Que vaut le nouveau film qui réunit Léa Seydoux et Melvil Poupaud ?
Mia Hansen-Løve développe depuis une dizaine d’années un cinéma aussi profond que délicat. Son nouveau film, Un beau matin, nous fait découvrir Léa Seydoux sous un jour sensible, à travers son regard féminin qui s’attache à chaque nuance de l’expression des émotions.
Par Olivier Joyard.
Une vie périclite, une autre se réveille. Ce mouvement de balancier, à la fois romanesque et intime, fait le sel du nouveau film de Mia Hansen-Løve, à travers le personnage d’une jeune Parisienne (Léa Seydoux) dont le père (Pascal Greggory) est atteint d’une maladie dégénérative. Cet intellectuel va mourir. Elle rencontre alors un homme (Melvil Poupaud) qui, doucement mais sûrement, lui redonne goût à la vie. Ce film précieux s’appelle Un beau matin, il s’agit du huitième long-métrage de la réalisatrice de 41 ans, dont l’œuvre se déploie depuis plus d’une décennie avec une délicatesse et une profondeur qui n’appartiennent qu’à elle. Comme tous ses films, celui-ci a pris racine dans sa propre expérience, posant d’emblée la question so French de l’autobiographie… avec quelques nuances. Rencontrée lors du dernier Festival de Cannes, où elle présentait son film à la Quinzaine des réalisateurs, Mia Hansen-Løve évoque ce qu’elle nomme le “miracle” de l’écriture : “Quand j’ai le sentiment qu’un film est possible, c’est que la fiction est possible. Mes films ne sont jamais la traduction littérale de ma vie. La catharsis ne vient pas de la reproduction du même, mais de la transformation.”
Un beau matin s’est d’abord construit autour d’un désir tenace, celui de filmer son actrice. Léa Seydoux ne cesse de nous surprendre, de James Bond au cinéma d’auteur international. Ici, quelque chose survient d’encore différent. “Avec moi, elle est plus à poil, au sens où je la filme dans un rôle qui peut sembler banal et proche de la vie, explique Mia Hansen-Løve. Mais j’ai le sentiment d’accéder encore plus directement au mystère qu’elle incarne, en la délestant de certains attributs de féminité et de glamour. J’ai voulu la filmer comme une vraie personne et non comme un fantasme masculin.” Une ode à l’actrice se dévoile, un exercice d’admiration dont la cinéaste ne se cache pas. “J’ai admiré Léa dans tous ses derniers rôles où je la trouve extraordinaire. Depuis ses débuts, la nature de l’émotion qu’elle véhicule me bouleverse. J’avais envie de la confronter à mon cinéma car il y a de la dureté chez elle, de la force. Elle pourrait être éloignée de mes héroïnes, et en même temps, je la trouve unique dans sa façon d’être à l’image et de se rendre disponible au surgissement d’une émotion. Cela a à voir avec la simplicité de son jeu, ce lien avec une tristesse et une mélancolie qui peuvent surgir violemment. Cette brutalité des émotions m’est apparue de façon claire en la filmant.”
Concernant Melvil Poupaud, c’est plutôt le souvenir de Conte d’été d’Éric Rohmer (1996) que Mia Hansen-Løve avait en tête, sa “grâce juvénile” dont elle parle avec conviction donnant au film son équilibre. Reste la touche de la réalisatrice, cette manière singulière de faire couler la dramaturgie. Dans le cinéma proposé ici, les événements ne font pas ou très peu de bruit : un changement de garde-robe dessine la trajectoire d’une amante, un regard cerne un enjeu majeur. Ce choix est devenu difficile à défendre face à une industrie vorace, l’intéressée en est consciente et s’explique : “J’ai l’impression d’être libre, avec des producteurs qui respectent mon écriture. Malgré tout, le cinéma que je défends me semble entré en résistance, encore plus depuis le Covid. Chercher à produire de l’émotion en évitant les effets, les artifices, mais en visant plutôt un sentiment de vérité dans la façon de raconter la vie, ce n’est jamais évident et ça l’est de moins en moins. Je traverse de très gros moments de doute par rapport au fait que ce cinéma-là puisse encore exister.”
Lutter contre le temps qui passe mais aussi contre la mise en danger de l’art : le fond et la forme se rejoignent dans le travail de Mia Hansen-Løve, ce qui lui permet de définir avec sobriété son ambition d’artiste : “Je fais un cinéma de traces. C’est toujours le résidu de quelque chose que je filme, pour garder une idée de certaines existences ou de moments de ma vie, rendre éternel l’éphémère. J’essaie de sauver l’existence de quelque chose après une disparition.”
Un beau matin de Mia Hansen- Løve. Sortie le 5 octobre.