On a rencontré James Franco, l’acteur le plus barré d’Hollywood
Comme pour s’excuser de sa beauté enjôleuse, James Franco s’est longtemps cru obligé de préparer ses rôles avec une intensité proche du masochisme. À l’étroit dans son costume de star, l’ambassadeur du nouveau parfum Coach se réinvente tour à tour en étudiant modèle, en écrivain, en plasticien ou encore en réalisateur, faisant valser les clichés du système hollywoodien.
Par Olivier Joyard.
Pour définir le très multiple et parfois déroutant James Franco, mieux vaut se tourner vers un spécialiste de ceux qui ne font rien comme les autres. En l’occurrence, une légende en devenir de la comédie américaine, le producteur et réalisateur Judd Apatow s’adressant en 2008 au journal numéro un aux États-Unis, USA Today. À l’époque, Franco vient d’obtenir un diplôme de littérature sous les cyprès de l’University of California, Los Angeles (UCLA), mais il reste en même temps l’un des acteurs les plus demandés aux États-Unis et tient le premier rôle dans la comédie Délire express, dont le sujet n’est autre que la marijuana et les comportements bizarres de deux stoners (fumeurs invétérés) incarnés par Franco et Seth Rogen. Apatow, producteur de ce futur carton au box-office, évoque les coulisses du tournage et dresse en quelques mots un portrait de celui qu’il a découvert moins de dix ans auparavant, en lui donnant le rôle d’un adolescent fascinant et retors dans la série Freaks and Geeks. “Je dirais que c’est quelqu’un qui pense beaucoup à son éducation. On a beaucoup ri sur le plateau de Délire express parce que James lisait l’Iliade entre les prises. Nous, on n’a pas encore réussi à lire l’Iliade en entier, c’est un livre très difficile ! Avec lui, il est toujours question de James Joyce ou de je ne sais qui.”
Il existe donc un acteur à Hollywood capable de lire. Dans les limousines, dans sa loge, il lit. Sur le tournage d’une comédie potache, il s’instruit. Comme s’il voulait s’échapper de Hollywood tout en y conservant des attaches, il ne cesse jamais d’apprendre, de vivre des expériences que personne ou presque dans cet environnement n’a envie de connaître. Pénétrer l’univers de James Franco, c’est découvrir une énigme sympathique, un homme au sourire éternellement ravageur – sa première marque de fabrique –, qui sait jouer le jeu de la célébrité tout en remettant radicalement en question les fondements de ce jeu. Acteur ? Évidemment. Mais aussi réalisateur, artiste, écrivain, performeur. On le cherche à un endroit, il apparaît à un autre. C’est simple mais compliqué, comme toutes les aventures profondes. On peut légitimement se demander quelle peur panique de l’ennui le pousse dans des directions aussi différentes. La réponse n’a pourtant rien d’évident. Aussi loin que les observateurs s’en souviennent, James Franco a toujours été du genre à se placer juste à côté de la norme, sans vraiment en avoir l’air.
Il existe donc un acteur à Hollywood capable de lire. Dans les limousines, dans sa loge, il lit. Sur le tournage d’une comédie potache, il s’instruit. Comme s’il voulait s’échapper de Hollywood tout en y conservant des attaches, il ne cesse jamais d’apprendre, de vivre des expériences que personne ou presque dans cet environnement n’a envie de connaître.
