6 juil 2022

Que vaut le nouveau film de François Ozon, Peter von Kant, librement adapté de Fassbinder ?

François Ozon s’attaque une deuxième fois dans sa carrière à une œuvre réalisée par le génie allemand Rainer Werner Fassbinder en adaptant librement l’une des ses pièces (devenue un film, Les Larmes amères de Petra von Kant). Mais son long-métrage mettant en scène Denis Ménochet et Isabelle Adjani arrive-t-il à la cheville du talent monstre du maître germanique mort à seulement 37 ans ?

« Je l’ai adapté de travers, en changeant le sexe de trois des six personnages féminins. » C’est ainsi que François Ozon explique les libertés qu’il a prises, lors de l’avant-première parisienne de son nouveau film, Peter von Kant à la Cinémathèque, avec l’œuvre du réalisateur Rainer Werner Fassbinder dont il s’est inspiré. Adapté librement d’une pièce de Fassbinder déjà réimaginée par ce dernier en long-métrageLes Larmes amères de Petra von Kant (1972), le nouveau long-métrage de François Ozon réinvente complètement le film culte, vénéré par les cinéphiles. Et en fait une affaire personnelle. Le cinéaste français transforme en effet le film de l’Allemand en auto-portrait troublant, sensuel et violent des deux cinéastes. 

 

Dans la version originale de l’œuvre, centrée sur plusieurs personnages féminins, une créatrice de mode connue issue de la bourgeoisie, Petra, veuve d’un premier mari et divorcée d’un deuxième, vit avec une assistante et styliste, Marlene, qu’elle aime humilier. Dépressive et dominatrice, elle tombe amoureuse d’une jeune femme d’origine modeste, Karin, rêvant de devenir mannequin et partageant l’appartement de la créatrice qui peu à peu va se retrouver sous la coupe de sa maîtresse. Avec cette intrigue puissante, Rainer Werner Fassbinder réalisait un huis clos étouffant sur la versatilité de l’amour, sur son potentiel de destruction et sur les rapports de force. C’est même l’un de ses plus beaux films.

 

Dans le long-métrage de François Ozon, Petra est devenue Peter (incarné par le très charismatique et émouvant Denis Ménochet), un cinéaste rongé par l’addiction (drogue, alcool), le mal-être et la création. Alors qu’il traite très mal son assistant, l’impassible Karl (l’excellent et très chic Stefan Crepon), il tombe sous la coupe d’un jeune acteur en herbe, Amir (l’épatant Khalil Ben Gharbia), qui va exercer un pouvoir inquiétant sur lui. Filmé comme une pièce de théâtre, Peter von Kant nous immerge dans un appartement allemand des années 70 aux meubles kitsch pour nous donner à voir la progression d’une relation amoureuse toxique et dangereuse.

Denis Ménochet et Isabelle Adjani dans Peter von Kant

Le charme de cette farce intime et tragi-comique repose en grande partie sur les larges épaules de Denis Ménochet, double de Fassbinder et d’Ozon. Le cinéaste est un colosse aux pieds d’argile, un cinéaste aguerri et respecté, mais aussi très solitaire et complètement à la merci de son jeune amour. Dans une réflexion amère sur la création et le cinéma, François Ozon dépeint un personnage qui est plus animé par ce qu’il imagine que par la réalité crue des faits. Peter idéalise son amant, Amir, et veut le posséder, mais il accorde très peu d’importance à sa meilleure amie (une actrice-chanteuse-diva superbement interprétée par une Isabelle Adjani pleine d’autodérision) et sa fille. Le quotidien semble n’avoir que très peu de prise sur lui par rapport à ses films, à ses démons et à ses pensées.

 

Si Peter von Kant est parfois un peu trop grandiloquent, esthétisant et ampoulé à notre goût, il offre de beaux moments intenses et habités sur la souffrance amoureuse, le désespoir et l’ego de l’artiste. François Ozon, qui avait déjà adapté l’une des pièces de son héros, Fassbinder, avec l’audacieux Gouttes d’eau sur pierres brûlantes (2000), un huis clos érotique, ne parvient pas à atteindre la perfection émotionnelle, la rage et la grâce des Larmes amères de Petra von Kant. Mais le réalisateur d’Été 85 (2020) touche en plein cœur quand, au détour d’un dialogue sensible, il met à jour le désarroi de celui qui aime plus l’idée de l’amour que l’objet de son amour. Et comme le rappelait Hanna Schygulla, muse de Fassbinder qui apparaît dans le film d’Ozon, à l’avant-première du long-métrage :  « Petra von Kant n’était pas mon film préféré mais il a beaucoup touché les gens car nous sommes nombreux à ne pas savoir aimer et à vouloir apprendre à mieux aimer. »

 

Peter von Kant (2022) de François Ozon, actuellement en salle.