il se retrouvait presque plus sollicité par les membres de l’association, qui étaient éprouvés, que par les réfugiés. C’est pour ça que Julie (Navarro, la réalisatrice, ndlr) avait envie de créer un personnage comme celui de Mathilde. Elle ne voulait pas tomber dans un manichéisme qui ferait des gens des associations des saints et qui les installerait comme tellement plus humains que tout le monde.

Le film n’est jamais moralisateur…

Camille Cottin : Oui, Julie ne voulait pas que les gens travaillant dans des associations nous mettent en face de nos faiblesses, dans une forme de culpabilité par rapport à ce qu’on ne fait pas. Elle tenait à montrer la fragilité chez ceux qui aident en plus de leur humanité.

« Je pense avoir déjà, comme mon personnage, Arthur, balancé un minibar du haut de la fenêtre d’une chambre d’hôtel. » Benjamin Biolay

Et vous Benjamin, qu’est-ce qui vous a attiré dans ce film ?

Benjamin Biolay : J’étais très heureux quand on m’a dit que ce serait peut-être Camille qui jouerait dans le film, parce qu’on avait tourné dans Chambre 212 ensemble. Après, moi, c’est évidemment le côté comédie romantique qui m’a beaucoup plu mais surtout le fait que ce soit une comédie romantique sociale. J’aime la façon dont Quelques jours pas plus dénonce la stupidité de l’administration. Quelle que soit l’orientation politique, tout le monde le dit. J’entends des gens que je déteste dire qu’il faut simplifier la vie des Français et arrêter de les emmerder. J’ai trouvé ça incroyable de découvrir cet aspect des choses par rapport à des réfugiés. Il faut faire la nuance entre les migrants et les réfugiés. Si un jour, moi, je trouve que la bouffe est meilleure en Italie et que j’ai envie de plus de soleil, je serais un migrant en Italie. C’est moi qui choisis. Par contre, si quelqu’un qui est né en Afghanistan voit d’un coup les talibans revenir au pouvoir et s’en prendre à sa famille et être menacé de mort, quitte l’endroit qu’il aime le plus au monde (un endroit magnifique), alors il sera réfugié. Et un pays qui se targue d’être le pays des droits de l’homme et qui met l’égalité dans sa devise, se devrait de simplifier les choses, notamment pour les réfugiés. Ne parlons même pas des gens qui meurent en Méditerranée, les malheureux.

Vous avez d’ailleurs parlé des migrants qui traversent la Méditerranée dans votre chanson La traversée (2022)…

Benjamin Biolay : Oui, tout à fait. Mais j’insiste sur ce qui est le sujet du film : l’administration, la connerie administrative et parfois même le double discours, qui est infernal. Il y a un moment très bien dans le long-métrage où on découvre que dans un arrondissement qui est censé être un arrondissement de gauche, ils ont installé une énorme statue hideuse et inutile pour éviter la maraude. Ça, c’est la réalité d’un arrondissement qui est géré par des gens qui se disent préoccupés par les choses sociales et ouvertes (la gauche, en l’occurrence).

Avez-vous des points communs avec vos personnages ?

Benjamin Biolay : J’aurais totalement pu être Arthur. Si je n’avais pas eu la chance ou l’envie de signer dans une maison de disques. J’aurais très bien pu être journaliste musical.et préférer être plus un observateur de la musique plutôt qu’un belligérant. Et je pense avoir déjà, comme Arthur, balancé un minibar du haut de la fenêtre d’une chambre d’hôtel. Je l’ai déjà fait des choses comme ça (et peut-être bien même pire), comme tous les chanteurs. Et puis, j’ai beaucoup de tendresse pour les gens un peu monomaniaques comme ça, qui font très attention à leurs vinyles et à leur classement par exemple. Mais j’ai aimé que sa carapace se fendille quand Camille entre dans sa vie. Au départ, il accueille quelqu’un chez lui pour faire plaisir à Camille et puis, on voit bien que les associations, ce n’est pas une chorale, ce n’est pas pour dragouiller qu’on y va. C’est vraiment dur. Chez Camille, il y a une espèce de craquage typique du monde de l’entreprise. On dirait le burn out d’une cadre supérieure. Et ça, tout ça, c’est vrai. Cette approche de la vérité tout en se permettant d’être un peu léger rend, je pense, le film facile à aimer et pas trop culpabilisant.

