Que réservent les Rencontres Internationales Paris/Berlin, grand rendez-vous de l’art vidéo ?
Du 2 au 8 mai, les Rencontres Internationales Paris/Berlin proposent dans plusieurs lieux parisiens, et online, une vaste sélection d’œuvres cinématographiques, et plastiques. Avec une programmation riche et souvent inédite, la manifestation met en lumière l’hybridité formelle croissante de la création contemporaine faisant appel à l’image en mouvement.
Par Delphine Roche.
En parallèle du cinéma traditionnel et de la pesanteur de son système de production, des pratiques alternatives de l’image en mouvement existent depuis environ un siècle. Qu’ils soient l’œuvre de cinéastes indépendants ou de plasticiens, les films sur pellicule explorant des paramètres de durées extrêmes, soulignant la matérialité du celluloid ou des sels d’argent, ou proposant des narrations non conventionnelles, ont débouché “naturellement” sur l’art vidéo puis sur les expérimentations digitales, et aujourd’hui sur l’utilisation des technologies de réalité virtuelle. Chaque année depuis 1997, les Rencontres Internationales Paris/Berlin présentent d’abord dans la capitale française, puis dans la capitale allemande, le résultat d’un véritable travail de recherche sur la diversité des formes actuelles de l’image en mouvement.
Au croisement des arts plastiques, du cinéma, et des nouveaux médias, le festival opère une sélection sur la base d’un appel à projets – cette année, 5729 œuvres en provenance de 105 pays ont été visionnés, et 118 œuvres de 39 pays ont été retenues. Mêlant cinéastes, artistes contemporains, grands noms ayant marqué l’histoire des arts visuels, et très jeunes talents, l’édition de cette année permettra une nouvelle fois de dresser un état des lieux des approches esthétiques et conceptuelles du médium autrefois appelé « film », aujourd’hui placé sous le signe de la plasticité absolue, de l’hybridité, de la porosité aux questionnements et aux formes contemporaines les plus divers. Déconstruisant les conventions de la fiction, du documentaire, du montage, de la narration, ou des dispositifs de projection, les pratiques s’inspirent par exemple de la performance – Ariane Loze, dont le film Mainstream est présenté en avant-première. Ou revisitent l’univers des jeux vidéo pour leur apporter une dimension artistique – avec la première française de We Are Such Stuff as Dreams Are Made of, de l’acteur britannique Sam Crane. Co-directeur et co-programmateur des Rencontres, aux côtés de Nathalie Hénon, Jean-François Rettig nous en dit plus.
Numéro : Comment définiriez-vous l’angle précis des Rencontres Internationales Paris/Berlin ?
Jean-François Rettig : La manifestation s’intéresse aux pratiques contemporaines de l’image en mouvement. Depuis les avant-gardes, les plasticiens se sont emparés du médium d’abord filmique puis vidéo pour en faire autre chose, pour interroger de façon différente le réel, le monde dans lequel on vit. Et on observe depuis une vingtaine d’années un mouvement d’échanges mutuels, de dialogues, parfois d’oppositions entre des approches relevant du film et celles relevant des arts visuels. Ces productions restent, malheureusement, insuffisamment diffusées, et s’adressent en vérité à un public beaucoup plus large. D’où cette nécessité de créer un espace de croisements ouvert à la diversité des formes. Dans notre manifestation, les projections classiques cohabitent avec des installations, le tout, avec 90% de films présentés en avant-première française, européenne ou mondiale. La programmation inclut également deux expositions, des tables rondes et des performances. La VR trouve de plus en plus sa place dans les expérimentations des artistes : aujourd’hui ces outils sont répandus et accessibles, ce qui permet de s’en saisir avec un haut niveau d’exigence et d’autonomie, pour développer des questionnements spécifiques à notre époque.
“Les projections classiques cohabitent avec des installations, le tout, avec 90% de films présentés en avant-première française, européenne ou mondiale.”
Cette édition met notamment en avant Apichatpong Weerasethakul, cinéaste thaïlandais qui navigue entre des films “traditionnels” présentés dans les circuits classiques du cinéma, et des œuvres vidéo destinées à des projections dans des espaces muséaux.
Apichatpong Weerasethakul est un ami de longue date des Rencontres Internationales Paris/Berlin, puisque nous avons présenté, il y a une vingtaine d’années, les premières vidéos qu’il a faites à la fin de ses études. Nous avons donc un lien fort avec lui. Cette année, nous montrons la première rétrospective en France de ses courts et moyens métrages. Nous nous concentrons donc plutôt sur ses formes cinématographiques – même si ses films courts flirtent avec la vidéo plasticienne ou avec ce qu’on peut apparenter au cinéma expérimental. Dans ses longs métrages, il déploie la question de la nécessité de l’humanisme. Ses formes courtes, présentées il y a quelques années au Musée d’art moderne de la ville de Paris, ou à l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne en 2021, proposent plutôt des espaces-laboratoires, qui interrogent notamment leur rapport à la durée et à l’espace. Ces questionnements ne sont pas présents dans la rétrospective que nous présentons. Nous avons tenu à ce que le cinéaste décide lui-même de l’ordre des films de chaque séance, ce qui apporte un éclairage inédit sur son œuvre.
Quel est l’objet de la carte blanche que vous proposez à Dara Birnbaum, pionnière de l’art vidéo qui a exposé à partir des années 70 les manipulations opérées par les formats télévisuels?
Outre les questionnements critiques, son point commun avec Apichatpong Weerasethakul réside dans la dimension humaniste de son œuvre. C’est pourquoi cette carte blanche nous tient à cœur.
Votre programmation met également à l’honneur de jeunes artistes. Leurs productions font-elles appel à des formes particulièrement hybrides et novatrices ?
Il est important pour nous de mettre en avant la jeune génération, en parallèle d’artistes confirmés tels que Laure Prouvost, qui a représenté la France à la Biennale de Venise. Les jeunes artistes proposent en effet des œuvres encore plus hybrides, par exemple, le film Musarion de Vincent Hannwacker, Dominik Bais, Marie Jaksch, Mara Pollak et Julian Rabus adapte l’œuvre littéraire éponyme de l’écrivain allemand Christoph Martin Wieland et transfère l’histoire d’amour à notre époque, en mélangeant des éléments du texte original, de l’opéra, du théâtre, de l’art vidéo et du film narratif. Cette œuvre propose un travail d’installation, un dispositif qui re-déploie dans l’espace les questions énoncées dans la forme fictionnelle.
Les Rencontres Internationales Paris/Berlin, du 2 au 8 mai à l’auditorium du Louvre, aux Beaux-Arts de Paris, au Centre Pompidou, à la Galerie rue Française, au Centre Wallonie-Bruxelles et au Goethe-Institut Paris, ainsi que sur art-action.org/live