Flash-back en 1999. Sur le plateau de Freaks and Geeks, l’un des jeunes acteurs de la série étonne l’équipe car il a choisi une autre option que celle des jeux vidéo pour passer le temps quand il n’est pas devant la caméra. Il lit À la recherche du temps perdu de Marcel Proust. James Franco a 20 ans et des poussières et regrette déjà d’avoir abandonné ses études d’anglais pour se lancer dans le cinéma. Il aimerait faire les deux, mais pour l’instant, c’est impossible. Personne ne le connaît et l’instabilité gouverne sa vie. Si aujourd’hui, grâce aux DVD, la série de Paul Feig et de Judd Apatow est reconnue comme étant l’une des plus subtiles jamais tournées à propos de l’adolescence, en 1999, l’industrie hollywoodienne n’a pas vraiment ce point de vue. À la peine au niveau des audiences, Freaks and Geeks ne survit que quelques mois et se trouve bientôt remisé au cimetière des œuvres qui ne connaîtront jamais de fin – sur les dix-huit épisodes tournés, seuls douze ont été diffusés. Quoique brève, l’expérience marque Franco. Mais il mettra un certain temps avant de mesurer sa chance d’avoir fréquenté ce que les critiques appellent avec admiration “le gang Apatow”. “Collectivement, nous étions en pleine découverte d’un art. Naïvement, nous pensions que les choses se passaient toujours comme ça. Quand, après moins d’une saison, la série s’est arrêtée, nous avons cherché des rôles à droite et à gauche, et la réalité nous a alors rattrapés. Nous nous sommes rendu compte que parfois, rien ne se passe de manière idéale ! [Rires.] Parfois, les scénaristes ne sont pas aussi forts que Judd Apatow ou Mike White ; les réalisateurs sont moins bons que Miguel Arteta… Parfois, les gens veulent juste rapporter un chèque à la maison et nourrir leur famille. Les bandes ultra-créatives ne sont pas si répandues à Hollywood.”
Un premier amour suivi d’une brutale retombée sur terre : la relative distance de James Franco vis-à-vis du cinéma et de la télévision est née dès ses premiers pas dans le métier. Mais cette distance ne l’a jamais empêché de prendre l’affaire très au sérieux, comme pour conjurer le sort et espérer vivre des miracles. Si certains acteurs comptent sur leur seul charisme pour habiter les rôles, James Franco mise depuis toujours sur le travail. Afin de se plonger de la manière la plus juste possible dans l’atmosphère de Freaks and Geeks, le jeune homme avait pris l’avion tout seul jusqu’à Detroit, région natale de Paul Feig, créateur de la série. Au programme, une visite de l’ancien lycée fréquenté par le scénariste et des recherches au sein du département des archives. Des tonnes d’histoires impressionnantes et/ou amusantes circulent sur ce que Mister Franco s’est parfois infligé lors des périodes de préparation de ses films. Pour incarner un trafiquant de drogue face à Robert De Niro qui jouait son père dans le film Père et flic (2002), il s’est volontairement privé de sommeil. En 2006, Franco a appris la boxe pendant plusieurs mois pour jouer dans Annapolis, il s’est ensuite mis au sabre afin d’apparaître de manière crédible dans Tristan et Iseult avant de passer une licence de pilote pour faire le film Flyboys. Plus method acting, tu meurs. Sur la question, Franco pourrait certainement éditer un livre à l’usage des jeunes générations. Il a choisi une voie plus drôle et sans doute plus pertinente. Sur le site Funny or Die, créé par Will Ferrell et Adam McKay, figurent depuis 2008 plusieurs vidéos parodiques très regardées (près de deux millions de vues chacune) intitulées Acting with James Franco (Être acteur avec James Franco). Dans ces pastilles humoristiques, le comédien se met en scène face à son frère Dave, en train de prodiguer des conseils plus ou moins loufoques sur le meilleur angle d’attaque pour préparer un rôle. À chaque fois, les dits conseils sont évidemment nullissimes. Faire de l’ironie sur soi-même permet sans doute de rester sain d’esprit. Mais il faut aussi reconnaître que la méthode Franco lui a rapporté gros. À commencer par un Golden Globe en 2002 pour son interprétation dans le biopic James Dean. Un véritable accélérateur de carrière.
Pour incarner un trafiquant de drogue face à Robert De Niro qui jouait son père dans le film Père et flic (2002), il s’est volontairement privé de sommeil. En 2006, Franco a appris la boxe pendant plusieurs mois pour jouer dans Annapolis, il s’est ensuite mis au sabre afin d’apparaître de manière crédible dans Tristan et Iseult avant de passer une licence de pilote pour faire le film Flyboys. Plus method acting, tu meurs.
