Rencontre avec Alice Isaaz : « Les journalistes sont plus que jamais indispensables »
Sensible et audacieuse, Alice Isaaz est en train de creuser un sillon aussi lumineux qu’exigeant dans le cinéma français, marchant sur les pas de l’une de ses camarades de jeu : Isabelle Huppert. Alors qu’elle incarne une apprentie grand reporter dans le palpitant Vivants, aux côtés de Roschdy Zem, on a rencontré cette comédienne passionnée.
propos recueillis par Violaine Schütz.
On savait depuis La Crème de la crème (2014) de Kim Chapiron, Elle (2016) de Paul Verhoeven et Mademoiselle de Joncquières (2018) d’Emmanuel Mouret qu’Alice Isaaz était une excellente actrice. Mais la superbe comédienne française âgée de 32 ans – aussi sensible qu’audacieuse – semble avoir franchi un cap ces dernières années avec de nouveaux rôles puissants, comme celui d’une avocate badass de Bobigny dans la série Canal+ 66-5.
Ce mercredi 14 février 2024, l’actrice impressionne une nouvelle fois dans la peau de Gabrielle, une ex-guide de montagne qui devient, à 30 ans, stagiaire dans une émission de reportages dans le palpitant film Vivants. Au milieu de grands reporters (incarnés par Roschdy Zem et Vincent Elbaz) qui vivent pour le frisson et l’adrénaline procurés par l’enquête de terrain et pour la quête de la vérité, elle irradie d’un feu sacré. Le même feu qui l’habite à chacune de ses apparitions sur le petit et le grand écran ainsi qu’en interview.
L’interview de l’actrice Alice Isaaz, à l’affiche du film Vivants
Numéro : Qu’est qui vous a donné envie de rejoindre le tournage de Vivants ?
Alice Isaaz : J’avais une fascination pour le métier de journaliste, plus particulièrement pour celui de grand reporter donc j’étais curieuse d’intégrer cet univers. J’avais aussi vu comment Alix Delaporte (la réalisatrice du film qui a travaillé au sein de l’agence Capa) avait réussi à faire éclore des acteurs comme Grégory Gadebois et Clotilde Hesme. Je voulais être dirigée par elle.
Comment vous êtes vous plongée dans ce rôle de stagiaire JRI ?
Le personnage de Gabrielle que j’incarne débarque sans rien connaître de ce métier, sans en avoir les codes. Je voulais arriver avec ce regard vierge dans cette rédaction. En revanche, en plus de devoir apprendre à monter et démonter rapidement des caméras, Alix (Delaporte, la réalisatrice de Vivants, ndlr) a tenu à ce que j’arrive chargée du passé de Gabrielle afin que l’on croit au fait que j’étais guide de montagne avant de me reconvertir. Pour cela, j’ai passé trois jours en montagne avec un guide de mon âge. Et j’ai fait un entraînement physique intense. On voit mes bras que quelques secondes à l’écran, et on m’aperçoit en train de courir derrière la voiture de Kosta (l’un des journalistes de l’émission pour laquelle travaille Gabrielle, ndlr) une seule fois, mais cela suffit à rendre crédible son passé de guide.
« Les journalistes sont plus que jamais indispensables à une époque où chaque citoyen armé de son smartphone peut se dire journaliste. » Alice Isaaz
Votre sœur, Laura Isaaz, est journaliste de mode. Que pensez-vous du métier de journaliste ? Y-a-t-il des points communs entre ce métier et celui d’acteur ?
Les journalistes sont plus que jamais indispensables à une époque où une image peut faire le tour du monde en une fraction de seconde et où chaque citoyen armé de son smartphone peut se dire journaliste. Malheureusement, cela manque souvent d’un regard et d’une quête de vérité, qui est, à mon sens, l’objectif premier du métier de journaliste. J’aime leur côté aventurier, ce sont des gens du terrain. Ils ont le goût du risque. C’est un métier de passion tout comme l’est celui d’acteur. Il y a un vrai parallèle entre les deux. Ils sont dopés à l’adrénaline de l’info comme on l’est à celle du jeu. Et chacun à notre façon (eux dans le réel et nous dans la fiction), on sert à ouvrir les yeux sur notre monde, à informer, instruire et faire évoluer les mentalités.
On suit dans Vivants des journalistes d’une émission de reportages. Quel regard jetez-vous sur les chaînes d’information telles que BFMTV ?
Il y a très peu de pays où il y a autant de chaînes d’information et cette diversité est indispensable pour notre liberté de penser. Pour cette raison, je ne rejette aucune de ces chaînes. D’ailleurs, le film ne les oppose pas. En revanche, je me questionne sur le temps qu’ont ces journalistes sur le terrain et en ce sens, sur les dangers qu’ils prennent.
