23 nov 2020

Plongée au cœur de la crise des opioïdes américaine

Adapté du best-seller “Hillbilly Elegy” (2016) de l’Américain JD Vance, “Une ode américaine”, disponible demain Netflix, dresse le portrait d’une famille tourmentée par l’addiction d’une mère à l’héroïne.

Avec ses productions originales, Netflix oscille entre catastrophique et flamboyant. D’un côté les réussites, dont Roma d’Alfonso Cuarón, Marriage Story de Noah Baumbach ou Beats Of No Nation de Cary Joji Fukunaga et de l’autre, les ratés, dont The Laundromat de Steven Soderbergh, Rebecca de Ben Wheatley ou encore Project Power de Henry Joost et Ariel Schulman. Malheureusement, le dernier film de Ron Howard (Un homme d’exception, Apollo 13, Da Vinci Code) fait partie de cette seconde catégorie. Portant prometteur et doté d’un joli budget, il semblerait que le sel du film réside dans les costumes, les décors, les reconstitutions et les stars rattachées au projet, de Glenn Close à Amy Adams en passant par le réalisateur lui-même (récompensé d’un Oscar du meilleur réalisateur en 2002) et Hans Zimmer à la musique originale. Côté mise en scène, le cinéaste américain s’est employé à livrer une adaptation caricaturale et sans saveur d’un best-seller autobiographique pourtant très politique.

 

 

D’un livre coup de poing à un long-métrage fade

 

Paru en 2016 aux Etats-Unis – soit quelques mois avant l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche –, Hillbilly Elegy raconte le parcours de son auteur, J.D. Vance, un jeune homme élevé dans la misère au cœur des Appalaches (précisément entre le Kentucky et l’Ohio) devenu un avocat d’affaires renommé. Au pays des “hillbillies”, la population est blanche et extrêmement pauvre, surtout depuis qu’une crise industrielle a frappé la région et a entraîné la fermeture des mines et des usines qui étaient autrefois la source de tous les revenus. Véritable plongée dans “l’Amérique des laissés-pour-compte” où les habitants sont grandement touchés par la crise des opioïdes, l’autobiographie de ce diplômé de l’université de Yale dresse le portrait de parias qui ont tout misé sur Trump lors de la présidentielle d’il y a quatre ans.

 

Ainsi, en adaptant cet ouvrage qui a fait beaucoup de bruit aux États-Unis, Ron Howard aurait pu radiographier un pays en crise et dresser le portrait brutal d’un peuple à l’agonie. À l’inverse, il filme une histoire familiale plate qui ne résonne en rien avec l’actualité bouillonnante américaine… Une ode américaine (Hillbilly Elegy en anglais) est principalement axé sur l’histoire de JD (Owen Asztalos), un gamin plutôt intelligent, solitaire et rondouillard qui souhaite réussir à l’école alors que sa mère (Amy Adams) lui mène la vie dure. Cette dernière est une infirmière au chômage, accro aux opiacés et entichée de tout un tas d’hommes aussi malsains qu’elle. Pour pouvoir aller à l’université, le gosse décide d’écouter les conseils de Mamaw (Glenn Close), sa grand-mère méchante et intoxiquée à la nicotine, pourtant dépeinte dans le film comme la seule figure rassurante et vertueuse. 

 

Construit en flash-backs, Une ode américaine survole indéfiniment la question de l’opposition entre la réussite sociale et la classe ouvrière – pendant toute l’intrigue, le gamin devenu adulte revient en aide à sa mère après une overdose d’héroïne mais le cache à sa petite amie rencontrée à Yale. Aussi, il se construit uniquement sur la psyché de ses personnages, notamment celui de la mère, qu’on déteste parce qu’elle est égoïste mais que l’on n’est jamais en mesure de comprendre – puisque l’origine de ses addictions et, plus généralement, la complexité de la crise des opioïdes américaine ne sont jamais abordés. En s’appliquant uniquement à grossir les traits des protagonistes pour les rendre détestables et pas vraiment humains (excepté celui de JD), Ron Howard a pensé ce film pour ses actrices alors même qu’il les dirige mal. Ni Glenn Close ni Amy Adams ne sont convaincantes dans leurs rôles de grand-mère et de mère ingrates et brisées et seules les transformations physiques sont réussies, à coup de prothèses et d’accoutrements misérabilistes… Finalement, à l’inverse du roman qui rend hommage à l’Amérique des “Rednecks”, son adaptation ne dit rien de cette dernière. Pire encore, elle nous emmènerait même à la détester.

 

 

Une ode américaine (2020) de Ron Howard, disponible demain sur Netflix.