“Pendant la suite de ma carrière, j’ai constaté que de nombreux jeunes acteurs utilisent cette méthode d’immersion pour préparer des rôles. Ils deviennent presque masochistes, comme s’ils devaient s’infliger des souffrances pour être à la hauteur. Je vois cela comme un rite de passage. On touche nos limites, on apprend à se connaître et surtout à déterminer ce qui est réellement utile… Désormais, je suis différent. J’ai appris à obtenir des résultats similaires sans forcément me gâcher la vie. Ce n’est plus aussi intéressant pour moi de m’isoler de mes amis et de ma famille. Je peux même jouer un fumeur sans fumer moi-même! Mais si l’un de mes personnages fait quelque chose qui ne m’est pas naturel, alors oui, je m’entraîne au maximum pour que cette particularité devienne une seconde nature.” Nous n’irons pas jusqu’à interroger James Franco sur les nuits qui ont précédé le tournage de Harvey Milk en 2008. Dans ce film retraçant la tragédie du premier élu ouvertement homosexuel en Amérique, l’acteur à la gueule d’ange a incarné Scott Smith, l’amant de celui-ci. L’attrait de James Franco pour les personnages homosexuels (il en a interprété trois dans sa carrière) n’a pas manqué de faire courir des rumeurs sur son orientation sexuelle, malgré plusieurs petites amies repérées en sa compagnie. Il y a répondu en 2011 dans le magazine Entertainment Weekly, avec une forme d’humour subtilement ambiguë : “Vous savez quoi, si ça se trouve je suis gay !” Avant de relancer les spéculations deux ans plus tard en coréalisant avec Travis Mathews le court-métrage Interior. Leather Bar., une réflexion sur la représentation de la sexualité et les genres à partir de l’univers du film culte Cruising – La Chasse (réalisé par William Friedkin en 1980). À l’évocation de son tropisme gay, Franco préfère aujourd’hui élever le débat. “Tourner dans Harvey Milk m’a donné une perspective neuve sur la question des droits des gays. J’ai mieux compris la réalité des inégalités et le manque de relais qui frappe certaines communautés. Harvey Milk habitait à San Francisco, à quarantecinq minutes de chez moi. C’était une figure incroyable, et même si j’ai grandi près de l’endroit où il vivait, où il a travaillé et où, finalement, il a été assassiné, personne ne m’a rien appris sur lui. En faisant le film, j’ai pris conscience qu’il pouvait être important de soutenir de manière explicite certaines causes car, même aujourd’hui, elles ne bénéficient pas d’un traitement vraiment à la hauteur dans la culture mainstream américaine. Tant que les inégalités perdureront, pour la communauté LGBT et pour d’autres minorités, la politique restera importante à mes yeux. C’est un combat sans fin. À titre personnel, je m’intéresse à ces communautés d’abord parce qu’elles sont victimes de traitements injustes. Toute inégalité est injuste en soi et doit être rectifiée – en tout cas, il faut essayer. Mais ces communautés m’interpellent aussi en tant qu’artiste. Pour moi, elles représentent un mouvement contre la norme. Il s’agit d’une porte d’entrée importante et nécessaire pour interroger la façon dont nous vivons, pour savoir qui nous sommes collectivement et connaître les comportements et les inclinations dans lesquels nous nous enfermons. Les pensées normatives sont nombreuses et difficiles à remettre en question, elles se placent en opposition à l’individualité, voire à la pensée libre. Aujourd’hui, je regarde ces communautés et ces modes de vie comme des alternatives, des voies ouvertes vers une autre manière de m’exprimer.”