« J’ai souvent interprété des personnages qui sont un peu forts en gueule et en colère. » Camille Cottin

Et concernant Mathilde, Camille, qu’est-ce qui vous ressemble chez elle ?

Camille Cottin : Mathilde est au bout du rouleau et moi, en tant qu’actrice, je ne sais pas du tout où je vais… (rires) Non, je plaisante, bien sûr. En fait, je sais que Julie, la réalisatrice, avait envie, initialement, que Mathilde soit très en colère. En parlant avec Julie, j’avais envie de la placer plus dans un découragement et dans le sentiment d’arriver en bout de course de l’énergie qu’elle peut donner. Je la voyais plus fragilisée et fatiguée qu’agressive. Mais comme, d’un point de vue personnel, j’ai souvent interprété des personnages qui sont un peu forts en gueule et en colère, je ne voulais pas accentuer le trait chez cette figure militante. On a un peu repensé le personnage… 

Benjamin Biolay : En fait, c’est subtil tout ça… Le combat, ça donne envie de casser la gueule à tout le monde. Et c’est aussi la nature de l’autorité qui veut ça. Si vous voyez un général qui est en train de perdre une bataille, il va toujours sembler autoritaire vis-à-vis de ses troupes. Mais quand il va rentrer, il va s’effondrer. Il va se dire : « On est baisé. » Le personnage de Camille est comme ça : hyper autoritaire mais, et je n’aime pas ce mot parce qu’il est sexiste, il évite complètement l’hystérie qui aurait pu être induite dans le scénario.

« Quand on tourne avec des réfugiés afghans, on n’a pas envie d’être obscène et on se doit de faire attention. » Camille Cottin

Vous avez tourné avec des réfugiés afghans, tels que le héros du film, Amrullah Safi, qui n’étaient pas comédiens de métier. Qu’est-ce que cela vous a appris ?

Benjamin Biolay : Si, ils sont comédiens parce qu’ils ont joué la comédie, même s’il a fallu les convaincre de passer des essais (Ils ont été castés de manière sauvage, ndlr). Je vous assure que ce sont de vrais acteurs. Ils ont fourni la même chose que n’importe quel acteur quand il entend « Moteur, ça tourne ! » Et après, c’est entre les prises que ça apporte beaucoup, quand on parle avec eux. Ce sont des charges émotionnelles hyper fortes.

Camille Cottin : Oui, et puis c’est du vécu pour eux. Alors que pour nous, non. Quand je raconte certaines choses à Amrullah Safi sur les dangers induits par le fait de traverser les frontières, par exemple, ce sont des choses qu’il a vraiment vécues. Quand nous jouons les interlocuteurs dans une histoire qui n’est pas la nôtre mais qui est la leur, c’est très ténu, très délicat à aborder. Et cela peut être culpabilisant. Il faut trouver le bon équilibre. On n’a pas envie d’être obscène et on se doit de faire attention. En tout cas, c’est sûr que c’était un tournage qui nous a mis tous les deux à fleur de peau parce que nous étions entourés de gens pour qui ça n’était pas pour du beurre.

Quel a été le plus beau moment du tournage ?

Benjamin Biolay : Amrullah avait des vraies exigences d’acteur. Pour l’une des scènes qui se déroule à la fin du film, quand il perd son père, il a voulu une chanson en particulier car il l’aimait vraiment. Et il a tenu à ce que ce soit le vrai nom de son père. J’arrive très bien normalement à ne pas pleurer en public, mais là j’ai versé des larmes.

Camille Cottin : On ne peut pas se retenir de pleurer à ce moment-là du film. La scène est très longue et tournée en langue pachto. Et Julie, la réalisatrice, n’a pas voulu traduire car elle voulait que l’on se retrouve comme les personnages du film. On ne comprend pas ce qui se dit, mais on comprend l’émotion qui se dégage.

Quelques jours pas plus (2024) de Julie Navarro, avec Camille Cottin et Benjamin Biolay, au cinéma le 3 avril 2024. Benjamin Biolay est à l’affiche de la série La Fièvre d’Eric Benzekri sur Canal+ et bientôt des films Rosalie de Stéphanie Di Giusto et Marcello Mio de Christophe Honoré. Camille Cottin sera bientôt à l’affiche des films Les Trois amies d’Emmanuel Mouret, Ni Chaînes Ni Maîtres de Simon Moutaïrou, De l’art ou du Machond ? De Stefan Liberski et Rembrandt de Pierre Schoeller.