18 nov 2020

Pourquoi faut-il absolument voir “Farewell Amor”, repéré à Sundance cette année ?

Le premier film de la réalisatrice américano-tanzanienne Ekwa Msangi dessine les retrouvailles pudiques sur le sol américain d’une famille angolaise séparée pendant 17 ans. Il est disponible dès vendredi sur Mubi.

Dans la chambre d’un petit logement new-yorkais, Walter (Ntare Guma Mbaho Mwine) et Esther (Zainab Jah) s’apprêtent à faire l’amour pour la première fois. Déshabillage, baisers, caresses… Cette étreinte n’a pourtant rien d’une découverte : le couple se connait depuis l’adolescence, ils se sont mariés, ont même eu une fille, Sylvia (Jayme Lawson), puis se sont perdus de vue… pendant 17 ans. Ce jour-là, lorsqu’ils s’allongent dans cette minuscule pièce à peine éclairée, ils ont oublié leurs corps respectifs et Walter est impuissant. Dans l’une des premières scènes de Farewell Amor, Ekwa Msangi met en scène non pas un “adieu“ (comme l’indique le titre anglais du film) mais des retrouvailles, selon les dires de la réalisatrice, “tendues et embarrassantes” d’amoureux séparés pendant tant d’années qu’ils ne connaissent plus. 

 

L’histoire débute dans un aéroport, où Walter réceptionne femme et enfant en provenance d’Angola. Lui est installé à New York depuis 17 ans où il est devenu chauffeur de taxi et a entamé une relation avec une jeune infirmière, elles débarquent aux États-Unis après tant d’années à espérer un visa et parlent un anglais approximatif. Une fois dans la voiture, c’est l’émerveillement : les building défilent, toujours plus nombreux, signe de la réussite “à l’américaine”. Pourtant, lorsque les deux femmes débarquent dans l’appartement du père, c’est la douche froide. Minuscule, sombre et mal décoré, le studio aux murs ultra fins force une proximité désirée pendant tant d’années et devenue d’un seul coup embarrassante… 

 

Jusqu’ici, Farewell Amor pourrait tomber dans l’écueil d’une fable sur l’immigration misérabiliste, c’est-à-dire simplement portraiturer le mal du pays d’un tandem de femmes paralysées par la barrière de la langue, le choc des cultures et la vie dans un appartement exigu. À la place, Ekwa Msangi parle d’une séparation complexe : un éloignement dû à des problèmes de visa – mais il aurait pu s’agir d’une “incarcération, d’un départ pour le service militaire ou simplement d’horaires de travail abusifs” – mais qui révèle la difficulté à garder le lien et à ne pas devenir étranger pour l’être aimé.

 

Ainsi, le film se construit sur trois grands axes, selon le point de vue de chacun – le père, la fille, la mère. Tous les trois bercés par la danse – le couple tente de se rapprocher lors d’un slow de Kizomba, une danse qu’ils pratiquaient beaucoup lorsqu’ils étaient jeunes, et Sylvia participe même à un concours de Kuduro dans son nouveau lycée –, les personnages vivent de façon très différente leurs retrouvailles et sont (et c’est très intelligent) souvent filmés dans ce minuscule appartement, accentuant l’extrême proximités d’individus qui ne se connaissent pas. D’un côté Walter, luttant pour accueillir au mieux sa fille et sa femme et implorant que cette dernière ne découvre pas sa liaison, de l’autre, Sylvia, qui se bat à New York pour continuer de danser alors que sa mère, très religieuse, s’y oppose et enfin Esther, qui se raccroche à son pays d’origine via des appels à des membres de l’Eglise locale et tente de séduire à nouveau son mari… en tenue traditionnelle angolaise. 

 

Pudique, tendre et parfois maladroit (mais jamais autant que ses personnages), Farewell Amor est un brillant premier film. Parce qu’il aborde l’éloignement familial, il fait surtout se souvenir que l’amour est un apprentissage, qu’il se cultive et peut se retrouver sans jamais vraiment avoir été perdu.

 

 

“Farewell Amor” (2019) d’Ekwa Msangi, disponible sur Mubi dès le 18 décembre.