“Nitram” : un film glaçant sur la tuerie qui a terrifié l’Australie en 1996
Présenté au festival de Cannes, le film Nitram du réalisateur Justin Kurzel brosse le portrait du meurtrier Martin Bryant, sous les traits de Caleb Landry Jones. Retour sur les origines de la tuerie de Port-Arthur de 1996, un des épisodes les plus sanglants de l’histoire australienne. Un événement terrible qui a conduit le pays à instaurer un contrôle strict des armes à feu : le National Firearms Agreement (NFA).
Par Anatole Stos.
Ce jour du 28 avril 1996, en Australie, l’heure est au décompte des vies envolées. Martin Bryant, en effet, vient de commettre l’une des tueries les plus meurtrières de l’histoire de l’Australie. Vingt-cinq ans plus tard, le cinéaste australien Justin Kruzel rouvre ce volet tragique dans Nitram, son film présenté à la 74e édition du Festival de Cannes. Il dresse, dans ce thriller dramatique, le portrait du tireur dont les actes ont tétanisé l’Australie.
Il s’appelle Martin Bryant et est surnommé Nitram par son maigre entourage. Un sobriquet – simple inversion des lettres de son prénom – qui sonne comme le nom d’un explosif… Sous ses mèches blondes se cache un gamin un peu différent, peu entouré et très perturbé. Ses parents, eux, sont déjà dépassés. Dans sa classe, sa présence incommode ses camarades dont il subit régulièrement les railleries. Il passe en effet ses journées à jouer avec des pétards, des feux d’artifice. Après quelques années en pension, sa vie change et la morosité des années passées est balayée lorsqu’il rencontre Helen Harvey à laquelle il offre ses services pour s’occuper de son jardin. Riche héritière, oisive et marginale, de 29 ans son aînée, elle s’attache à ce garçon “inadapté” et l’accepte tel qu’il est. Ni son fils, ni son amant. Ils nouent alors une relation ambiguë et il emménage dans son grand manoir. Tout bascule lorsque Helen Harvey meurt subitement dans un accident de voiture. Lui survit, mais ressort de l’hôpital marqué psychologiquement et physiquement. Entre-temps, comme un autre coup fatal pesant sur sa destinée, son père se suicide. Le jeune homme s’enfonce dès lors dans la spirale infernale du ressentiment et de la violence. Le 28 avril 1996, il commet l’irréparable.
Ce jour-là, il commence par abattre froidement les propriétaires d’une maison d’hôtes, avant de prendre la direction de Port-Arthur, charmant petit village historique des environs. Il s’installe paisiblement dans un café et passe tranquillement commande, comme un client ordinaire. Ce qui l’est moins, c’est que, l’instant d’après, avec le même flegme, il sort d’un gros sac un AR-15 et un SKS : deux fusils semi-automatiques. Il met en joue les clients qui l’entourent, et, en prenant soin de bien viser, les abat méthodiquement, un à un. Le quotidien Libération avait, à l’époque, recueilli le témoignage de quelques témoins de la scène : “Ce n’était pas bang-bang-bang-bang. C’était bang, puis il choisissait quelqu’un d’autre, visait et tirait”. Dans sa fuite, il prend pour cible un autobus, sème la zizanie à un péage, tire dans la rue sur une femme et ses deux enfants, vole une voiture, puis se retranche, avec des otages, dans la maison d’hôtes qu’il avait précédemment attaquée. Plusieurs heures durant, la police tente de négocier avec le monstre pour faire cesser cette tuerie infernale. En vain. La communication se coupe et Martin Bryant met le feu à la demeure pour tout effacer et réduire en cendres ses otages. Il s’enfuit, menacé par les flammes et est capturé par les forces de l’ordre. Le bilan est lourd : 35 morts et une vingtaine de blessés. En l’espace de quelques heures, l’Australie a basculé. Hagard, le pays s’est figé, pétrifié par la violence d’un seul homme.
À la suite de cet électrochoc immense, le pays durcit sa législation sur le port des armes à feu. À peine un mois après ce jour funeste, le National Firearms Agreement (NFA) est approuvé, le 10 mai 1996. Toujours en vigueur aujourd’hui, il instaure un contrôle strict sur les armes à feu. Il prohibe la vente de fusils semi-automatiques et automatiques, met en place un programme de rachat des armes financé par une hausse d’impôts, et exige que chaque arme soit enregistrée par son propriétaire, qui doit lui-même posséder un permis. De plus, des milliers d’armes sont détruites. Le chef du gouvernement d’alors, le conservateur John Howard, déclare souhaiter “ne pas suivre la trajectoire américaine”. Entrée en vigueur depuis plus de vingt ans, cette législation semble avoir porté ses fruits : en 2011, selon une étude menée par Harvard Injury Control Research Center, le taux d’homicides par arme à feu a chuté de 42%…
Nitram de Justin Kurzel avec Caleb Landry Jones, bientôt en salle.