16 juin 2021

Que vaut “La Nuée”, le film ultra angoissant qui dénonce la détresse des agriculteurs ?

Après “Petit paysan” (2017) de Hubert Charuel et “Au nom de la terre” (2019) d’Edouard Bergeon, c’est au tour du réalisateur français Just Philippot d’aborder la thématique de l’agriculture avec “La Nuée”, un premier long-métrage qui mêle thriller fantastique et drame social.

Suliane Brahim dans « La Nuée » (2020) de Just Philippot.

Longtemps délaissés par le cinéma français, les films fantastiques ont soudainement la cote. Si Teddy, de Ludovic et Zoran Boukherma, aborde l’exclusion sociale à l’aide d’une histoire loufoque de loup-garou et le thriller Ogre, d’Arnaud Malherbe, utilise la figure vorace de l’ogre pour traiter des violences conjugales, La Nuée décrit la souffrance d’une classe agricole déshumanisée à l’aide d’une mise en scène frôlant le cinéma d’horreur. Tourné dans le Lot et en Auvergne, le film retrace la descente aux enfers de Virginie (Suliane Brahim), une agricultrice veuve qui tente de sauver son exploitation en se lançant dans la production de farine à partir d’un élevage de sauterelles. Tandis qu’elle vit chichement avec sa fille adolescente et son fils plus jeune, Virginie est amorphe, épuisée et peine à joindre les deux bouts. Le film, en forme de prophétie biblique, instaure un climat d’attente irrémédiable, bercé par les sons organiques et dérangeants des sauterelles, montrées tantôt en gros plan, tantôt esseulées ou pullulantes. Et tout comme dans le livre de l’Exode, les sauterelles – l’une des dix plaies envoyés par Dieu, dans la Bible, pour punir les Égyptiens maintenant les Hébreux prisonniers  – entraînent la destruction progressive d’un équilibre fragile : celui d’une famille marquée par l’absence du père et minée par la relation conflictuelle entre la mère et sa fille, toutes deux confrontées à la réalité d’un destin implacable. Les deux femmes, qui s’aiment autant qu’elles se haïssent, forment un duo mère-fille convaincant, notamment grâce à la performance brillante de la jeune actrice Marie Narbonne dans le rôle de Laura, une adolescente rebelle coincée entre le désir de normalité et la lucidité d’une situation dramatique.

Si certains dialogues et certaines situations souffrent d’un manque de subtilité – comme une allusion aux plats de pâtes quotidiens comme symbole de pauvreté –, l’excellent casting évolue autour d’un personnage principal antipathique, réduite à l’animalité, qui cherche à nourrir les siens peu importe le prix. “200 pour tout ça, ce n’est pas cher payé”, lâche-t-elle à l’un de ses acheteurs, un éleveur de canards rustre tout aussi désespéré. Car si l’intrigue de La Nuée couvre un panel de thèmes larges – le deuil, la famille et l’adolescence –, le fil rouge du premier film de Just Philippot dépeint une douleur sourde, un malaise lancinant : celui de trois agriculteurs livrés à eux-mêmes, isolés dans une nature qui, promettant l’abondance, est devenue leur enfer. De cette souffrance est tenue pour responsable l’injonction de production toujours plus importante, qui fait fi de toutes les contraintes naturelles. La morale est claire : l’agriculture n’est plus humaine, alors Virginie va y laisser, elle aussi, son humanité. Alors, lorsque ses sauterelles s’affaiblissent, la mère de famille les laisse se nourrir de son sang, symbole d’une situation qui la ronge… et dont les conséquences seront dévastatrices.

 

La Nuée (2020) de Just Philippot, au cinéma le 16 juin.