La morale est finalement assez simple quand il s’agit de James Franco : qui l’aime le suive. Encore faut-il y arriver. Depuis la fin des années 2000, en parallèle à ses études 2.0 et à une carrière d’acteur à son apogée (il a été nominé aux Oscars en 2011 pour À la une 127 heures, a joué un rappeur dans le génial Spring Breakers de Harmony Korine et a occupé le haut de l’affiche dans le prequel de La Planète des singes), Franco a écrit des nouvelles, réalisé des courts-métrages et quatre longs-métrages (The Broken Tower, Sal, As I Lay Dying et Child of God). Il a également signé plusieurs installations. L’une d’elles, Unfinished, une évocation de la figure de l’acteur River Phoenix mise en œuvre avec Gus Van Sant, a été présentée à la Galerie Gagosian de Los Angeles. Une autre installation vidéo lui a été inspirée par son passage dans le soap opera Alliances&Trahisons – une institution de la télévision américaine depuis cinquante ans. À partir de 2009 et pendant près de trois ans, l’acteur y a interprété à sa demande le rôle de… Franco, un artiste un peu inquiétant aux mille capacités. Les ménagères ont adoré. Enfin, il s’est aussi illustré dans un autre domaine, l’an dernier, en produisant The Director, un documentaire réalisé par Christina Voros portant sur la directrice de la création de Gucci, Frida Giannini. Désormais, James Franco apparaît ainsi comme un showman multifacette, capable de surgir dans n’importe quel domaine de l’art et de la pensée. Une attitude qui peut lasser, mais dont il a fait sa raison de vivre. Toujours très calme, la star s’explique sur cette démarche. “L’idée n’est pas vraiment neuve, notamment dans le monde de l’art contemporain. Les gens peuvent faire de la sculpture, de la vidéo, puis de la peinture. Ils utilisent un médium différent en fonction de chaque projet. C’est un peu ce que je fais. Je dispose d’un arsenal de moyens. J’utilise le plus adapté. Je me sens plus épanoui en tant qu’artiste de cette manière-là. Quand je n’avais que le jeu d’acteur à ma disposition, d’une certaine manière, c’était gratifiant, mais je ne pouvais pas m’exprimer librement. Maintenant, je le peux.”
“L’idée n’est pas vraiment neuve, notamment dans le monde de l’art contemporain. Les gens peuvent faire de la sculpture, de la vidéo, puis de la peinture. Ils utilisent un médium différent en fonction de chaque projet. C’est un peu ce que je fais. Je dispose d’un arsenal de moyens. J’utilise le plus adapté. Je me sens plus épanoui en tant qu’artiste de cette manière-là. Quand je n’avais que le jeu d’acteur à ma disposition, d’une certaine manière, c’était gratifiant, mais je ne pouvais pas m’exprimer librement. Maintenant, je le peux.”
Utiliser son pouvoir économique et médiatique pour passer en un clin d’œil de l’underground au grand public, retourner les valeurs, déstabiliser les spectateurs : l’art de James Franco ne se limite pas à ses productions concrètes. Il se déploie aussi dans une dimension plus volatile, proposant un autre modèle de star dans la galaxie parfois étouffante de la pop culture contemporaine. Sam Anderson, critique au New York Magazine, a écrit de lui qu’il est “une célébrité queer effaçant la frontière non seulement entre gay et hétéro, mais aussi entre acteur, joli cœur et intellectuel, entre la télé-poubelle et les musées d’art contemporain”. À l’ère des stars univoques et des passions rétrécies, James Franco s’étale et c’est tant mieux. Il se permet tout, y compris de mettre en avant son penchant pour la comédie potache, comme pour contrebalancer son image intello. Au mois de décembre 2013, on l’a vu faire de la moto avec Seth Rogen dans une parodie hilarante d’un clip de Kanye West. Quelques mois plus tôt, il avait de nouveau exprimé son humour grinçant dans la comédie apocalyptique C’est la fin. Il apprécie qu’on lui rappelle sa drôlerie. “Au départ, je n’avais pas prévu de faire rire ! Cela a pris du temps. Au moment où j’ai repris mes études, vers le milieu des années 2000, j’ai cherché de nouvelles manières d’aborder le cinéma. J’ai réalisé que j’avais des affinités avec la comédie. Simplement, je les avais réprimées. J’ai renoué le contact avec la bande à Apatow. Maintenant, je sais à quel point la comédie représente un outil puissant. J’essayais de faire passer pas mal d’idées grâce au drame, je peux tout aussi bien les mettre en avant grâce au rire. Depuis Délire express, j’ai enchaîné les projets avec Seth Rogen, et l’humour est devenu de plus en plus important dans mon travail. […] C’est comme une signature. En plus, les gens aiment me voir dans ce cadre-là. J’ai mené des projets plus ésotériques ou un peu étranges, mais on dirait que ce qui plaît le plus au public, c’est la comédie.”