Dans le film, votre personnage se sent pleinement vivant au milieu du collectif, quand l’adrénaline monte. Et vous, à quel moment vous sentez-vous le plus vivante ?
Le moment où je me sens la plus vivante, c’est sur le plateau. Quand je donne la réplique à de grands acteurs comme Isabelle Huppert, Vincent Cassel ou encore Roschdy Zem. Et quand je sais que je n’ai que quelques prises, incarner et rendre réel ce qui était jusqu’alors resté couché sur le papier.
« Je n’aurais pas fait le film Vivants si mon rôle avait simplement été celui d’une victime. » Alice Isaaz
Vous incarnez Roxane, une avocate du 9-3 dans la série Canal+ 66-5. Un métier qui fait lui aussi rêver et qui est souvent occupé par des hommes…
J’adore endosser le rôle important de celui qui fait découvrir au spectateur un univers qu’il ne connaît pas. Et être au cœur de la narration, du suspens. Roxane dans la série 66-5 tout comme Gabrielle dans Vivants sont deux jeunes femmes déterminées, volontaires, qui évoluent et réussissent à s’imposer dans des milieux principalement masculins. J’aime et admire leur goût du risque, leur sang froid et leur ténacité.
Comment choisissez-vous vos rôles ?
L’écriture est primordiale. Je recherche la finesse, l’intelligence. Je peux facilement me glisser dans n’importe quel personnage pourvu que celui-ci soit bien écrit, qu’il ait une belle trajectoire. Ça a été le cas pour tous les personnages que j’ai eu la chance d’interpréter, notamment dans Mademoiselle de Joncquières (2018), Play (2018), Espèces menacées (2016), Le Prix du passage (2023)…
Vous jouez souvent des personnages frondeurs, insolents et audacieux. Est-ce que ça dit quelque chose de votre personnalité ?
Sûrement. J’aime les personnages qui sont responsables de leurs actes, solides et ont de la résistance. Ce qui me plaît chez Gabrielle dans le film Vivants, c’est qu’elle est là pour apprendre certes, mais son passé lui permet de surmonter les obstacles et de tenir tête aux autres. Je n’aurais pas fait ce film si ça n’avait pas été le cas et si elle avait simplement été une victime. Elle n’a pas peur de s’affirmer auprès de ses supérieurs, de la même manière que j’aime être face à des comédiens plus expérimentés. Je suis convaincue que plus ils sont forts en face de moi, plus je le serais à mon tour et progresserais. Un peu comme au ping-pong ou au tennis.
« Un grand metteur en scène s’appuie sur les propositions des acteurs. » Alice Isaaz
La Crème de la crème (2014) a marqué toute une génération. Quel souvenir gardez-vous de ce film ?
Je voulais être actrice et ce film dans lequel j’ai eu la chance de tenir pour la première fois un rôle principal m’a apporté la confirmation que je ne m’étais pas trompée de voie, que j’étais faite pour ça. Il s’est passé quelque chose de magique pendant ce tournage. Tout comme Gabrielle lorsqu’elle débarque dans cette prestigieuse émission, au sein de ce groupe de reporters. Elle comprend très vite que sa place est ici, avec eux.
Vous avez joué dans Elle (2016) de Paul Verhoeven. Que vous a appris cette expérience avec un cinéaste étranger ?
J’ai appris que quelque soit la nationalité, un grand metteur en scène s’appuie sur les propositions des acteurs. Ils connaissent l’importance de notre lecture et de la compréhension du personnage. Ils savent qu’on le nourrit et qu’on lui donne de l’épaisseur. Pour la petite anecdote, sur Elle, je ne comprenais pas quelle Josie nous dessinions aux essayages dans les loges. J’étais perdue. J’ai osé en faire part à Paul Verhoeven et lui ai soumis ce que je m’étais projeté du personnage à la lecture. Il m’a écoutée mais n’a pas tellement réagi sur l’instant. Le lendemain, nous recommencions à zéro les essayages.
De quel rôles rêvez-vous ?
Je rêve de rôles que je n’ai pas encore explorés, qui représentent de vrais défis, ceux qui me font peur, pour lesquels j’ai l’impression de me jeter dans le vide. Mais pour cela, j’ai besoin de me sentir accompagnée et dirigée par des cinéastes qui m’inspirent confiance et qui sont très exigeants. Je cherche à ce que mon jeu évolue, grandisse, se sculpte.
Vivants (2024) d’Alix Delaporte, avec Alice Isaaz, Roschdy Zem, Vincent Elbaz et Pascale Arbillot, au cinéma le 14 février 2024.